Etat des lieux des négociations sur le nucléaire iranien

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Après 12 ans de tensions internationales et 18 mois de pourparlers intenses, l’Iran et les grandes puissances du groupe 5+1 (Etats-Unis, Chine, Russie, Royaume-Uni, France, et Allemagne), sous l’égide de l’Union européenne, se sont donné jusqu’au 31 mars pour sceller un règlement qui garantirait que l’Iran ne possèdera pas d’armes nucléaires, en échange d’une levée des sanctions.

Benjamin Netanyahu s’est rendu à Washington les 2 et 3 mars pour convaincre le Congrès américain de ne pas accepter un « mauvais accord » sur le programme nucléaire iranien, qui ferait de l’Iran un pays du seuil doté de la capacité de développer son arsenal en toute quiétude. Le Premier ministre israélien plaide en effet pour l’annihilation complète des capacités d’enrichissement et non pour un monitoring qui ne permettrait pas aux Occidentaux de contrôler les activités iraniennes.

ELNET vous propose de revenir sur le cadre des négociations afin de mieux cerner tous les enjeux du dossier nucléaire iranien dans une région déjà bouleversée par les révolutions arabes et la montée en puissance de groupes islamistes et terroristes.

Les enjeux des pourparlers

En cas d’accord politique d’ici au 31 mars, les 5+1 et Téhéran se sont donné jusqu’au 30 juin pour finaliser tous les détails techniques de ce règlement général. Ce document de quelques feuillets fixerait les grands chapitres pour garantir le caractère pacifique des activités nucléaires iraniennes. Il établirait aussi le principe du contrôle des infrastructures de Téhéran, la durée de l’accord et le calendrier d’une levée progressive des sanctions. Barack Obama souhaite rétablir les relations entre son pays et l’Iran, estimant que cela contribuerait à stabiliser le Moyen Orient. L’enjeu des négociations actuelles est de garantir la transparence du programme nucléaire iranien via l’Agence internationale à l’énergie atomique (AIEA) en échange d’une levée des sanctions économiques qui pèsent depuis de longues années sur l’Iran. D’autre part, Si les missiles ne sont pas au coeur des pourparlers sur le programme nucléaire iranien, qui se focalisent avant tout sur la production de matériel fissile utilisable dans une bombe atomique, les Occidentaux souhaiteraient les intégrer au menu des discussions car ils estiment que de tels missiles constituent autant de vecteurs potentiels d’ogives nucléaires et donc une menace sérieuse pour la sécurité de la région et du monde.

Eviter le « mauvais accord »

A maintes reprises, Barack Obama a promis qu’il ferait tout pour empêcher l’Iran de posséder un jour la bombe. Pour autant, depuis septembre 2013 et sa conversation téléphonique avec son homologue Hassan Rohani, il mise sur la carte diplomatique avec Téhéran et a fait d’un rapprochement avec la puissance chiite une des priorités de sa politique étrangère.

Un des points très discutés dans le cadre de ces négociations est le « breakout time », c’est-à- dire, le temps qu’il faudrait à l’Iran pour produire une bombe atomique. Aujourd’hui, on estime qu’il faudrait douze mois à l’Iran pour produire assez d’uranium enrichi qui lui permettrait de se doter d’une arme nucléaire. Cette échéance ne permettrait pas d’avoir suffisamment de temps pour intervenir, c’est pourquoi il faut priver l’Iran de toutes ses capacités d’enrichissement. Un « mauvais accord » donnerait non seulement à l’Iran la possibilité d’être un pays du seuil mais il engendrerait une course aux armements dans la région.

Selon John Kerry, l’urgence n’est pas de trouver n’importe quel accord avec l’Iran mais de trouver « le bon accord ». S’il affirme s’aligner sur la position française, Paris reprocherait à Washington de pousser parfois de manière précipitée pour un accord avec Téhéran, qui d’apparenterait davantage à une « décision politique » qu’à un bon accord.

Lors de son discours au Congrès, le Premier ministre Benyamin Netanyahou a demandé aux Etats-Unis de ne pas être dupes. Le fait que l’Iran lutte contre l’Etat islamique ne fait pas de Téhéran l’ami de Washington. En effet, l’Iran ne cache pas son hostilité envers les Etats-Unis, et il y a quelques semaines encore, Téhéran effectuait un exercice simulant une attaque aérienne américaine dans le Golfe persique, et ce, en dépit de l’échange d’amabilités entre les représentants iraniens et les six puissances (les Etats-Unis, la Russie, la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne) lors des pourparlers à Genève.

Les ambitions hégémoniques de l’Iran

Sur environ un milliard et demi de Musulmans, on compte 15 % de Chiites. Le Chiisme est essentiellement implanté en Iran et représente 90% de la population. Le Moyen-Orient s’est progressivement structuré autour d’un antagonisme crucial entre l’Iran et les États sunnites qui redoutent sa domination. Et de fait, Téhéran recherche l’hégémonie sur toute la région. Beyrouth et Damas sont aujourd’hui des places fortes iraniennes sur la Méditerranée. L’Iran exerce aujourd’hui une influence déterminante à Beyrouth, Damas, Bagdad, et depuis peu, Sanaa, la capitale yéménite, dont les Houthis, un mouvement chiite, ont pris le contrôle. Mohammed Ali Jafari, le commandant des Gardiens de la Révolution, a récemment affirmé que Téhéran contrôlait quatre capitales arabes.

Tandis qu’Israël craint qu’un accord Téhéran-Washington sur le nucléaire n’ouvre à l’Iran la porte à un développement de la bombe dès que la pression sera retombée, cette inquiétude fait sens surtout lorsqu’on observe l’attitude de Barack Obama concernant la Syrie, le président américain ayant préféré signer un accord avec Moscou sur le démantèlement de l’arsenal chimique de Damas plutôt que d’intervenir militairement.

Le danger du nucléaire

Le développement du nucléaire iranien a été initié par le Shah d’Iran dans les années 1950 avec l’aide des Etats-Unis sous la présidence d’Eisenhower qui lance le programme « Atomes contre paix ». Celui-ci entraine la création en 1957, de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Devenu membre de l’AIEA le 16 septembre 1959, l’Iran signe en juillet 1968, le traité de non-prolifération nucléaire (TNP), adopté par les Nations unies le 12 juin 1968 et devenu effectif le 5 mars 1970. Toutefois, l’Iran, de même qu’Israël et le Pakistan dans la région, n’ont pas paraphé le texte qui impose à ses signataires des restrictions en matière de recherches dans le domaine de l’armement nucléaire. Lors de son accession au pouvoir, le 1er avril 1979, au terme de la Révolution islamique, l’ayatollah Ruhollah Khomeiny gèle le programme nucléaire iranien. Durant la guerre entre l’Iran et l’Irak, de 1984 à 1987, le réacteur nucléaire de Bouchehr, bombardé à six reprises, est intégralement détruit. La montée en puissance militaire d’Israël va amener l’Iran, la Syrie et la Libye à s’accorder sur la nécessité de développer un armement nucléaire en 1985.

Le 14 août 2002, un dissident iranien révèle l’existence de deux sites nucléaires inconnus tandis que dans le même temps, le ton de l’Iran vis-à-vis d’Israël se durcit et les menaces d’anéantissement sont récurrentes et atteignent leur paroxysme sous la présidence de Mahmoud Ahmadinejad.

Si la fin de son mandat et l’élection de Rohani ont laissé dire à certains commentateurs que l’Iran s’ouvrait davantage, il parait difficile de se fier aux promesses d’un régime qui ne respecte pas les principes les plus élémentaires des droits de l’Homme et dont l’économie a été étouffée par les sanctions internationales.

Seules les sanctions ont réussi à convaincre l’Iran de revenir à la table des négociations. Dans ce jeu de dupes, il cherche à obtenir la levée des sanctions sans démantèlement, donc si celles- ci ne sont pas renforcées, la République islamique pourrait se servir de ses ressources naturelles, ainsi que de ses vastes quantités de pétrole pour devenir une puissance militaire importante. Puisqu’elle dispose du savoir-faire, des technologies et des infrastructures, elle pourra rompre l’accord à tout moment. Les leaders occidentaux doivent donc œuvrer pour l’annihilation totale de toute capacité de nuisance et non pour un gel ponctuel.

L’Iran et le financement du terrorisme

L’Iran est considéré par les Etats-Unis come un Etat « parrain » du terrorisme. A partir des années 1980, il a lancé avec l’appui du Hezbollah une campagne internationale d’attentats à la bombe, de détournements, de kidnappings et d’assassinats visant Israël, les Etats-Unis, l’Arabie Saoudite et plusieurs cibles dissidentes iraniennes.

En Argentine, des attentats à la voiture piégée ont ravagé l’ambassade israélienne en 1992 et l’Association mutuelle israélite argentine (AMIA) en 1994; cent-quinze victimes en tout. Selon les conclusions du parquet argentin, la force Al-Qods et le Hezbollah seraient passés par un réseau de diplomates, de sociétés écrans et de spécialistes de logistique issus de la diaspora libanaise.

Si Al-Qaida a dominé la scène internationale pendant une décennie, c’est aujourd’hui l’Iran qui inquiète les responsables de la lutte contre le terrorisme. Au cours des deux dernières années, l’Iran a redoublé d’efforts pour frapper ses ennemis en représailles des attaques menées contre son programme nucléaire. Selon les experts, le régime ne pouvait faire l’économie d’une démonstration de force sur son territoire comme à l’étranger, c’est pourquoi il a incorporé les forces du Hezbollah à son offensive de représailles. Les deux organisations coopèrent. Le Hezbollah échange ses services contre des armes et de l’argent; c’est là sa principale motivation. Quant à l’Iran, il souhaite restaurer un prestige mis à mal par les attaques; dissiper l’image d’un pays incapable de protéger ses propres scientifiques.

L’offensive républicaine au Congrès

Un groupe de 47 sénateurs républicains américains a averti l’Iran que tout accord sur le nucléaire entre Téhéran et le président Barack Obama non validé par le Congrès pourra être révoqué après le départ du locataire de la Maison blanche : « Nous considérerons tout accord portant sur le programme d’armement nucléaire qui ne sera pas approuvé par le Congrès comme un simple accord exécutif entre le président Obama et l’ayatollah Khamenei », ont-ils écrit dans une lettre, révélée par l’agence Bloomberg, faisant suite au discours prononcé la semaine dernière à Washington par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu qui a estimé devant les deux chambres du Congrès que les Etats-Unis étaient en train de négocier un « mauvais accord » avec Téhéran. Il est rare que les parlementaires interviennent ainsi directement sur un dossier de politique étrangère faisant l’objet de négociations. La Constitution américaine stipule que c’est l’exécutif qui négocie les accords internationaux mais les républicains, majoritaires au Congrès, exigent que tout accord sur le nucléaire soit approuvé par les parlementaires.

La France, le « faucon » des négociations

La ligne dure française dans le dossier du nucléaire iranien a été officialisée par Nicolas Sarkozy puis poursuivie et assumée par son successeur socialiste François Hollande depuis 2012. La France a ainsi fait le chemin inverse des Etats-Unis, qui ont changé de stratégie avec l’arrivée de Barack Obama et sa volonté de parvenir à un accord historique avec Téhéran sur le dossier nucléaire. L’actuel ministre des affaires étrangères Laurent Fabius fut Premier ministre entre 1984 et 1986, à l’époque la pire des relations entre Paris et Téhéran. Attentats en France, prises d’otages français au Liban attribuées au Hezbollah chiite allié de Téhéran, contentieux sur le contrat nucléaire Eurodif, soutien de la France à l’Irak alors en guerre contre l’Iran etc., des événements qui ont compromis toute relation de confiance avec la République islamique. Par ailleurs, Paris a clairement fait le choix des monarchies pétrolières du Golfe et de la stabilité conservatrice qu’elles représentent face à un Iran dont la France n’a de cesse de rappeler le rôle déstabilisateur en Syrie, au Liban ou en Irak. S’ajoutent d’autres raisons comme la volonté française d’apparaître comme le « gardien de la non-prolifération » nucléaire.

C’est en arguant de son expertise – reconnue – sur ces questions que Paris réclame un accord solide avec l’Iran et soupçonne parfois son allié américain d’être prêt à trop de concessions pour arracher un compromis historique. Lequel allié, en retour, surveille son partenaire français pour éviter, dans la dernière ligne droite des négociations, une réédition du « psychodrame » de Genève en novembre 2013. A l’époque, Paris s’opposa in extremis à la première mouture d’un accord provisoire concocté entre Washington et Téhéran. Un texte amélioré avait été signé 15 jours plus tard.

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Si la communauté internationale suit avec inquiétude le développement du nucléaire iranien, une autre évolution non moins préoccupante se profile dans la région. Comme l’Iran, au moins douze autres pays du Moyen-Orient ont soit annoncé leurs plans pour se doter de l’énergie atomique, soit signé des accords de coopération nucléaire. Parmi eux, l’Arabie saoudite, l’Algérie, l’Égypte, les Émirats arabes unis, le Jordanie, le Maroc, la Tunisie, la Turquie, la Syrie, le Koweït, le Qatar. Tous ces pays ont explicitement déclaré qu’ils n’avaient que des ambitions pacifiques et qu’ils ne voyaient dans le nucléaire qu’une force de dissuasion. Mais cet élan collectif pose un vrai dilemme aux Occidentaux déjà dépassées par les révolutions arabes au Moyen-Orient et les nouveaux jeux d’alliances qui se sont déployés.

L’Iran profite de la guerre contre l’EI et des pourparlers sur le nucléaire pour renforcer son contrôle sur les pays du Moyen-Orient. D’après la presse arabe, les Gardiens de la révolution sont implantés presque partout. En Syrie, ils soutiennent le régime d’Assad dans l’Ouest du pays, et au Sud de la Syrie, tout près des hauteurs du Golan, ils tentent de renforcer le pouvoir du Hezbollah et d’ouvrir un front face à Israël. Dans ce contexte, un mauvais accord pourrait être fatal pour la région, pour Israël et pour les Occidentaux.

Tôt ou tard, l’EI sera vaincu. Mais c’est l’Iran qui, tant qu’il sera dirigé par le régime des mollahs, constitue la principale menace pour la stabilité de la région et la paix dans le monde. C’est la raison pour laquelle la France doit rester mobilisée et ferme car, comme cela a été affirmé à maintes reprises, « mieux vaut pas d’accord qu’un mauvais accord ».