Comment l’Iran a été piégé par la frappe contre Soleimani (Georges Malbrunot – Le Figaro)

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La riposte américaine est venue trop tôt dans la stratégie de Téhéran, qui tablait sur une escalade à l’été prochain.

Pour le troisième jour consécutif, des étudiants ont manifesté lundi à Téhéran contre leur gouvernement qui a abattu «par erreur», mercredi, un Boeing ukrainien, tuant 176 passagers, dont de nombreux Iraniens. «Ils ont tué nos élites, remettez les mollahs à leur place!», ont scandé lundi des étudiants de l’université Sharif, l’École polytechnique iranienne, allusion aux religieux que de nombreux habitants de la République islamique voudraient voir céder le pouvoir qu’ils occupent depuis 1979.

La veille, on pouvait voir sur des vidéos des manifestants arracher des portraits du général Qassem Soleimani, tué le 3 janvier sur ordre de Donald Trump, et d’autres réclamer le départ du guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei. En signe de solidarité, des artistes ont décidé de boycotter le prochain festival des arts al-Fajr de Téhéran. Le reste de la population va-t-il emboîter le pas à ces manifestants, dont les actions se sont étendues à quelques villes de province, mais qui restent pour l’instant d’ampleur limitée?

L’assassinat de Qassem Soleimani est venu trop tôt dans la stratégie iranienne face à Trump.

Une source ayant ses entrées au sein du pouvoir iranien

Face à une indignation qui ne faiblit pas, la police a reçu des consignes de «retenue», a annoncé lundi son chef, le général Hossein Rahimi. Certains sites indiquaient, de leur côté, que des dignitaires du régime ont présenté leur démission, mais ces informations n’ont pas été confirmées. «Il faut espérer que cette catastrophe permettra d’écarter l’aile ultraconservatrice et radicale parmi les gardiens de la révolution», confie un intellectuel à Téhéran.

Elle est intervenue au terme d’une semaine au cours de laquelle Donald Trump a piégé les dirigeants iraniens. «L’assassinat de Qassem Soleimani est venu trop tôt dans la stratégie iranienne face à Trump», confie au Figaro une source ayant ses entrées au sein du pouvoir à Téhéran. La preuve? Contre toute attente, l’Iran n’a riposté qu’a minima en visant une base américaine, sans faire de victimes.

Jusqu’à l’assassinat de Soleimani, les dirigeants iraniens étaient convaincus que Donald Trump ne voulait pas la guerre, comme il l’a montré en ne ripostant pas à la destruction d’un drone américain par Téhéran et aux frappes iraniennes inédites contre des installations pétrolières saoudiennes. Depuis six mois, l’Iran estime que Trump, qui est sorti de l’accord nucléaire et a imposé des sanctions à Téhéran, a de grandes chances d’être réélu. Jusqu’à la liquidation de Soleimani, «leur stratégie était de pourrir sa campagne électorale en l’attirant dans un épisode guerrier et/ou en faisant monter la tension sur leurs ambitions nucléaires», estime la source. Les Iraniens espéraient ainsi négocier une levée des sanctions avec Trump en position de force à l’été prochain. D’où la blague qui circulait dans les cercles du pouvoir à Téhéran à propos de la tentative avortée d’Emmanuel Macron d’organiser en septembre dernier, à New York, une rencontre Rohani-Trump: «OK mais dans un an, lors de la prochaine Assemblée générale.»

L’assassinat de Qassem Soleimani a changé l’équation. Il a fermé la fenêtre des négociations. Le guide suprême n’acceptera plus des pourparlers avec Washington. «Les Iraniens sont convaincus que même s’ils signaient un deal avec lui avant l’élection américaine, Trump s’en servirait pour être réélu», ajoute la source. Téhéran n’a donc plus comme option que de jouer sa défaite. Comment? «En agitant sa dernière carte: faire monter la pression sur le nucléaire, ajoute l’expert. Mais pour que ce soit efficace, il ne faut pas que cela intervienne trop tôt. Pour l’Iran la fenêtre de tir sera l’été prochain, à trois ou quatre mois de la présidentielle américaine. Les Iraniens voudraient mettre suffisamment en difficulté Trump pour que les Américains s’en écartent et élisent son rival démocrate, avec lequel des négociations seraient moins difficiles.» Dans cette optique, d’ici à l’été, l’Iran ferait monter son taux d’enrichissement d’uranium à 20 %, seuil qui se rapproche du nucléaire militaire. C’est le scénario, redouté par Jean-Yves Le Drian, d’un Iran «à un an» de l’acquisition de la bombe. «Un scénario inenvisageable», a déclaré la semaine dernière le chef de la diplomatie. «Les Américains et/ou les Israéliens frapperaient alors à titre préventif des installations nucléaires iraniennes, anticipe la source, et l’Iran répondrait par une déstabilisation de la région, contre Israël, via le Hezbollah». Dans l’esprit des dirigeants iraniens, pareille escalade à trois mois du scrutin américain pourrait faire passer le rival de Trump.

D’ici à l’été, on devrait assister à la poursuite du jeu du chat et de la souris.

Une source anonyme

«L’Iran n’a plus vraiment le choix, constate la source. Les Iraniens connaissent leurs limites: l’épisode guerrier n’est plus une option. La seule, c’est le nucléaire, en devenant suffisamment dangereux pour que les Américains prennent l’initiative de les frapper et de déstabiliser toute la région.» L’impulsif Donald Trump a pris les Iraniens de court et à leur propre jeu. Eux-mêmes avaient fait monter la tension en attaquant les alliés saoudiens des États-Unis, estimant que ceux-ci ne riposteraient pas. Ce qui fut le cas. Mais Téhéran est allé trop loin, en laissant ses milices irakiennes s’en prendre à l’ambassade américaine à Bagdad. «D’ici à l’été, on devrait assister à la poursuite du jeu du chat et de la souris», anticipe la source. En Irak, les milices pro-iraniennes devraient continuer d’attaquer – comme elles l’ont fait dimanche – des bases abritant des soldats américains. La plus puissante d’entre elles, Kataëb Hezbollah, a annoncé lundi qu’elle donnait une chance au gouvernement d’expulser «diplomatiquement» les troupes américaines avant de lancer une campagne militaire massive pour les bouter, par la force, hors d’Irak. Un autre répit, avant un été chargé.