Accuser les Juifs d’être les vrais nazis : le fantasme de tous les antisémites – L’Express – Shany Mor

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Tribune. Pour le chercheur israélien, l’accusation de « génocide » portée contre Israël devant la Cour internationale de justice montre que «l’ombre de la Shoah plane sur toutes les discussions » concernant ce pays.


La guerre d’Israël à Gaza ne constitue pas une violation de ses engagements en tant que partie contractante à la convention de 1948 sur le génocide. Il s’agit, en fait, d’un accomplissement de ses obligations en vertu du traité. Pour Israël, ne rien faire face aux actions du Hamas le 7 octobre, ou écourter ses actions et d’une certaine manière acquiescer à une réalité où cette orgie de meurtres, de viols, de tortures et d’enlèvements pourrait se répéter, constituerait une violation du premier article de la Convention, qui stipule ce qui suit : « Les parties contractantes confirment que le génocide, qu’il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre, est un crime de droit international qu’elles s’engagent à prévenir et à punir ».

Le deuxième article de la convention explique pourquoi il en est ainsi. Il définit le génocide comme « les actes commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel ». Lorsque les Einsatzgruppen du Hamas ont déferlé sur le sud d’Israël le matin du 7 octobre, ils n’ont épargné personne. Il ne s’agissait pas d’une campagne militaire visant uniquement des installations de sécurité ou des infrastructures nationales clés, ou encore des cibles symboliques sur le plan politique, économique ou religieux. Il ne s’agissait pas non plus d’une attaque terroriste contre des civils pris au hasard, destinée à choquer ou à faire pression sur d’autres personnes.

Il s’agissait d’une attaque contre toutes les personnes qui pouvaient être atteintes. Il n’y a pas de récits de personnes épargnées pour quelque raison que ce soit. Partout où les forces du Hamas sont entrées en contact avec des Israéliens, elles ont tué – et si elles n’ont pas tué, c’était pour kidnapper. Les villages frontaliers qui n’ont pas été le théâtre de tirs, de pillages et de meurtres sont ceux où les forces du Hamas ont été repoussées avec succès ou qu’elles n’ont jamais réussi à pénétrer avant d’être finalement vaincues. Partout où les militants du Hamas pouvaient tuer des Israéliens, ils l’ont fait, sans faire la moindre distinction entre soldat et civil, entre homme et femme, entre adulte et enfant, ou même entre juif et arabe.

Rien de tout cela n’est incompatible avec les engagements idéologiques et théologiques fondamentaux du Hamas en tant qu’organisation ou du mouvement plus large dont il n’est qu’une manifestation. Sa charte évoque une conception pathologique et conspirationniste des juifs et appelle ouvertement à leur anéantissement physique. Et ses porte-parole promettent ouvertement d’autres actions du type du 7 octobre à l’avenir. Cela répond à toutes les exigences minimales de la définition de l’article II de la Convention. Il y a l’intention de détruire un groupe national et ce groupe est visé « en tant que tel ». En d’autres termes, le meurtre de civils, membres du groupe cible n’est pas un effet secondaire d’autres actes de guerre, mais le but lui-même, énoncé en paroles et observable en actes.

Si l’État juif a un but quelconque, c’est d’empêcher cela. Et si l’État d’Israël a une quelconque obligation en vertu de la Convention sur le génocide, promulguée l’année de la naissance d’Israël en 1948 et en grande partie en réponse au génocide du peuple juif qui venait de s’achever trois ans auparavant, c’est d’agir avec force contre ce génocide.

Accusation de génocide

À la suite du massacre du 7 octobre, Israël a lancé une offensive militaire massive dans la bande de Gaza. L’aviation israélienne a bombardé des cibles du Hamas et les forces terrestres israéliennes se sont déplacées maison par maison, éliminant les stocks d’armes, les tunnels et les postes de commandement. L’opération a entraîné des destructions massives, le déplacement de la quasi-totalité de la population de la ville de Gaza et de la majorité de la population de l’ensemble de la bande de Gaza, ainsi qu’un nombre de morts nettement supérieur à celui de toutes les guerres israélo-arabes depuis 1982. Les Palestiniens font état d’au moins 22 000 morts, contre quelque 1 500 morts israéliens, dont 1 200 le 7 octobre.

D’après les estimations actuelles, le rapport entre le nombre de morts parmi les non-combattants et les combattants à Gaza se situe quelque part entre 2:1 et 3:1. C’est un chiffre moralement difficile à accepter, mais c’est loin de constituer un crime de guerre. Les guerres menées par les armées occidentales en Irak, en Afghanistan, en Serbie et ailleurs présentaient généralement des ratios légèrement inférieurs ; celles menées par les armées de régimes non démocratiques bien pires. Une comparaison avec les opérations menées contre Daech à Raqqa ou à Mossoul montre que les Israéliens ont mieux protégé les civils tout en infligeant des pertes beaucoup plus importantes à leurs propres forces. Ceci est remarquable car l’environnement de combat à Gaza est beaucoup plus difficile à bien des égards, de la présence de tunnels à la densité de population beaucoup plus élevée – et les attaques du Hamas contre Israël ont été beaucoup plus meurtrières que tout ce que Daech a fait en France ou aux États-Unis.

Mauvaise lecture de la Bible

Les accusations basées sur la rhétorique des dirigeants israéliens sont encore plus faibles. Elles reposent sur des remarques incendiaires faites, entre autres, par une pop star israélienne et un fonctionnaire municipal de niveau moyen. Certaines de ces remarques sont en effet consternantes, mais elles ne diffèrent en rien des remarques que l’on pourrait trouver de la part de personnes tout aussi insignifiantes aux États-Unis après le 11-Septembre ou en France après les attentats de 2015.

Les quelques remarques attribuées à de hauts responsables, dont le Premier ministre et le ministre de la Défense, sont loin d’indiquer une intention génocidaire, même selon l’interprétation la moins charitable. « Nous combattons des animaux humains », a déclaré le ministre israélien de la Défense le 9 octobre, alors que Tsahal combattait le Hamas sur le sol israélien, où certains de ses combattants étaient encore retranchés à Sderot et dans le kibboutz Beeri. Le ministre israélien de l’Énergie a également déclaré qu’il n’y aurait ni électricité ni eau en provenance d’Israël tant que les otages ne seraient pas libérés. Si le fait de ne pas approvisionner son ennemi en électricité et en eau pendant la guerre constitue un crime, alors toutes les armées de l’histoire en sont coupables. Le Premier ministre a évoqué le massacre perpétré par le Hamas au début de la guerre et a cité le commandement biblique selon lequel il faut « se souvenir de ce qu’Amalek vous a fait ». Le mot Amalek a toujours représenté pour les Juifs à la fois un mal ultime et un antisémitisme incorrigible.

Il est invoqué chaque fois qu’il est question de haine violente à l’égard des Juifs, et une brève recherche sur Internet permet de trouver le slogan « souvenez-vous de ce qu’Amalek vous a fait » sur toute une série de brochures et d’affiches politiques en français, en yiddish, en hébreu et dans d’autres langues. Ce slogan figurait sur un prospectus de recrutement pour le mouvement clandestin anti-britannique en Palestine mandataire, et il apparaît sur de nombreux mémoriaux de la Shoah, y compris celui qui a été érigé à La Haye, à quelques pas de la Cour internationale de justice (CIJ) elle-même.

Il existe une longue tradition d’antisémitisme selon laquelle les Juifs font référence à des injonctions rituelles sataniques dans leurs textes sacrés pour une foule de péchés imaginaires, et l’affirmation selon que Benyamin Netanyahou aurait secrètement encouragé les meurtres de masse avec cette injonction n’est pas différente. L’injonction de « se souvenir d’Amalek » est tirée du Deutéronome. La fin violente des Amalécites se trouve dans une autre partie de la Bible (et non dans la Torah), dans le livre de Samuel. Ce sont ces derniers passages qui ont été cités dans tous les commentaires érudits sur le prétendu discours génocidaire de Netanyahou. Il s’agit d’une lecture incroyablement médiocre qui révèle à quel point certains veulent croire à la culpabilité irrémédiable d’Israël.

« Éradiquer un cancer »

Il y a d’autres supposées « déclarations déshumanisantes » attribuées aux dirigeants israéliens, comme lorsque le président israélien a conseillé la patience dans l’effort de guerre d’Israël à Gaza en disant « il faudra du temps pour éradiquer un cancer ».

Hormis, bien sûr, que ce n’était pas le président d’Israël, c’était le président Obama qui décrivait la guerre contre Daech, celle qui comprenait les batailles de Raqqa et de Mossoul citées plus haut. Il ne devrait même pas être nécessaire de le dire, mais : Obama n’appelait pas à un génocide. Cela est clair en voyant le contexte complet de cette citation, ainsi qu’en jetant un regard critique sur les objectifs et les méthodes de l’opération menée par les États-Unis, ainsi que sur le type d’ennemi que ces derniers combattaient. Tout cela est également vrai pour Israël.

Malgré cela, aucune accusation de génocide n’a été portée à l’époque. Cela ne s’explique pas par les différences de pouvoir, ni par l’hypocrisie, ni par le fait que le monde est si injuste. L’explication est bien plus profonde. L’ombre de la Shoah, longue, persistante et indélébile, plane sur toutes les discussions sur Israël et sur toutes les conversations sur les juifs et la violence. Il est impossible de comprendre à quel point Israël dérange les intellectuels occidentaux sans comprendre à quel point la Shoah les dérange, les hante, les effraie et, à l’occasion, les fait vibrer.

L’année dernière, j’ai pris la parole lors d’une conférence à l’Institut d’Oslo pour la Recherche sociale. Je n’avais aucune idée du fait que le Hamas préparait son massacre du 7 octobre et, de toute façon, c’était loin d’être le sujet du travail que je présentais, mais j’ai dit à mon auditoire que lors de la prochaine flambée de violence israéloarabe, Israël serait accusé de « génocide » par des activistes et des ONG bien-pensants. Comment l’ai-je su ? La campagne visant à s’approprier ce mot au nom de la haine pathologique et obsessionnelle d’Israël s’inscrivait dans le prolongement des campagnes rhétoriques antérieures concernant les termes « punition collective », « nettoyage ethnique » et « apartheid », entre autres. Des éléments marginaux utilisaient déjà le terme, tandis que le courant principal des organisations de défense des droits de l’homme affichait une réticence simplissime et manifestement temporaire à son égard.

Quelques jours avant mon intervention à Oslo, on a demandé à Francesca Albanese, rapporteur spécial des Nations unies sur les territoires palestiniens occupés, si elle utiliserait le mot « génocide » pour décrire les actions d’Israël. « Personnellement, je ne le fais pas parce que je veux être absolument sûre de l’argument que je vais avancer. Et j’y arriverai. J’y arriverai. » Moins d’un an plus tard, elle y est parvenue, et ce n’est pas une coïncidence, elle y est parvenue dans le sillage immédiat non pas d’une action israélienne, mais d’une action dirigée contre Israël. Les accusations de génocide ont commencé à la suite du massacre du 7 octobre, bien avant qu’Israël n’ait commencé à mettre en place une réponse militaire substantielle. Là encore, il s’agit d’un schéma bien connu. Les précédentes escalades rhétoriques contre Israël ont généralement eu lieu sur fond d’atrocités terroristes commises à son encontre. Albanese n’était pas la seule à y parvenir.

Tragédie pour les Palestiniens

Traîner les juifs devant un tribunal spécial pour les accuser d’être les vrais nazis, tel est le fantasme de tous les antisémites depuis que le premier coup de marteau a retenti à Nuremberg en 1946. C’est le sombre fantasme qui sous-tend l’insistance, depuis des décennies, à parler des actions controversées d’Israël toujours en termes de « crimes de guerre ». C’est pour cette raison, et non pour une mauvaise compréhension d’arguments juridiques complexes, que toutes les actions militaires israéliennes de la dernière moitié du siècle ont été critiquées comme des « punitions collectives » ou des « disproportions ». Tant que la Shoah occupera une place importante dans la conscience civilisée, certains d’entre nous projetteront leurs peurs et leur malaise de la manière la plus transparente qui soit.

Les dommages causés par cette obsession sont énormes, tant pour la cause des droits de l’homme que pour les personnes dont cette obsession prétend se préoccuper, les Palestiniens toujours sans État.

Le fait qu’il soit impossible aujourd’hui de pénétrer le milieu des défenseurs de la justice mondiale, du changement climatique, du droit international ou de la santé mondiale sans adhérer à la théologie d’un État juif unique et malfaisant faisant obstacle à la paix dans le monde est une parodie morale, mais ce n’est pas un accident. Une panoplie de mauvais acteurs issus de régimes résolument non progressistes ont énormément profité de la transformation des institutions post-1945 censées protéger les plus vulnérables du monde en des lieux de discussion sur la haine d’Israël. Toutes les institutions bien intentionnées et toutes les causes progressistes qui ont été colonisées par l’activisme antiisraélien en sont ressorties vidées de leur substance et hors de propos.

Si la convention sur le génocide suit le même chemin que, par exemple, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies et devient une disposition vide de sens utilisée par des régimes en déliquescence et de riches pétro-dictatures pour mobiliser la haine contre Israël et détourner l’attention de leurs propres problèmes, nous en serons tous plus appauvris.

Pour les Palestiniens, la tragédie est encore plus grande. Le meilleur espoir pour le peuple palestinien et la cause palestinienne reste de faire la paix avec Israël et d’établir un État à ses côtés, plutôt que de gaspiller une autre génération dans une tentative inutile de l’éliminer. Ce qui a empêché les Palestiniens d’accepter leurs défaites antérieures, c’est le déni de leur défaite et l’invention d’un contrerécit de victimisation illimitée.

Cette forme d’amnésie confère une sorte de victoire morale qui efface la défaite réellement vécue, mais elle garantit également la répétition des erreurs et des fantasmes qui ont conduit à la catastrophe précédente.

* Shany Mor est chercheur au Israel Democracy Institute