Note Stratégique d'ELNET : Opération "Bouclier du Nord" : Mise en perspective

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L’armée israélienne a déclenché mardi 4 décembre à sa frontière avec le Liban l’Opération « Bouclier du Nord », à vocation défensive, destinée à détruire les tunnels d’attaque creusés par le Hezbollah, la milice chiite libanaise soutenue par l’Iran. L’intervention se déroule sur son sol dans le « Doigt de Galilée », la partie la plus septentrionale du pays. La découverte de ces souterrains n’est pas une surprise. Cette guerre de l’ombre a commencé depuis plusieurs années déjà. Cela fait un certain temps que les habitants du Nord d’Israël avaient signalé à des bruits en sous-sol et des mouvements de camions transportant de la terre du côté libanais.

L’intervention israélienne a été précédée de quelques heures par une rencontre à Bruxelles entre Benyamin Netanyahou et le secrétaire d’État américain Mike Pompeo. Le Premier ministre israélien, qui est en difficulté politique après la démission de son ministre de la Défense Avigdor Lieberman, voulait discuter des mesures à prendre « pour stopper les actes d’agression de l’Iran et de ses affidés ». Il a obtenu le soutien de Washington.

Source : Tsahal

Renforcement de la présence du Hezbollah et professionnalisation de la milice

Au lendemain de la seconde guerre du Liban en 2006, le mouvement chiite libanais Hezbollah, très largement encadré, financé et entraîné par l’Iran, a entamé une vaste expansion de son infrastructure terroriste, notamment le creusement de sous terrains en direction du territoire israélien ayant pour objectif à plus ou moins court terme la pénétration, voire la dissémination de miliciens dans le nord d’Israël. Le motif terroriste est mis en avant de façon précise et répétée par le leader du Hezbollah Hassan Nasrallah.

Ces tunnels constituent une grave violation de la souveraineté israélienne et des résolutions 1701 (2006) et 1559 (2004) du Conseil de sécurité des Nations Unies.

Source : Tsahal

Le Hezbollah actuel ne ressemble clairement plus à la formation qui poussa Tsahal dans ses retranchements pendant 33 jours de combats, il y a douze ans. D’une milice en guerre contre Israël, le Hezbollah est devenu une armée transfrontalière qui intervient non seulement en Syrie, mais aussi en Irak ou au Yémen. En Syrie, la milice chiite, forte de 4000 hommes environ aujourd’hui –sur environ 8000 au départ-, a considérablement réduit ses troupes. Toutefois, l’état-major israélien n’a eu de cesse de dénoncer la menace que représente pour elle la milice qui s’est considérablement professionnalisée en Syrie. Elle dispose d’environ 120 000 roquettes et missiles et a la capacité de déclencher des centaines de tirs en une journée vers les grandes villes israéliennes, en utilisant des systèmes de guidage sophistiqués. En lançant « Bouclier du Nord », Israël veut mettre la pression sur le mouvement libanais. La révélation des tunnels transmet un message au Hezbollah, qui a fait reposer ses opérations sur le secret, l’action secrète et la surprise. Il doit tenir compte du fait qu’il est en fait exposé et vulnérable aux services de renseignement israéliens.

Outre les tunnels, l’appareil sécuritaire met en garde depuis des mois contre le développement, avec l’aide d’experts iraniens, d’ateliers de fabrication de missiles de haute précision au Liban. Les frappes aériennes régulières d’Israël en Syrie auraient accéléré ce processus, le Hezbollah considérant que l’armée n’oserait pas frapper à l’intérieur du territoire libanais, de peur de basculer dans un conflit ouvert.

Contrecarrer le plan du Hezbollah pour « conquérir la Galilée »

L’opération « Bouclier du Nord » s’annonce d’ores et déjà longue et perturbe indéniablement les plans du Hezbollah qui s’était fixé pour but de « conquérir » la Galilée. Une menace que l’organisation et son chef, Hassan Nasrallah, n’a cessé de brandir au cours de ces dernières années dans ses messages de propagande. L’unité Redouane du groupe chiite, forte de son expérience acquise sur le terrain lors de la guerre en Syrie, a appris à attaquer les territoires de son adversaire et à utiliser la puissance du feu en renfort. En cas de guerre, ces forces spéciales du Hezbollah utiliseraient ces nouvelles aptitudes dans le cadre d’un conflit avec Israël. Si les tunnels n’avaient pas été découverts, les cellules terroristes Redouane auraient aisément pu se frayer un chemin sous terre sans craindre les défenses à la frontière israélo-libanaise et s’infiltrer dans le nord d’Israël.

En effet, Tsahal pense que le tunnel découvert mardi à l’est du village libanais de Kafr Kila avait pour objectif d’infiltrer des hommes du Hezbollah qui auraient coupé la ville israélienne de Metula, située le long de la frontière avec le Liban, a expliqué un officier du Commandement militaire du nord. L’idée était de couper Metula du sud, y compris en bloquant la route d’entrée principale, la Route 90.

Source : Tsahal

L’activité opérationnelle se poursuivra le long de la frontière Nord avec la participation du renseignement militaire et de Mapat (Administration pour le développement des armes et de l’infrastructure technologique). « L’opération a été lancée avant que les tunnels ne deviennent une menace immédiate pour les habitants du nord », a expliqué Gadi Eizenkot, chef d’état-major jusqu’au 15 janvier. « Nous avons le programme de tunnels du Hezbollah. Depuis la fin de 2014, des efforts de renseignement, opérationnels, d’ingénierie et technologiques ont été soutenus pour localiser les tunnels qui pénètrent en Israël. »

Dans le même temps, le dirigeant du Hezbollah, Hassan Nasrallah a averti dans une vidéo  qu’Israël ferait face à une forte réaction s’il décidait d’attaquer le Liban. Le film montre des cartes indiquant des endroits stratégiques à l’intérieur d’Israël que le groupe terroriste avait promis de cribler avec ses missiles en guise de représailles pour toute agression israélienne.

La découverte de ces tunnels met également en lumière la coopération qui existe entre les ennemis d’Israël: en effet, le Hamas a partagé avec le Hezbollah son expérience dans la construction de tunnels. Le Hamas et le Jihad islamique palestiniens sont passés maîtres pour creuser des tunnels reliant Gaza à l’Égypte et au territoire israélien. Lors de l’opération « Bordure protectrice », en 2014, 32 de ces souterrains avaient été détruits par Tsahal. Et plusieurs autres le furent également l’an passé, à la même époque. Toutefois, les objectifs sont différents. Si, au sud d’Israël, les tunnels où l’on pouvait passer des voitures en provenance d’Égypte servaient à alimenter en produits de contrebande et en armes un territoire encerclé et placé sous blocus, au nord d’Israël la menace est offensive. « Comparer les tunnels du Hamas et ceux du Hezbollah, c’est comparer un jardin d’enfants avec une université, commente le colonel Atai Shelah, un ancien commandant de la force mixte de l’armée en charge de démanteler les souterrains. Le Hamas utilise les tunnels pour les opérations tactiques, le Hezbollah les utilise pour les opérations stratégiques

L’armée israélienne a localisé jeudi un deuxième tunnel du Hezbollah à l’ouest de la Galilée qui trouve son origine dans le village libanais de Ramyeh, situé sous un certain nombre de maisons, et a pénétré dans le territoire israélien près du village de Zarit, selon les forces de défense israéliennes.

Vers une confrontation prochaine ?

À l’heure actuelle, les responsables de la défense israélienne ne prévoient pas d’escalade militaire dans le nord et ni le Hezbollah ni le gouvernement libanais ne pourraient prétendre qu’Israël mène des activités agressives contre eux.

Le Hezbollah a été pris par surprise. Le creusement des tunnels offensifs en Israël s’est déroulé dans le calme et apparemment à une profondeur qui a amené la milice à croire qu’Israël ne prendrait pas conscience de ces efforts clandestins. Il faudra quelques jours au groupe terroriste pour procéder à une évaluation de la situation et décider de son action ou de ne rien faire. On s’attend donc à ce que le groupe chiite cherche d’autres moyens de garder la face, notamment dans ses discours et son attitude. Le Hezbollah est dans une situation délicate. Le Liban se trouve menacé par ses militants et, par ailleurs, la communauté internationale possède des preuves irréfutables que l’Iran finance l’organisation en plus de violer la résolution 1701 des Nations unies qui expulse le groupe du Sud du Liban. En territoire libanais, le Hezbollah appuyé par l’Iran continue de jouer avec le feu en construisant des usines de missiles dans des installations souterraines, installations qu’Israël ne tolérera pas. Alors qu’aucun des deux camps ne veut la guerre, les dangereuses activités du Hezbollah (et de l’Iran) déstabilisent la région et pourraient provoquer une action préventive plus développée de la part d’Israël.

Benyamin Netanyahou a emmené jeudi des diplomates basés en Israël à la frontière pour leur montrer les tunnels souterrains du Hezbollah, les appelant à sanctionner le mouvement chiite libanais ennemi de l’Etat hébreu. « J’ai dit aux ambassadeurs qu’ils devraient condamner sans équivoque cette agression par l’Iran, le Hezbollah et le Hamas, et bien sûr intensifier les sanctions contre ces éléments », a déclaré Benyamin Netanyahou dans un communiqué.

Chaque camp promet à l’autre des destructions sans précédent en cas de nouveau conflit, dans une sorte de dissuasion mutuelle verbale. En juin 2017, le major général Amir Eshel expliquait ainsi à la Conférence d’Herzliya que les forces aériennes sous sa direction étaient capables de réaliser « en quarante-huit à soixante heures » ce qui avait nécessité trente-quatre jours lors de la guerre de 2006.

L’opération pourrait durer plusieurs semaines, afin de sécuriser l’ensemble de la frontière. Aucune instruction particulière n’a été adressée à la population civile dans le nord d’Israël. La zone autour de la commune de Metula a été déclarée fermée. « Bouclier du Nord » n’est pas non plus une opération commando mais plutôt une opération d’ingénierie. Certes, il y a un risque d’escalade, mais il ne semble pas y avoir, à ce stade de raison d’imaginer une guerre d’envergure tant que l’opération reste en territoire israélien.