La guerre secrète d’Israël contre le programme nucléaire iranien (Thierry Oberlé – Le Figaro)

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Mohsen Fakhrizadeh est la dernière victime d’une campagne d’attaques tous azimuts visant l’Iran sur son territoire, et qui s’est intensifiée ces derniers mois.

La satisfaction, voire la fierté, est de mise en Israël après l’assassinat vendredi de Mohsen Fakhrizadeh, le scientifique iranien présenté comme le père du programme nucléaire militaire et de missiles balistiques de la République islamique. Un brouillard de circonstance couvre cependant la responsabilité de l’opération. Les dirigeants israéliens ne commentent pas la mort du chercheur mais une remarque de Benyamin Nétanyahou, diffusée sur les réseaux sociaux vendredi après-midi après l’attentat, a été perçue comme un lourd sous-entendu. «J’ai fait beaucoup de choses cette semaine, mais je ne peux pas tout dire», a écrit le premier ministre.

Inconnu du grand public bien que parfois comparé à Robert Oppenheimer, le concepteur de la bombe atomique américaine, ou au Docteur Folamour de Kubrick, Mohsen Fakhrizadeh était dans le collimateur d’Israël. Lors d’une conférence de presse en avril 2018, Benyamin Nétanyahou, pour qui l’Iran représente une menace «existentielle», avait montré une photo de Fakhrizadeh et dénoncé son rôle en disant: «Souvenez-vous de ce nom.» Il avait ce jour-là convoqué la presse pour révéler le contenu d’archives top secret sur le programme nucléaire iranien dérobées par le Mossad dans un entrepôt de Téhéran.

L’an dernier, le spécialiste du renseignement israélien Ronen Bergman avait expliqué qu’un grand nombre de collaborateurs du savant avaient été éliminés dans des homicides liés au Mossad

Depuis, les jours du professeur de sciences physiques et officier des gardiens de la révolution semblaient ouvertement menacés. L’an dernier, le spécialiste du renseignement israélien Ronen Bergman avait expliqué qu’un grand nombre de collaborateurs du savant avaient été éliminés dans des homicides liés au Mossad et qu’il était «raisonnable de supposer» qu’il serait, lui aussi, «ciblé».

Selon des médias israéliens, Mohsen Fakhrizadeh, 59 ans, circulait avec son cortège à proximité de Absard, une cité de villégiature fréquentée par la nomenklatura iranienne, pour rendre visite à sa belle-famille lorsqu’il est tombé dans une embuscade. Un vieux camion bourré d’explosifs dissimulés sous un chargement de bois a explosé devant sa berline, l’obligeant à s’arrêter. Un commando de cinq hommes armés dont des motards a surgi. Ils ont mortellement blessé le scientifique, abattu trois de ses gardes et pris la fuite.

Objectif non déclaré

Sabotages, attentats, fusillades, cyberattaques: l’Iran est frappé avec une apparente impunité sur son propre territoire. Une série que certains commentateurs israéliens comparent à l’opération «Damoclès» menée par le Mossad au début des années 1960 contre des scientifiques allemands, anciens nazis passés au service de l’Égypte de Nasser.

Fakhrizadeh était unique parce qu’il a dirigé la dernière et la plus importante étape de la construction d’une arme nucléaire et du développement de missiles pouvant porter des ogives nucléaires

Yossi Melman, analyste et écrivain

Mohsen Fakhrizadeh est en fait la dernière victime d’une campagne d’attaques tous azimuts qui s’est intensifiée ces derniers mois. En janvier, un drone américain a tué le général Qassem Soleimani, le chef charismatique la Force al-Qods, unité d’élite des gardiens de la révolution, alors qu’il s’apprêtait à quitter l’aéroport de Bagdad. En août, l’Iran a été humilié par des tueurs à gages qui ont exécuté un haut dirigeant l’al-Qaida dans une rue de Téhéran. L’assassinat, attribué au Mossad, laisse supposer l’existence d’un réseau d’espionnage et de complicités locales particulièrement développé.

«Fakhrizadeh était unique parce qu’il a dirigé la dernière et la plus importante étape de la construction d’une arme nucléaire et du développement de missiles pouvant porter des ogives nucléaires», note l’analyste et écrivain Yossi Melman, dont l’un des tweets a été repris par Donald Trump. Il rappelle toutefois qu’«un scientifique tout aussi talentueux sera trouvé pour remplacer celui qui a été écarté. C’est d’autant plus vrai que l’Iran a déjà accumulé suffisamment de savoir-faire pour fabriquer ses propres armes nucléaires s’il le souhaite». À en croire cet expert, les assassinats de savants iraniens commis ces dernières années auraient provoqué en riposte un enrichissement de plus grandes quantités d’uranium, l’installation de centrifugeuses plus perfectionnées et la constitution de stocks d’uranium supplémentaires afin de réduire le délai de fabrication de l’arme fatale.

Après s’être retirée de l’accord international sur le nucléaire iranien, l’Administration sortante a espéré, sans succès, obtenir des concessions de Téhéran grâce à une politique de sanctions économiques dévastatrices

Les dernières semaines de l’ère Trump s’annoncent comme sensibles. Après s’être retirée de l’accord international sur le nucléaire iranien, l’Administration sortante a espéré, sans succès, obtenir des concessions de Téhéran grâce à une politique de sanctions économiques dévastatrices. Joe Biden souhaite changer de cap et faire revivre l’accord par le dialogue afin d’obtenir, lui aussi, un gel des recherches. En attendant la passation de pouvoir, Donald Trump et Benyamin Nétanyahou sont tentés de pousser leur adversaire dans ses retranchements en le contraignant de choisir entre des exigences de vengeance et une volonté pragmatique de sortir de son isolement. Avec un objectif non déclaré: couper l’herbe sous le pied de Joe Biden pour l’empêcher d’engager une diplomatie alternative.