« La question d’un éventuel dialogue de l’Iran avec les Etats-Unis en soulève une autre : à quelle fin ? » (Alain Frachon – Le Monde)

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Une rencontre entre les présidents Donald Trump et Hassan Rohani n’a rien de sûr, mais il faut bien commencer quelque part, estime, dans sa chronique, Alain Frachon, éditorialiste au « Monde ».

Quelles sont les chances de dialogue entre les Etats-Unis et l’Iran sur le programme nucléaire de la République islamique ? Le seul fait de poser cette question est un progrès. On s’interrogeait jusqu’alors sur les risques de guerre entre les deux pays dans le golfe Arabo-Persique. N’en déplaise aux docteurs « y a qu’à » et éternels esprits chagrins, ce glissement thématique est largement dû aux efforts du président français Emmanuel Macron.

Loin de l’empressement médiatique, la diplomatie est affaire de temps. Quand le secrétaire d’Etat américain Henry Kissinger négociait un désengagement entre les armées arabe et israélienne, dans les années 1970, il y mettait des mois – sans être sûr du résultat. Les pourparlers sur le contrôle des armes nucléaires durant la guerre froide prenaient des années. La diplomatie, cette volonté de prendre le pas sur le tumulte des passions, est un boulot ingrat. Le succès n’est jamais garanti et, en démocratie, ne rapporte guère de voix.

Un double objectif

Le bilan du G7 de Biarritz (Pyrénées-Atlantiques) – la réunion annuelle de l’Allemagne, du Canada, des Etats-Unis, de la France, de l’Italie, du Japon, du Royaume-Uni – sur l’affaire nucléaire iranienne est une ouverture : la possibilité d’une rencontre entre les présidents américain Donald Trump et iranien Hassan Rohani. Rien n’est sûr, mais il faut bien commencer quelque part.

La présence du ministre iranien des affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, sur la côte des Basques témoignait peut-être d’un changement de climat. Informé au préalable de cette visite, Trump ne s’y est pas opposé, même s’il n’a pas rencontré l’Iranien. De même, celui-ci ne se serait pas rendu à Biarritz sans le feu vert implicite du Guide suprême de la République islamique, l’ayatollah Ali Khamenei, le vrai patron à Téhéran.

Résultat ? « Dans certaines circonstances », Trump juge « réaliste » une prochaine rencontre – à l’ONU en septembre ? – avec Rohani. Sous certaines conditions, notamment la levée des sanctions américaines – de certaines sanctions ? – qui pèsent sur l’Iran, Rohani est prêt à s’entretenir avec le président américain.

En dénonçant unilatéralement, en mai 2018, l’accord de mise sous contrôle international du programme nucléaire iranien, conclu à Vienne le 14 juillet 2015, Trump avait un double objectif. Il voulait un accord plus contraignant. Il souhaitait y inclure des clauses limitant l’arsenal de missiles balistiques iraniens et l’expansionnisme de Téhéran dans le monde arabe.

Un an de sanctions américaines a asphyxié l’économie de l’Iran, mais Khamenei se refuse toujours à une nouvelle négociation. Trump pariait sur la reddition rapide de Téhéran par épuisement économique. Il l’attend encore. Khamenei comptait sur l’aide économique et financière des autres signataires – Européens, Chinois, Russes – de l’accord de Vienne. Elle n’est pas venue. Biarritz repose sur une hypothèse optimiste : et si les deux protagonistes cherchaient une porte de sortie ? A tout le moins peut-on spéculer sur leurs motivations réciproques.

A Washington, Trump, comme d’habitude, ne pense qu’à lui – enfin, à sa réélection. Il est en campagne. Novembre 2020, c’est demain. Les provocations répétées des Iraniens dans le détroit d’Ormuz peuvent conduire à un engagement armé avec les Etats-Unis. Le président n’en veut pas (les Iraniens le savent, bien sûr). Trump a été élu sur la promesse de mettre fin à la série de campagnes moyen-orientales menées depuis trente ans par les Américains. Il entend sortir d’Afghanistan d’ici à novembre 2020, quitter définitivement la Syrie et, plus progressivement, l’Irak. Une nouvelle guerre, avec l’Iran, signerait la fin de ses espoirs de deuxième mandat.

Il a contre lui ses plus proches collaborateurs, John Bolton, au Conseil national de sécurité de la Maison Blanche, et Mike Pompeo, le secrétaire d’Etat, deux farouches partisans d’un changement de régime à Téhéran – dont Trump a redit à Biarritz qu’il ne voulait pas – appuyés par Israël et l’Arabie saoudite. L’estimation des milieux du renseignement israélien, telle que le quotidien Haaretz la rapporte, est intéressante. S’il n’en tenait qu’à Trump, le scénario d’une rencontre à l’automne entre le président et Rohani leur paraît tout à fait plausible. En revanche, il leur semble tout aussi probable que Khamenei s’y opposera.

Rien n’est simple en République islamique

Chez Donald Trump, la satisfaction d’un ego surdimensionné, cette énorme bouffissure du moi, l’emporte sur toute autre considération. Chez Khamenei, il en va différemment. Le Guide vit dans le luxe, il aime le pouvoir. Mais il partage sans doute encore une part du credo originel de la République islamique : la détestation de l’Occident et plus particulièrement des Etats-Unis ; un radicalisme anti-israélien toujours proclamé et la négation de la Shoah ; la conviction d’incarner un modèle de société supérieur aux autres.

La question pour le Guide, dont la succession approche, est de savoir si le désastre économique et social provoqué, notamment par les sanctions américaines, ne représente pas, à terme, un risque mortel pour la République islamique et pour les groupes d’intérêt dont Khamenei est le porte-parole. Le front des « durs » à Téhéran n’est pas uni. L’un des leurs, l’ex-président Mahmoud Ahmadinejad, se confiant fin juillet au New York Times, appelait à un dialogue urgent avec Trump.

Mais, comme rien n’est simple en République islamique, la question d’un éventuel dialogue avec les Etats-Unis en soulève une autre : à quelle fin ? S’il a lieu, s’agira-t-il d’une ruse tactique de bazari pour obtenir un début de levée des sanctions puis faire traîner les choses ? Ou s’agira-t-il de la décision stratégique d’un régime assez sûr de lui pour affronter l’ouverture à l’ouest ? La lutte contre la prolifération nucléaire au Moyen-Orient justifie qu’on avance sans avoir de certitude. C’est le propre de la diplomatie.