Iran : la guerre annoncée entre Rohani et les pasdarans

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Le Figaro – Par Georges Malbrunot


REPORTAGE – Le président réélu compte rogner les ailes des puissants gardiens de la révolution.

De notre envoyé spécial à Téhéran

A la fin de l’entretien, Kanani Moghadam exhume son album photos. On voit ce gardien de la révolution au côté du mollah Omar au temps de l’occupation soviétique de l’Afghanistan, infiltré secrètement en Irak avec des opposants chiites à Saddam Hussein, avant la chute du dictateur en 2003. Et en réunion avec l’ayatollah Khomeyni, aux premières heures de la révolution qui renversa le chah en 1979. «C’est de l’histoire, sourit-il en refermant l’album, maintenant, c’est le temps de la paix.» Et pour cet ancien combattant, paix rime avec affaires. À 59 ans, Kanani Moghadam représente des intérêts suisses dans des projets industriels liés au métro de Téhéran. Comme tant d’autres gardiens de la révolution, cette unité d’élite en charge de la défense du régime, il est devenu, grâce à son passé et à ses réseaux, un homme d’affaires prospère.

Les sanctions internationales longtemps imposées à l’Iran ont permis au corps des gardiens – les pasdarans – de considérablement renforcer leur emprise sur l’économie. Une présence étouffante, qui pénalise l’ouverture économique, la priorité du président Hassan Rohani depuis la signature de l’accord nucléaire en 2015 avec les grandes puissances.

Les gardiens visent le pétrole

Fort de sa confortable réélection, le 19 mai, Hassan Rohani veut leur rogner les ailes. Mais les gardiens, soutenus par leur chef, le guide suprême l’ayatollah Ali Khamenei, résistent. Au sommet du pouvoir, les luttes sont rudes. Les gardiens lorgnent désormais le pétrole, un secteur dont ils étaient jusque-là largement exclus. Signe des tensions entre les différents pôles du pouvoir: deux ans après la signature de l’accord nucléaire, la rédaction d’un contrat pétrolier type n’est toujours pas finalisée. «Le texte n’est pas accepté par le Conseil suprême national de sécurité, confie un diplomate. C’est la bataille autour de la poule aux œufs d’or.»

«Rohani a envoyé un projet de contrat à l’entourage du guide, révèle son conseiller économique, Saeed Leylaz. Le sommet du pouvoir a répertorié quinze problèmes, dont Rohani et son équipe ont tenu compte dans un nouveau projet de contrat qu’ils ont retourné à l’équipe du guide. Mais celle-ci leur a renvoyé avec cette fois plus d’une centaine de points à revoir.» Autrement dit, les gardiens et leurs soutiens bloquent. Cette obstruction a fini par exaspérer Rohani qui les a attaqués comme rarement durant sa campagne électorale. «Ne vous mêlez pas de politique, comme l’ayatollah Khomeyni l’avait demandé dans son testament», s’est exclamé le président dans un meeting.

Pour lui, les pasdarans doivent se concentrer sur leur mission originelle de protection du régime et de ses frontières. Les gardiens, qui soutenaient le conservateur Ebrahim Raissi, «ont beaucoup interféré dans la campagne», regrette Saeed Leylaz. Dans son bras de fer attendu avec les gardiens, ceux-ci ne lui feront aucun cadeau. Qassem Soleimani, le chef de la Force al-Qods, le bras armé des gardiens hors d’Iran, n’a pas félicité Rohani, après sa victoire.

Entre le président et les pasdarans, l’animosité est ancienne. «Après la guerre contre l’Irak à la fin des années 1980, Rohani militait déjà pour que l’État donne plus de moyens à l’armée régulière et non pas aux gardiens», se souvient un ancien cadre des gardiens. De tous les centres du pouvoir, les pasdarans ont le plus à perdre avec l’ouverture prônée par Rohani. «Au cours de son premier mandat, le président a déjà essayé de réduire leur budget, se souvient un banquier. Mais le guide a refusé. Les pasdarans sont incontournables. Aujourd’hui, ils veulent entrer à la NIOC, la société qui gère le pétrole. S’ils réussissent, ils seront parvenus à capter la majeure partie des ressources de l’État.» Mais les gardiens sont également vigilants sur la question de la succession du guide, âgé de 77 ans, que lorgnerait Hassan Rohani. Et ils rejettent une ouverture, qui braderait des pans entiers de l’économie aux firmes étrangères.

La place des gardiens dans l’Iran de demain est une des principales contradictions que devront trancher, tôt ou tard, ses dirigeants. À l’intérieur, les pasdarans sont un frein à l’ouverture. Mais à l’extérieur, grâce à la force al-Qods, l’Iran a renforcé ses positions en Irak, en Syrie et au Yémen. «Son chef Soleimani et ses gars veulent une récompense, prévient le banquier. Pas plus d’hommes, ni plus d’argent, mais plus d’influence au sein du pouvoir, et c’est cela qui va tendre le système.» Pas sûr que Hassan Rohani réussisse là où il a jusqu’à maintenant échoué.