L’Iran, premier test international de Joe Biden (Isabelle Lasserre – Le Figaro)

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Téhéran fait monter les enchères avant une éventuelle discussion avec la future Administration.

Avec l’affaire Navalny, ce sera le premier test international de la nouvelle Administration Biden et on peut déjà dire qu’il paraît mal engagé. Depuis le début de l’année, les Iraniens ont à nouveau accéléré le rythme auquel ils violent l’accord sur le nucléaire de 2015, le JCPOA. Ils ont d’abord annoncé la reprise de l’enrichissement de l’uranium à 20 %, une étape importante dans leur marche vers la bombe, qui fait franchir un saut qualitatif au programme nucléaire militaire. Les autorités iraniennes ont aussi annoncé leur intention de relancer la production d’uranium métal, un composant pouvant être utilisé pour fabriquer des armes nucléaires. Elles menacent par ailleurs de remettre en cause le régime d’inspection de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), le gendarme du nucléaire.

Ce nouveau durcissement de la position iranienne a plusieurs explications. Certains experts y voient une réponse à l’assassinat, le 27 novembre dernier, d’un grand ponte du programme nucléaire iranien, le scientifique Mohsen Fakhrizadeh. D’autres y décèlent une manifestation de politique intérieure et notamment de la lutte entre les durs et les modérés. Les infractions à l’accord sur le nucléaire sont aussi, pour Téhéran, le moyen de se doter d’un instrument de négociation vis-à-vis de Washington et de leviers supplémentaires avant d’éventuelles concessions.

La situation s’est aussi dégradée du côté américain, où l’Administration Trump fait tout pour compliquer la reprise du dialogue avec l’Iran espérée par Joe Biden. À cinq jours de la prise de fonctions du nouveau président élu, le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo a lancé une nouvelle salve de sanctions contre l’Iran, notamment dans le domaine du transport maritime. Il a aussi accusé l’Iran d’être la «nouvelle base» d’al-Qaida, pire que l’Afghanistan avant le 11 septembre 2001… Autant d’obstacles destinés à tuer dans l’œuf les velléités d’une «détente» entre Washington et Téhéran.

Mais les nominations de l’équipe rapprochée du nouveau président américain confirment qu’il a donné un caractère prioritaire à la reprise des négociations avec l’Iran. Qu’il s’agisse du chef de la diplomatie, Antony Blinken, du conseiller à la sécurité nationale, Jack Sullivan, ou du nouveau patron de la CIA, William Burns, tous sont des hommes qui ont été associés de près aux négociations de l’accord nucléaire menées par l’Administration Barack Obama.

Le chemin de la réconciliation reste pourtant très étroit. La fenêtre d’opportunité ouverte par l’installation d’une nouvelle Administration américaine va vite se refermer, à la fin du printemps, avant l’élection présidentielle iranienne du mois de juin. Joe Biden a par ailleurs toujours lié la reprise des négociations à leur élargissement aux questions régionales, au programme balistique et à l’après-JCPOA, qui expire dans quelques années. Il doit aussi tenir compte de la position des alliés de l’Amérique au Moyen-Orient, notamment Israël et l’Arabie saoudite. Ils ont toujours critiqué l’accord nucléaire et réclamé davantage de mesures pour limiter la progression de l’influence iranienne dans la région et l’effet déstabilisateur qu’elle y exerce. Or, sur tous ces points, les autorités iraniennes ont pour l’instant répondu non.

Quant aux Européens, représentés dans le club UE3 par la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne, ils ont «sauvé» le JCPOA après le retrait américain de 2018 en le tenant à bout de bras mais n’ont pu empêcher qu’il se vide de sa substance. Dans leur réprobation du redémarrage de l’enrichissement à 20 %, «Ils n’ont pu obtenir d’être rejoints par la Russie et la Chine. Il semble que les Russes et les Chinois aient pour seule ligne rouge le maintien du régime d’inspection. Ce qui laisse beaucoup de marge à l’Iran pour intensifier son programme nucléaire», note le diplomate Michel Duclos dans une note pour l’Institut Montaigne,

Dans l’histoire récente, la communauté internationale a déjà été surprise par des pays qui ont réussi à mener à terme leur programme nucléaire militaire plus rapidement que prévu, comme le Pakistan ou la Corée du Nord. Le même scénario va-t-il se répéter avec l’Iran? C’est le sens de l’avertissement lancé dimanche par Jean-Yves Le Drian dans le Journal du Dimanche .«Il est urgent de dire que cela suffit», a affirmé le ministre des Affaires étrangères, constatant que l’Iran est en train d’acquérir l’arme nucléaire.

Même si les États-Unis et l’Iran revenaient dans le JCPOA, la communauté internationale ne retrouverait pas la marge de sécurité qu’elle avait en 2015. Car si certaines violations de l’accord par les Iraniens sont réversibles, ce n’est pas le cas de la recherche et du développement, ni du savoir faire acquis dans la modernisation des centrifugeuses.