Israël multiplie les raids contre des positions iraniennes en Syrie (Louis Imbert – Le Monde)

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Des frappes d’une rare ampleur contre des bases et dépôts d’armes entre Deir ez-Zor et Al-Boukamal auraient fait 57 morts mercredi.

L’aviation israélienne a mené, tôt mercredi 13 janvier, un raid d’une rare puissance dans l’est de la Syrie. Un haut responsable du renseignement américain a confirmé, sous couvert d’anonymat, dans la journée, que ces frappes avaient été menées par Israël, avec l’aide de renseignements fournis par les Etats-Unis. L’opération aurait visé une vaste gamme de positions et de dépôts d’armes iraniens, dans une zone allant de la ville de Deir ez-Zor au point de passage frontalier avec l’Irak d’Al-Boukamal. Soit un couloir routier longeant l’Euphrate, dans une zone d’influence iranienne, où circulent librement de longue date des gardiens de la révolution iraniens et leurs alliés miliciens arabes et afghans.

Au vu du bilan avancé par l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), basé au Royaume-Uni – 18 frappes, qui auraient tué 57 personnes, dont 14 soldats syriens –, cette attaque apparaît comme l’une des plus meurtrières parmi des centaines menées par Israël en Syrie ces dernières années. Elle confirme une accélération des opérations israéliennes dans le pays, relève l’ancien patron du renseignement militaire israélien, Amos Yadlin : d’une attaque signalée toutes les quelques semaines à quatre depuis la mi-décembre 2020.

L’officiel anonyme du renseignement américain a précisé que les frappes de mercredi avaient été discutées deux jours plus tôt par le secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, avec Yossi Cohen, le patron du Mossad, dans un restaurant réputé de Washington, le Cafe Milano, à quelques jours de la fin du mandat de Donald Trump. Il affirmait que certains hangars visés en Syrie servaient également à la circulation de composants destinés au programme nucléaire iranien, le long d’un « corridor » routier qui relie, de façon plus ou moins sécurisée, Téhéran au port de Beyrouth à travers l’Irak et la Syrie. L’acheminement de matériaux sensibles par un tel canal a déjà été allégué par le passé mais jamais confirmé, relève Elisa Catalano Ewers, spécialiste au think tank Center for a New American Security. Washington n’a fourni aucune preuve à l’appui de ses dires.

Gêner la relance de négociations avec Téhéran

Les médias iraniens sont demeurés discrets sur ces frappes, la chaîne iranienne en arabe Al-Alam allant jusqu’à affirmer qu’elles n’avaient fait que des blessés. « Peut-être qu’ils ne veulent pas être contraints de riposter. Ou peut-être qu’il n’y a pas eu de victimes iraniennes. Lorsqu’il y en a, les médias iraniens tendent à le publier, mais cela les force à réagir », analyse Raz Zimmt, spécialiste au centre de réflexion israélien INSS.

Depuis l’été 2020, une multitude d’attaques audacieuses ont été attribuées à Israël et Washington contre les intérêts de Téhéran : une série d’explosions sur des sites militaires en Iran et dans le centre d’enrichissement de Natanz, et l’assassinat près de la capitale du physicien nucléaire Mohsen Fakhrizadeh, présenté par Israël comme le cerveau d’un programme nucléaire à possible dimension militaire.

Ces attaques sont apparues comme une manière pour Israël de pousser son avantage avant l’investiture du président élu Joe Biden, et de gêner la relance de négociations avec Téhéran sur son programme nucléaire, voulue par l’administration démocrate. Elles ont fait craindre à une partie de l’establishment militaire israélien que la fin de mandat de M. Trump ne soit propice à une escalade militaire incontrôlée avec Téhéran.

Depuis 2020, Israël parait tirer parti de la posture de retenue choisie par les autorités iraniennes jusqu’à l’investiture de M. Biden pour frapper Téhéran sans relâche

Cependant, les opérations menées par Israël contre des intérêts iraniens en Syrie, comme celle de mercredi, font l’objet d’un consensus large à Washington, et nul ne s’attend à ce que l’administration Biden ne le bouscule. « Le défi iranien qui attend l’administration Biden a deux faces : non seulement la menace nucléaire, mais aussi une menace militaire conventionnelle qui s’étend à travers le Proche-Orient (…). Ces deux menaces, qui se renforcent mutuellement, nécessitent des réponses parallèles », argumentait mercredi Amos Yadlin.

Depuis 2020, Israël parait tirer parti de la posture de retenue choisie par les autorités iraniennes jusqu’à l’investiture de M. Biden pour frapper Téhéran sans relâche. Cependant, Washington comme Tel-Aviv ont multiplié les mesures de précaution ces dernières semaines, attendant à terme une riposte. Le correspondant militaire du quotidien Haaretz, Amos Harel, relève que l’armée israélienne demeure à un niveau élevé d’alerte : une batterie de missiles Patriot a été déployée dans le port d’Eilat et un nombre important de chasseurs demeure en vol dans le sud du pays depuis des semaines.

Les violations de l’espace aérien libanais par l’aviation israélienne se sont par ailleurs intensifiées ces dernières semaines. Dimanche, deux avions de combat ont tournoyé pendant plusieurs heures dans le ciel de Beyrouth. Le grondement de ces appareils de type F15 et F16 et le bourdonnement des drones parasitent presque chaque jour la vie des habitants du pays du Cèdre, entretenant un climat de tension latent.