L’Edito hebdomadaire du 7 Février 2022

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Israël sur le fil : jeu d’équilibriste face à la Russie

Se dirige-t-on vers une guerre en Ukraine ? Telle est la question lancinante qui occupe bon nombre d’experts et de journalistes depuis avril 2021, alors que 100 000 soldats russes ont été déployés en Crimée annexée, aux frontières Nord avec la Biélorussie et à l’Est, et que les pièces d’artillerie, véhicules blindés et missiles balistiques avec une portée de 500km continuent d’affluer en nombre, à moins de 300 km de Kiev. Les analyses se multiplient sur les scénarios possibles de guerre, toujours limités par le mystère entourant les réelles intentions de Vladimir Poutine. Une chose au moins est sûre : celle d’une manifestation de force évidente avec un déploiement matériel conséquent et la capacité à maintenir élevé le niveau psychologique de la menace. Les Américains, quant à eux, souscrivent depuis le début à l’idée d’une guerre imminente : « Tout indique [que Poutine] va faire usage de la force militaire à un moment donné, peut-être entre maintenant et mi-février », déclarait fin janvier la vice-secrétaire d’Etat Wendy Sherman. La question n’est pas tant de savoir si ces multiples signaux sont à prendre pour ce qu’ils sont, à savoir les prémices d’un affrontement inéluctable que la Russie déclencherait la première, mais davantage une menace qui ne serait mise à exécution que si les Américains et l’OTAN choisissent eux-mêmes d’ouvrir les hostilités.

Les calculs de Poutine ont été jusqu’à présent raisonnables. La Russie ne s’est engagée que dans des conflits qu’elle pouvait gagner ou arbitrer : en Géorgie, en Biélorussie, au Haut-Karabagh…et ce sans combats militaires conséquents. Sa force : la guerre hybride, ou l’art de déstabiliser ses adversaires américain et européens de multiples manières : soutien et formation de milices locales, attaques cyber, ingérence dans les campagnes présidentielles, chantage humanitaire en déployant à la frontière polonaise des flux de migrants en transit par la Biélorussie…Le scénario le plus probable car le plus réaliste semble donc être le suivant : opérer une jonction terrestre entre le Dombass, pas encore annexé, et la Crimée, qui l’est déjà, dans le but de réunifier les populations russophones de ces régions Est et Sud de l’Ukraine. Ce qui aurait pour conséquence de saper pour de bon l’autorité du Président Zelensky et de poursuivre la mise au pas d’un pays en ébullition, par une recrudescence des attaques cyber.

Et Israël dans tout ça ? Quel est le positionnement de l’État hébreu face à un conflit qui le met, de fait, dans la délicate situation de l’équilibriste ? Israël entretient avec l’Ukraine et la Russie des relations diplomatiques nourries depuis les accessions au pouvoir respectives de Poutine et Zelensky, qui ont œuvré chacun à leur manière à protéger l’héritage juif des deux pays. Nombre d’oligarques des deux bords de la Mer Noire possèdent la nationalité israélienne et sont investis dans la vie économique de la start up nation, à l’image d’un Roman Abromovitch ou d’un Ihor Kolomoysky. Les hôtels luxueux de Tel Aviv sont un terrain de jeu où les affaires vont bon train lorsqu’elles sont empêchées à Moscou ou à Kiev. Israël est donc un safe space, à l’abri de toute ingérence politique ou cyber russe, ce dont ne peuvent se targuer ni les États-Unis, ni aucune puissance européenne. Israël n’est pas membre de l’OTAN, ce qui rassure la Russie. Malgré son assurance-vie fournie par les États-Unis, l’État hébreu doit prendre en considération le vide progressif laissé par son parrain au Moyen-Orient, espace que la Russie a déjà commencé à occuper en Syrie en maintenant Bachar El Assad au pouvoir et en participant activement à la reconstruction de ce pays ravagé par la guerre civile. La Russie y tient le rôle de stabilisateur en contenant les prétentions iraniennes grâce à sa coopération avec l’armée de l’air israélienne. En effet, un accord tacite permet à cette dernière de frapper les infrastructures du Hezbollah en Syrie.

Être dans les bonnes grâces de Moscou est donc une nécessité stratégique pour Jérusalem, qui ne peut s’autoriser de se mettre à dos le Kremlin. Les sanctions annoncées par les Américains en cas de déclenchement des hostilités par les Russes en Ukraine ne feraient que renforcer le ressentiment de Poutine, avec pour conséquence probable son refus de faire pression sur l’Iran pour aboutir à un accord nucléaire. On le voit donc, Israël est une donnée indirecte mais importante de ce conflit, qui a tout à gagner à ce que ce dernier n’éclate pas.

De manière générale, la communauté internationale se doit d’être attentive à trois points : du côté de l’Europe, préserver la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine ; du côté des États-Unis, empêcher le rapprochement de la Russie avec la Chine et in fine, du côté israélien et de ses alliés au Moyen-Orient, continuer à s’assurer du soutien russe sur le dossier du nucléaire iranien.