Analyse : Bilan des élections législatives en Israël

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Mardi 9 avril, quelque 6,3 millions d’Israéliens étaient appelés à voter pour élire leurs nouveaux parlementaires, qui formeront à leur tour un gouvernement. Le taux de participation à ce scrutin a été nettement plus faible qu’en 2015 : 67,9 % contre 71,8 %. Cette campagne, qui s’est progressivement axée autour d’un clivage pro vs anti-Benyamin Netanyahou, a vu émerger de nouvelles figures politiques comme l’ancien chef d’état-major Benny Gantz. Elle a également été marquée par l’effondrement de la gauche israélienne, le parti travailliste n’étant plus crédité que de six sièges à la Knesset.

Le Premier ministre israélien sortant Benyamin Netanyahou a été donné vainqueur des législatives, mercredi 10 avril, et sur la voie d’un cinquième mandat, même si le Likoud et la liste Bleu-blanc sont à égalité – 35 sièges chacun. La future Knesset devrait être composée de 65 députés. Les 35 élus du Likoud devraient s’associer aux 16 issus des deux partis ultra-orthodoxes, aux 5 de la formation russophone d’Avigdor Lieberman, aux 5 de l’Union des droites ainsi qu’aux 4 députés de Kulanu, le parti du ministre des Finances sortant.

Pour le reste, les formations satellites se retrouvent avec des scores très faibles, certaines dépassant à peine le seuil d’éligibilité (3,25 %), tandis que d’autres sont balayées, comme la Nouvelle Droite de Naftali Bennett et Ayelet Shaked, respectivement ministre de l’Éducation et ministre de la Justice dans le gouvernement sortant. Deux ex-dirigeants du Foyer juif qu’ils avaient quitté au début de la campagne pour créer leur propre liste avec pour principaux objectifs une offensive de grande envergure à Gaza et la poursuite d’un agenda judiciaire visant à réduire l’indépendance des juges, à commencer par ceux de la Cour suprême.

L’incontestable popularité de Benyamin Netanyahou

Finalement, trois ex-chefs d’état-major de l’armée israélienne n’auront pas eu raison de Benyamin Netanyahou. Le chef du gouvernement sortant, qui jouait sa carrière politique entachée par des affaires judiciaires, a gagné son référendum. Le Likoud obtient son meilleur score depuis seize ans, mais ce succès est avant tout le sien.

Le Premier ministre assume un souverainisme qui n’est pas dans l’air du temps, il ose dire non aux schémas de la bien-pensance européenne en particulier, notamment à l’égard de la solution au conflit avec les Palestiniens et du statut de Jérusalem. Il a été aidé pour cela. Le président Donald Trump lui aura offert la reconnaissance américaine de la souveraineté israélienne sur le plateau du Golan à un moment extraordinairement bien choisi à la fin du mois dernier et, cette semaine, le placement des Gardiens de la Révolution islamique sur la liste des organisations terroristes. Le président Vladimir Poutine a aussi apporté sa contribution avec le retour, grâce à la Russie, de la dépouille de Zachary Baumel, 37 ans après la mort de ce commandant d’une unité de blindés pendant la guerre du Liban.

Cette élection montre qu’Israël penche résolument à droite. Avec un total de cinq partis de droite et des partis ultra-orthodoxes qui ont réussi à obtenir 32 sièges ensemble, Benyamin Netanyahou ne devrait pas se heurter à de grandes difficultés pour former son équipe gouvernementale dans les prochaines semaines.

Le Premier ministre sortant a célébré sa victoire à Tel Aviv en remerciant « le peuple » de lui avoir offert ce coup d’éclat « magnifique ». Il devrait battre en juillet le record de longévité au poste de Premier ministre détenu par David Ben Gourion malgré ses déboires judiciaires. Dans une déclaration rassembleuse tranchant avec son registre clivant adopté pendant la campagne, Benyamin Netanyahou s’est néanmoins engagé à l’unité. « Ce sera un gouvernement de droite, mais j’ai l’intention d’être le Premier ministre de tous les citoyens d’Israël, de droite et de gauche, juifs et non juifs », a-t-il promis.

La majorité des analystes de la presse a aussi sous-estimé les capacités acrobatiques de Netanyahou, son acharnement à s’accrocher à la tête du gouvernement, et la volonté de la droite de le maintenir au pouvoir, et ce malgré et en dépit de sa mise en examen par le procureur de l’Etat. Les deux principaux partis ultra-orthodoxes, Shas et Judaïsme unifié de la Torah, se sont déjà engagés à lui apporter leurs huit voix respectives en conditionnant toutefois leur appui à de généreux gestes envers les religieux, qui représentent 12 % de la population (soit 1,079 million d’habitants).

Le cinquième gouvernement Netanyahou sera probablement similaire à celui du précédent, mais il est clair que la nouvelle Knesset changera complétement de visage avec deux grands partis dont la majorité des députés sera nouvelle et jeune.

Les résultats des élections ont renforcé les partis ultra-orthodoxes et ont fait disparaitre de l’échiquier politique le tandem Bennett-Shaked. Le nombre et l’importance des petits partis charnières a été également réduit, notamment les partis arabes.

Eclosion d’une opposition centriste à la Knesset et effondrement du Parti travailliste

L’alliance Bleu Blanc devrait constituer le principal défi de la future coalition. Elle promet une reconfiguration au sein de la Knesset, où elle pourrait représenter un nouveau pôle de taille au centre. À condition que celle-ci conserve l’unité affichée pendant la campagne, comme l’a promis Benny Gantz alors qu’étaient peu à peu dévoilés les résultats : « Ils voulaient un chemin différent et nous leur avons montré, nous n’allons pas abandonner notre devoir public de représenter plus d’un million de personnes qui nous ont demandé quelque chose de différent. » L’ancien chef d’état-major de Tsahal s’est lancé dans la course électorale, fin décembre, en misant sur la volonté de changement d’une partie de l’opinion publique, y compris au sein de l’électorat nationaliste. D’abord rassembleur et consensuel, il a durci son discours pour écorner l’image de « Monsieur Sécurité » collée à Benyamin Netanyahou. Il s’est entouré de deux anciens généraux, dont un transfuge du Likoud, Moshe Ya’alon. Pour quelqu’un dont l’existence politique remonte à quelques mois, ses performances sont plus qu’honorables. Le problème d’une campagne axée sur le “tout sauf Bibi”, c’est que les Israéliens n’aiment pas non plus l’incertitude. Or Benny Gantz est un novice qui n’a pas le charisme de son opposant. Son manque d’aisance dans les discours, devant des salles combles, et ses bégaiements à répétition n’ont pas échappé aux stratèges du Likoud.

Ces élections ont également été marquées par un échec historique du Parti travailliste, qui est passé de 24 sièges en 2015 à 6 sièges aujourd’hui. La plupart des études d’opinion effectuées durant la campagne ont aussi confirmé que les Israéliens penchaient de plus en plus à droite. Un sondage de l’Institut de la démocratie israélienne a démontré qu’en quinze ans, la part de la population se revendiquant de gauche est passée de près de 30 % à seulement 12 %, rapporte le quotidien de centre-gauche Haaretz. Même les fidèles du Parti travailliste ont en partie voté pour Benny Gantz, convaincus qu’il était leur meilleur espoir pour faire barrage à Benjamin Netanyahou. La liste « Bleu-Blanc » a pris beaucoup de voix à la gauche traditionnelle. Mais l’ampleur de la défaite n’était pas anticipée. Les sondeurs prévoyaient jusque début avril que les partis de gauche réussiraient à limiter la casse avec 15 à 20 sièges.

L’effondrement du parti travailliste, qui disposait de 18 députés dans la Knesset sortante, est historique, puisqu’il est le parti fondateur de l’Etat d’Israël, qui a totalement dominé la vie politique du pays jusqu’en 1977.

Possibles scénarios

  • La coalition de Benyamin Netanyahou

Le vote peut être considéré comme un référendum sur les 13 années du gouvernement Netanyahou. Le Premier ministre a non seulement remporté 5 sièges supplémentaires par rapport à la dernière Knesset, mais il a vaincu son grand rival de droite – le ministre de l’Education Naftali Bennett, dont le parti nouvellement créé, le Nouveau parti de droite, n’a pas franchi le seuil électoral.

Le Likoud obtenant le plus grand nombre de voix (26,27%) et compte tenu des bons résultats des partis de droite et des partis religieux, une nouvelle coalition de droite constitue l’option la plus plausible.

  • Les partenaires de la coalition

Le Premier ministre Benyamin Netanyahou devrait probablement créer une coalition de droite forte de 65 sièges avec les partis ultra-orthodoxes (Shas et Judaïsme unifié de la Torah), l’Union des partis de droite, Yisrael Beiteinu et Kulanu. 16 sièges pour les partis ultra-orthodoxes, ainsi que les 5 sièges de l’Union des partis de droite, pourraient accroître l’impact du bloc religieux sur les politiques gouvernementales en ce qui concerne des questions telles que l’engagement des ultra-orthodoxes à l’armée.

Bien que le parti nationaliste Otzma Yehudit ait rejoint la course électorale au sein de l’Union des partis de droite qui a remporté 5 sièges, il ne sera pas représenté à la Knesset. Si l’Union des partis de droite rejoignait la coalition de Netanyahou et si son chef, Betzalel Smotrich, occupait un poste ministériel, il pourrait invoquer la « loi norvégienne », qui permet à un ministre de quitter la Knesset, faisant entrer à sa place un nouveau législateur.

  • Gouvernement d’union

Compte tenu du faible écart entre le résultat des deux plus grands partis, le président Rivlin pourrait encourager le parti bleu et blanc et le Likoud à former un gouvernement d’union. Le dirigeant bleu et blanc, Benny Gantz, a déclaré pendant la campagne électorale qu’il ne siégerait pas au gouvernement Netanyahou, mais pourrait reconsidérer sa décision.

  • Inculpation

Benjamin Netanyahou reste sous la menace d’une inculpation pour corruption, fraude et abus de confiance. Légalement, rien ne le contraint à démissionner et il a d’ailleurs assuré qu’il comptait gouverner « pendant encore de nombreuses années ».

La plupart des analystes estiment qu’il ne démissionnera pas en cas d’inculpation et ira jusqu’au bout des recours, ce qui pourrait prendre des années.

Le Président israélien Reuven Rivlin devrait entamer la semaine prochaine la consultation des chefs de partis avant de désigner le candidat qui sera chargé de former le gouvernement. Certaines statistiques permettent déjà d’appréhender la nouvelle Knesset, mais la liste n’est pas définitive. Sur les 120 membres de la 21e Knesset, 49 siègeront au Parlement pour la première fois, 29 femmes et 8 généraux. 22 membres de la Knesset sont nés hors d’Israël, dont 8 en Europe.