Iran: la fin annoncée de la diplomatie nucléaire (Isabelle Lasserre – Le Figaro)

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DÉCRYPTAGE – Les responsables iraniens ont annoncé dimanche s’affranchir de toute limite à l’enrichissement d’uranium.

LA DIPLOMATIE nucléaire européenne vis-à-vis de l’Iran ne tenait déjà plus qu’à un fil. L’assassinat du général Soleimani l’a coupé net, torpillant les dernières chances de sauver l’accord conclu en 2015 entre la communauté internationale et la République islamique, le JCPOA, qui devait encadrer et limiter le programme nucléaire iranien.

Pour la cinquième fois depuis que les États-Unis s’en sont retirés en mai 2018, les responsables iraniens ont annoncé dimanche une nouvelle violation de leurs engagements internationaux. Jusque-là, les mesures de rétorsion, destinées à mettre la pression sur les Européens pour qu’ils convainquent les Américains de lever les sanctions, étaient jugées «graduées et réversibles» par les diplomates français, qu’il s’agisse de la reprise des activités d’enrichissement du site souterrain de Fordow, de la modernisation des centrifugeuses, ou du dépassement du stock d’uranium enrichi autorisé.

Les nouvelles violations, qui s’émancipent des limites fixées dans cet accord sur le nombre de centrifugeuses qu’il a le droit d’utiliser, pourraient faire voler en éclats le JCPOA et convaincre, à moyen terme, l’un de ses États garants de saisir le Conseil de sécurité de l’ONU. Les Iraniens continuent néanmoins de coopérer «comme avant» avec les inspecteurs de l’AIEA qui surveille le respect de leurs engagements.

La disparition de Soleimani ne fait que précipiter une issue qui était déjà en grande partie écrite

La diplomatie était de toute façon mal engagée. Depuis l’été, Emmanuel Macron se démenait pour trouver une solution à la crise. À Biarritz d’abord pendant le G7, puis à New York en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, il a tenté de forcer une rencontre entre Donald Trump et son homologue iranien, Hassan Rohani. Le pari était d’échanger un allègement des sanctions américaines contre un retour de l’Iran à ses obligations internationales, l’ouverture de discussions sur l’avenir du programme nucléaire après 2025 et sur la sécurité régionale. Mais malgré toutes les navettes diplomatiques, l’initiative française s’est effilochée au fil du temps. Emmanuel Macron n’a pas réussi à convaincre Donald Trump d’assouplir sa position, touchant ainsi les limites de l’influence française sur l’Administration américaine. Il a sans doute aussi trop misé sur Hassan Rohani, alors que le vrai détenteur du pouvoir, surtout dans le domaine nucléaire, est le guide suprême Ali Khamenei.

À cet égard, la disparition de Soleimani ne fait que précipiter une issue qui était déjà en grande partie écrite. Téhéran se dit prêt en revanche à faire machine arrière à tout moment sur ses annonces, «si les sanctions [contre l’Iran réimposées et durcies par les États-Unis depuis 2018, NDLR] sont levées et que l’Iran bénéficie des retombées» attendues de l’accord international sur son programme nucléaire conclu en 2015.Officiellement, la diplomatie européenne n’a pas renoncé. Elle a multiplié les contacts avec Moscou et Pékin et même invité le ministre des Affaires étrangères iranien à Bruxelles pour évoquer une désescalade. Mais au lieu de baisser, la tension est encore montée d’un cran. Alors que l’Iran appelle à la vengeance, des roquettes sont tombées samedi et dimanche sur la zone verte de Bagdad, près de l’ambassade américaine déjà attaquée la semaine dernière. Donald Trump a menacé de frapper l’Iran «très rapidement et très durement». Dimanche, Emmanuel Macron a appelé l’Iran à s’abstenir «de toute mesure d’escalade militaire susceptible d’aggraver encore l’instabilité régionale».

Un risque de prolifération

Les nouvelles violations du JCPOA, qui devraient rapprocher l’Iran de l’obtention de la bombe, risquent d’être fort mal accueillies à Washington, Tel-Aviv, Paris et Vienne, le siège de l’AIEA, le gendarme mondial du nucléaire. Certaines guerres éclatent sur des malentendus. Entre les États-Unis et l’Iran, il y en a déjà beaucoup, et notamment celui-là: Donald Trump pense que le choc de l’assassinat de Soleimani est de nature à faire plier le régime. Le pouvoir iranien estime que Donald Trump n’utilisera pas la force militaire, car il veut se retirer du Moyen-Orient. L’autre danger est une reprise rapide du programme nucléaire militaire qui mène à la bombe. Le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, a appelé Téhéran à éviter «une crise de prolifération nucléaire». Si l’Iran chiite devait se doter de la bombe nucléaire, les puissances sunnites de la région – Arabie saoudite, Turquie, Égypte -, se lanceraient sans doute à leur tour dans la course…