L’attaque vise une relation commerciale bourgeonnante avec les monarchies arabes, fruit des accords de normalisation signés avec Israël en septembre 2020.
Une nouvelle ère de provocations militaires et de ripostes s’est ouverte entre Téhéran et ses rivaux régionaux, après des mois de retenue iranienne. Lundi 1er mars, le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a attribué à Téhéran l’attaque d’un navire marchand israélien, survenue vendredi dans le golfe Persique, en signalant une possible réplique à venir. « C’est clairement une opération iranienne, c’est évident », a-t-il affirmé, tandis que l’Iran lui-même en faisait peu mystère.
Dimanche, le quotidien ultraconservateur Kayhan, porteur régulier de messages semi-officiels et dirigé par un homme nommé par le Guide suprême, avait affirmé que « l’attaque du navire a été le fait de l’axe de la résistance », c’est-à-dire du réseau d’alliances mené par Téhéran dans la région. Dans le golfe d’Oman, le navire était potentiellement à portée de tir des rebelles houthistes du Yémen, alliés de Téhéran. Mais cette formulation préservait surtout la possibilité de nier une implication directe. Lundi matin, le porte-parole du ministère iranien des affaires étrangères a rejeté l’accusation de M. Nétanyahou.
Parti du port d’Eilat deux semaines plus tôt, chargé d’automobiles, le MV Helios-Ray avait déchargé mercredi au port saoudien de Dammam, situé sur la côte orientale du pays, face à l’Iran, et devait se rendre à Singapour. Il battait pavillon des Bahamas et ne figurait pas sur la liste des navires israéliens civils auxquels le Shabak, le renseignement intérieur, fournit une assistance. Accosté depuis à Dubaï, il présentait des traces d’impact au-dessus de la ligne de flottaison. Le doute demeurait lundi pour savoir s’il avait été touché par une mine ou par un missile qui aurait traversé sa coque. En tous les cas, selon les analystes de défense de la presse israélienne, l’attaque paraît avoir été planifiée et menée de manière à infliger des dommages limités – les 28 membres d’équipages sont indemnes, aucun n’était israélien.
« Axe de la résistance »
Cette attaque vise un point fragile : depuis la normalisation historique des relations d’Israël avec les Emirats arabes unis et Bahreïn, en septembre 2020, le trafic commercial entre le port d’Eilat et le Golfe a significativement augmenté. En s’en prenant à l’un de ces navires, Téhéran signale que cette relation économique bourgeonnante est à sa portée. Ce n’est pas la première fois que l’Iran s’en prend à un navire civil israélien naviguant sous pavillon étranger, et Israël peut « contenir l’événement », notait dimanche le correspondant militaire du quotidien Yediot Aharonot, Alex Fishman, c’est-à-dire répliquer de manière limitée.
Israël se prépare depuis des mois à de telles attaques, après l’assassinat du physicien nucléaire iranien Mohsen Fakhrizadeh, en novembre 2020 près de Téhéran, mais surtout alors que l’Iran s’apprête à négocier pour préserver l’accord international sur son programme nucléaire (JCPoA). Le renseignement militaire israélien estime que l’arrivée de Joe Biden à la présidence américaine, en janvier, a levé l’interdit qui pesait contre les opérations militaires iraniennes dans la région, en faisant disparaître la crainte d’un geste radical, durant la fin de mandat de M. Trump.
Le quotidien Kayhan l’affirme lui-même : « Les opérations de l’axe de la résistance en Syrie et en Irak, ainsi que les avancées militaires des révolutionnaires yéménites ces derniers jours, et aujourd’hui l’attaque contre le navire de guerre israélien, se déplaçant sous couvert de navire marchand et battant pavillon d’un autre pays, démontrent que la période où les agissements israéliens restaient sans réponse est révolue. »
Créer un levier de négociation
Dans cette phase sensible, Téhéran a intérêt à démontrer son pouvoir de nuisance pour se créer un levier de négociation. C’est ainsi que sont comprises en Israël les attaques contre des bases américaines menées ces dernières semaines en Irak, premières entorses sérieuses à une trêve décrétée en octobre 2020 par les milices chiites pro-iraniennes du pays. Ces attaques ont suscité une première réponse militaire de la nouvelle administration américaine, le 25 février : des frappes à la frontière irako-syrienne. C’est également ainsi que sont perçues des attaques récentes des rebelles houthistes du Yémen contre l’Arabie saoudite.
Face aux négociations sur le dossier nucléaire voulues par M. Biden, Israël pour l’heure se satisfait des consultations auxquelles l’a convié l’administration démocrate, et ne paraît pas décidé à s’engager dans une opposition frontale à Washington, comme il l’avait fait en 2015. L’Etat hébreu préfère appeler son allié à la patience, en estimant que rien ne presse pour conclure trop vite un « deal », tant que les sanctions massives décrétées sous la présidence Trump demeurent en place.
Sur ce dossier, Israël aura à coordonner ses efforts avec les puissances du Golfe, elles aussi fort inquiètes. Selon l’ancien patron du renseignement militaire, Amos Yadlin, leurs intérêts sont complémentaires. Pour Israël, la priorité demeure la capacité nucléaire de Téhéran. « Les pays du Golfe, quant à eux, sont plus inquiets des activités de subversion de l’Iran dans la région, de ses milices et de ses missiles, estime M. Yadlin. Ils veulent s’assurer que les Etats-Unis ne ferment pas les yeux [sur ces activités] au profit des négociations, et veulent un accord international élargi » à ces questions. Ce qui n’est pas une priorité d’Israël.