Depuis 2015, une centaine de raids aériens ont été menés contre des cellules de l’État islamique.
Le secret était déjà en partie fissuré. À plusieurs reprises depuis l’été 2015, des groupes djihadistes opérant depuis la péninsule égyptienne du Sinaï ont accusé Israël d’y mener des frappes aériennes contre leurs membres. Les deux pays, de leur côté, firent tout pour préserver le mystère sur les détails et l’ampleur de cette campagne – jusqu’à ce que le New York Times révèle le pot aux roses. Selon les témoignages de hauts responsables américains et britanniques cités dimanche par son correspondant au Caire, plus d’une centaine de frappes conduites par des drones, des hélicoptères de combat ou des avions de chasse israéliens ont, au cours des deux dernières années, visé des cellules du groupe État islamique dans cet immense territoire désertique. Ni l’État hébreu ni l’Égypte n’ont réagi à ces affirmations.
L’armée israélienne, confrontée de temps à autre à des tirs de roquette en provenance du Sinaï, se borne en général à indiquer qu’elle ne laissera pas impunément violer sa souveraineté par les djihadistes qui opèrent à sa frontière. Mais l’incapacité des militaires égyptiens à rétablir l’ordre dans le Sinaï l’a progressivement incitée à assumer un rôle plus actif. Le coup de force du maréchal Abdel Fattah al-Sissi, au cœur de l’été 2013, puis son élection à la présidence du pays ont coïncidé avec une intensification de l’insurrection djihadiste dans le nord de la péninsule. Des centaines de militaires égyptiens y ont depuis lors été tués. Le 31 octobre 2015, un avion russe qui venait de décoller de Charm el-Cheikh a été détruit dans un attentat revendiqué par la branche locale de l’État islamique.
Les généraux de Tsahal, craignant que le terrorisme djihadiste ne se retourne à terme contre Israël, n’ont pas ménagé leur soutien à l’armée égyptienne. Après le renversement du président islamiste Mohammed Morsi et l’arrivée au pouvoir du maréchal al-Sissi, ils ont considérablement assoupli l’annexe 3 du traité de paix signé en 1979 par les deux pays. Les hélicoptères et les F-16 égyptiens survolent désormais librement la péninsule du Sinaï à la poursuite des djihadistes. «Il est même arrivé que leurs appareils pénètrent par erreur dans notre espace aérien, confie un ancien haut responsable israélien, mais l’excellente coordination entre nos deux armées nous a permis de gérer ces incidents sans qu’ils dégénèrent.»
Stricte censure de l’armée
La transmission d’informations recueillies par les renseignements militaires israéliens à leurs homologues égyptiens a également été accentuée. «Dans un certain nombre de cas où les forces armées égyptiennes ne sont pas en mesure d’intervenir à temps sur la base des indications que nous leur transmettions, il arrive que nos appareils procèdent à des frappes au Sinaï – avec l’accord plein et entier des autorités égyptiennes», poursuit l’ancien responsable israélien. L’impact de cette contribution sur l’équilibre des forces est cependant difficile à déterminer.
Selon le New York Times, cette collaboration sans précédent entre deux pays, qui se sont affrontés à trois reprises avant de faire la paix en 1979, a été personnellement approuvée par le président égyptien. Les marquages permettant d’identifier les hélicoptères impliqués dans ces frappes auraient été dissimulés et l’armée israélienne aurait ordonné une stricte censure sur ces opérations. La fermeture du Sinaï aux journalistes a aussi contribué à ménager les apparences. Ces efforts auraient notamment pour objectif de ne pas embarrasser les autorités égyptiennes. «Le président al-Sissi ne cherche pas à cacher l’étroite relation de travail qui unit nos deux pays, glisse l’ancien responsable israélien, mais il sera sans doute très contrarié de voir exposé publiquement le fait que l’armée égyptienne est incapable de gérer seule la menace djihadiste – et ce d’autant plus que nous sommes à quelques semaines de l’élection présidentielle.»