Ces fuites risquent de polariser encore davantage le débat entre conservateurs et modérés, en vue de l’élection présidentielle du 18 juin prochain.
Le président de la République islamique, Hassan Rohani, a ordonné une enquête après la «fuite» d’un enregistrement audio de son allié, le chef de la diplomatie, Javad Zarif, critiquant le rôle du défunt général Qassem Soleimani dans la politique étrangère du pays, a annoncé mardi le porte-parole du gouvernement. Ce règlement de comptes risque de polariser encore plus la campagne en vue de l’élection présidentielle du 18 juin entre les conservateurs, hostiles à un rapprochement avec l’Occident, et les modérés, qui y sont favorables.
«Une conspiration contre le gouvernement»
«Nous pensons que ce vol de données est une conspiration contre le gouvernement, le système, l’intégrité des institutions nationales et aussi contre nos intérêts nationaux», a déclaré Ali Rabii, le porte-parole, à des journalistes. M. Rohani a ordonné au ministère du Renseignement d’identifier «les agents de cette conspiration».
Des médias à l’étranger, parmi lesquels le New York Times, ont diffusé des extraits de trois heures d’entretien entre Javad Zarif et l’économiste Saeed Leylaz, un proche du président Rohani. «Dans la République islamique, le champ militaire règne. J’ai sacrifié la diplomatie au (profit) du champ militaire», alors que ce dernier doit être «au service de la diplomatie», regrette le ministre des Affaires étrangères, principal négociateur de l’accord nucléaire international de 2015 avec les grandes puissances.
Javad Zarif dénonce l’omniprésence des gardiens de la révolution et du chef de leur Force al-Qods, bras armé de l’Iran au Moyen-Orient, Qassem Soleimani, assassiné le 3 janvier 2020 à Bagdad sur ordre de Donald Trump. Il reproche à Soleimani de s’être rendu à Moscou peu après la signature de l’accord de 2015 en vue de le faire capoter avec la complicité de la Russie.
Crise à Téhéran
Zarif reconnaît qu’avant l’intervention américaine en Irak, en 2003, il travaillait harmonieusement avec Qassem Soleimani. Mais il reproche à ce dernier d’avoir autorisé des avions russes à survoler l’Iran pour bombarder la Syrie, transféré de l’équipement militaire et déployé des hommes en armes en Syrie dans des avions de la compagnie nationale Iran Air, à l’insu du gouvernement. Bref, d’avoir «saboté» à de nombreuses reprises l’action de la diplomatie. Autant de décisions qui étaient pour la plupart connues, mais dont la divulgation par un officiel iranien suscite une crise à Téhéran.
«Les journaux conservateurs sont très durs contre M. Zarif, qu’ils décrivent comme un traître qui doit aller en prison», confie au Figaro Farid Vahid, expert de l’Iran à la Fondation Jean-Jaurès. Des voix se sont déjà élevées pour réclamer la démission de M. Zarif.
Qui a «balancé» Javad Zarif? Une copie de l’audio a fuité auprès d’Iran International, une chaîne de télévision proche de l’opposition basée à Londres, qui révéla l’affaire, avant de la partager avec le New York Times.
Les trois heures d’entretien de M. Zarif avec Saeed Leylaz, qui était injoignable mardi, n’étaient pas destinées à être publiées. «Il s’agit d’enregistrements appelés en persan “Histoires orales” que le ministère des Affaires étrangères conserve dans ses archives», explique Farid Vahid.
À qui profite le crime? Pas forcément aux ennemis conservateurs de Javad Zarif. Certes, dans un premier temps, alors que son adjoint Abbas Araghchi négocie à Vienne avec les grandes puissances le retour de l’Iran dans l’accord nucléaire de 2015 duquel s’étaient retirés les États-Unis, cette affaire discrédite d’une certaine manière la parole iranienne. Mais nul n’ignore que ce ne sont pas les diplomates iraniens qui, in fine, décident, mais le guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei. Or celui-ci a donné son accord aux discussions de Vienne.
Dernier espoir de réforme
«Les adversaires de M. Zarif ont voulu enterrer sa candidature à la présidentielle», écrit sur Twitter le chercheur Mohammad Ali Shabani, qui doute cependant de l’efficacité de cette tactique. Selon lui, ces fuites pourraient au contraire remobiliser un électorat désabusé, qui voit en M. Zarif l’un des derniers espoirs pour réformer l’Iran. «Critiquer la Russie et les gardiens de la révolution est largement partagé par la population, explique-t-il. En plus, il dit qu’au final, les gardiens n’ont pas pu toujours réussir dans leurs actions comme après l’accord de 2015, il montre donc qu’ils ne sont pas tout-puissants.» Bref, conclut M. Shabani, «ces fuites bénéficient au candidat Zarif, moins au ministre des Affaires étrangères».
Une chose est sûre: les coups bas préélectoraux sont lancés. Le conseil des gardiens de la Constitution a jusqu’au 26 mai pour valider les candidatures à la présidentielle. M. Zarif n’a encore rien dit de ses réelles intentions. «D’ici là, un préaccord ne sera probablement pas négocié à Vienne», confiait avant ces fuites un expert au fait des discussions. «Il s’agit, ajoutait-il, d’empêcher que M. Zarif capitalise sur cette avancée et se présente.» Cet ultime coup bas pourrait produire l’effet inverse.