Iran: la manoeuvre de Macron, coup de com ou coup de génie? (Isabelle Lasserre – Le Figaro)

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À la surprise générale, le président a invité le chef de la diplomatie iranienne au sommet du G7 à Biarritz. Un coup de théâtre diplomatique qui vise à stopper l’escalade avec Téhéran. Cette initiative a-t-elle une chance de réussir?

Est-ce un coup de com ou un coup de génie? Emmanuel Macron est-il un adepte du réalisme ou pratique-t-il au contraire l’illusionnisme? Les questions valent tout à la fois pour la Russie et pour l’Iran. Et tous les observateurs de la vie diplomatique française les ont eues en tête pendant le G7. Alors qu’il s’est terminé lundi soir sur un bilan plutôt positif, force est de constater qu’en invitant par surprise le chef de la diplomatie iranienne, Javad Zarif, le président français a réalisé une spectaculaire manœuvre diplomatique dont on voit déjà les effets favorables.

L’initiative a d’abord montré que l’Europe, une fois n’est pas coutume, restait unie sur le sujet iranien. Risquée peut-être, osée sans doute, elle avait en fait été indirectement préparée depuis plusieurs mois. Emmanuel Macron, qui veut faire de la France une puissance de médiation, s’est donné pour objectif de sauver l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, menacé par le retrait américain en 2018 et la rupture de certains engagements iraniens au début de l’été. Depuis plusieurs semaines, il ne compte pas ses efforts pour convaincre l’Iran de respecter à nouveau ses engagements nucléaires et persuader Donald Trump d’autoriser l’Iran à exporter du pétrole en Asie.

Plus remarquable encore, Emmanuel Macron a réussi à faire monter Donald Trump à bord de son projet. Le président américain a salué l’unité du G7 sur l’Iran

Patiemment, multipliant les rencontres, les coups de fil et les envoyés spéciaux, l’Élysée a assaini et préparé le terrain afin de rendre possible une rencontre entre les présidents américain et iranien. «Trump veut un deal, notre boulot consiste à rendre ce deal possible», affirmait une source diplomatique en juin dernier. C’est désormais chose faite. Même l’austère Angela Merkel a salué un «grand pas en avant». «Il y a maintenant une atmosphère qui permet des discussions», a estimé la chancelière, qui a été étroitement associée, comme le premier ministre Boris Johnson, au coup de théâtre orchestré par le chef de l’État.

Plus remarquable encore, Emmanuel Macron a réussi à faire monter Donald Trump à bord de son projet. Le président américain a salué l’unité du G7 sur l’Iran. Il a confirmé que Javad Zarif avait été invité en marge du sommet avec son plein accord, laissant ainsi une porte ouverte à la diplomatie. «Allez-y», a-t-il dit à Emmanuel Macron. Sa stratégie de «pression maximale» n’ayant pas fait plier l’Iran, Donald Trump, qui ne veut pas d’une nouvelle guerre dans la région et a promis qu’il allégerait l’empreinte américaine au Moyen-Orient, pourrait avoir intérêt à trouver une porte de sortie. Malgré ses violentes attaques verbales contre la République islamique, il s’est toujours dit prêt à discuter avec les responsables iraniens. Pendant sa conférence de presse, il a confirmé qu’il était prêt à rencontrer Hassan Rohani, le président iranien, «quand les circonstances seront réunies».

«Intensification du dialogue»

Si leurs méthodes divergent, Emmanuel Macron et Donald Trump sont d’accord sur le fond. Non seulement ils veulent empêcher que l’Iran ne se dote de l’arme nucléaire, mais ils voudraient élargir les négociations aux autres sujets de contentieux avec Téhéran. Pour l’Élysée, les deux démarches sont complémentaires: les efforts européens ont maintenu les Iraniens dans l’accord et les pressions américaines les auraient convaincus de «bouger». Ouverte il y a quinze mois par le retrait américain, la crise serait arrivée à un «point d’inflexion». Celui qui permet une «intensification du dialogue».

Même son de cloche à Téhéran, où Hassan Rohani a défendu l’option du dialogue, répondant aux critiques de l’aile dure du régime. «Nous devons utiliser tous les outils pour servir les intérêts nationaux», a-il affirmé. La «main de la force» mais aussi la «main de la diplomatie». «Même si les chances de réussite sont de 10 %, nous devons nous efforcer et nous lancer», a-t-il dit.

Malgré les signes de détente, les obstacles à la normalisation n’ont cependant pas tous été levés

Malgré les signes de détente, les obstacles à la normalisation n’ont cependant pas tous été levés. Les exigences des Américains et des Iraniens demeurent aux antipodes. Les premiers exigent, en échange d’un possible assouplissement des sanctions, le retour de l’Iran dans le compromis de Vienne et l’ouverture de négociations sur son programme balistique, son influence régionale et l’avenir de l’accord nucléaire après 2025. Téhéran a pour l’instant répondu que ni son programme balistique, ni son droit à l’enrichissement n’étaient négociables. L’actualité internationale de ces dernières années, de l’Irak à la Libye en passant par la Corée du Nord, a rappelé aux dirigeants iraniens qu’il vaut mieux, pour se protéger des invasions et décupler sa puissance, posséder l’arme nucléaire.

Quant à la question de l’influence régionale, elle est au cœur de la compétition stratégique que se livrent l’Iran chiite et l’Arabie saoudite sunnite. Vu de Téhéran, elle ne saurait être négociée. Ce sont les limites de l’exercice diplomatique de Biarritz. Auxquelles on doit toujours rajouter la possibilité d’un tweet destructeur du président américain. Mais si la détente créée à Biarritz met fin à l’escalade, la paix aura déjà gagné du temps.