Un an après l’élimination du général Soleimani ordonnée par Donald Trump, Téhéran a gardé sa puissance de feu en Irak et en Syrie.
Un an après sa liquidation sur ordre de Donald Trump, l’Iran continue d’entretenir «l’héritage glorieux» du «martyr» Qassem Soleimani, le tout-puissant chef de la Force al-Qods, pulvérisé le 3 janvier 2020 par un tir de drone, près de l’aéroport de Bagdad. Celui qui permit à la République islamique d’étendre son influence en dehors de ses frontières au Moyen-Orient.
Depuis bientôt une semaine, la télévision d’État le montre dans ses bureaux, répondant à l’appel désespéré du chef kurde irakien, Massoud Barzani, alors que les djihadistes de Daech marchaient à l’été 2014 sur Erbil. Ou son allié, l’islamiste palestinien Mahmoud Zahar raconter comment Soleimani remit 22 millions de dollars en cash, dans huit valises, aux membres d’une délégation du Hamas, venus à Téhéran en 2006. Et la République islamique, qui n’avait riposté que par des tirs de missiles sur une base irakienne où étaient stationnés des soldats américains – et après les avoir prévenus – continue de crier vengeance. Ses «assassins» ne seront «nulle part en sécurité», a averti le chef de l’Autorité judiciaire, Ebrahim Raïssi, vu comme un possible successeur du numéro un du régime, l’ayatollah Ali Khamenei. Donald Trump serait même dans le viseur. «Ne pensez pas que quelqu’un comme le président de l’Amérique, qui apparaît comme un assassin ou qui a ordonné un assassinat, peut s’en tirer (…) Jamais», a dit M. Raïssi.
À l’approche de l’anniversaire, chaque camp avait montré ses muscles. Fin novembre, le porte-avions américain USS Nimitz avait été déployé dans le Golfe, et deux bombardiers américains B-52 ont survolé la région le 10 décembre. Mais depuis, selon le New York Times, le Pentagone a ordonné le retour du Nimitz. Un signal de «désescalade» envoyé à Téhéran pour éviter un conflit d’ici au départ de Trump, le 20 janvier, de la Maison-Blanche. Et alors que Téhéran mise sur une reprise des contacts diplomatiques avec l’Administration Biden pour lever les sanctions qui frappent si durement son économie.
Si la perte de celui qui permit à l’Iran d’étendre son influence en Irak, en Syrie et au Yémen, fut symboliquement considérable, elle n’a pas entraîné d’affaiblissement significatif, ni au sein de son unité d’élite (al-Qods), ni chez les gardiens de la révolution, en charge de la protection du régime, et dont la Force al-Qods est issue. Sur le plan interne, les gardiens de la révolution ont même encore renforcé leur grippe sur la scène politique locale et sur l’économie. Un de leurs hommes, Mohammed Ghalibaf, a été élu président du Parlement, en février, et un autre militaire pourrait être candidat à la présidentielle de juin, lorsque les Iraniens éliront un successeur au président modéré Hassan Rohani, lequel n’a jamais pu rogner les ailes de ses puissants rivaux. Loin d’avoir affaibli la République islamique, comme l’ont martelé Donald Trump et son secrétaire d’État, Mike Pompeo, cette exécution n’a fait que renforcer les «durs» au sein du système iranien.
En réaction à l’assassinat imputé à Israël du scientifique Mohsen Fakhrizadeh, fin novembre près de Téhéran, le Parlement aux mains des conservateurs a adopté une loi demandant au gouvernement d’enrichir l’uranium à 20 %, bien au-delà de ce qui est autorisé par l’accord nucléaire de 2015, signé par Téhéran et les grandes puissances. Pour accroître la pression, le 1er janvier, l’Iran a signalé à l’Agence internationale de l’énergie atomique son intention de produire – mais sans donner de date – de l’uranium enrichi à 20 %, ce qui rapprocherait l’Iran de la possession de l’arme nucléaire.
«Axe de la résistance»
Hors d’Iran, la disparition de Soleimani et son remplacement par Esmaïl Qaani, qui n’a pas son charisme, n’a pas déstabilisé les réseaux iraniens. Certes en Irak voisin, où des manifestations ont eu lieu dimanche en la mémoire de Soleimani, Qaani n’a pas l’autorité dont jouissait son prédécesseur auprès des responsables politiques locaux, mais les relais de Téhéran – trois ou quatre milices chiites – ont subsisté. «Certains de leurs chefs se cachent en Iran parce qu’ils ont peur de se faire “droner” par les Américains», confie au Figaro un ancien député irakien, «mais les milices pro-Iran ont gardé un important pouvoir de nuisance sur le premier ministre et sur l’État», regrette-t-il. Des divisions internes sont apparues, et également de nouvelles milices. Mais quel jeu joueraient ces dernières? Probablement celui d’un paravent pour éviter les représailles contre les plus anciennes, exposées aux frappes américaines.
Quant à la Syrie, relève l’expert Omar Abou Layla, «l’Iran exploite les difficultés économiques actuelles pour attirer des chefs de tribus en leur offrant de l’argent, des jeunes pour être recrutés dans ses milices en échange d’un salaire, et aux enfants et à leurs familles des incitations pour devenir chiite». Après son appui militaire qui permit de sauver Bachar el-Assad, Téhéran se dote d’un soft power pour s’assurer que la Syrie restera un pion-clé de l’«Axe de la résistance» aux États-Unis, à Israël et aux monarchies arabes sunnites du Golfe. Cet axe reliant Téhéran à Bagdad en passant par le Yémen et le Liban, que Soleimani avait patiemment renforcé.