Corruption et vie de pacha : la dolce vita du Hamas révélée (Julien Lacorie – Marianne)

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Un haut cadre de l’organisation islamiste révèle ce que clamait dans les rues le peuple de Gaza, réprimé en mars dernier. Corruption, espionnage et vie de pacha, tout y passe. Récit.

Il paraît que la vérité sort de la bouche des enfants. La vérité sur le Hamas a jailli de la bouche du fils d’un de ses chefs. Le pieux récit, celui des leaders héroïques qui auraient fait don de leur personne à la cause palestinienne et à Allah, vient de voler en éclats. En écho à la colère grandissante du peuple de Gaza contre ses dirigeants, un haut cadre de l’organisation islamiste, Suheib Youssef, a décidé de balancer. Et ça fait mal. C’est le fils d’un des fondateurs du Hamas, Hassan Youssef. Adoubé par les hautes sphères de la nomenklatura, Suheib a été nommé en poste à Istanbul. Tout allait bien pour lui, exil doré dans un pays frère. Jusqu’au jour où il a craqué. Trop, c’est trop, il fuit la Turquie pour un pays asiatique non précisé, on le comprend. Car il se décide à commettre la pire des transgressions : pactiser avec les « sionistes ». Il choisit en effet de parler à la 12, la chaîne de télé privée israélienne la plus populaire.
Au cours de l’interview, il déballe tout. Tout ce qu’on connaissait déjà un peu via les réseaux sociaux, les vidéos postées au péril de la vie des internautes. Tout ce qui ne se dit pas, ou alors avec des circonlocutions, dans les médias européens bon genre, parce que toucher au Hamas, c’est « faire le jeu d’Israël ». Suheib, lui, n’a pas d’états d’âme. Ce n’est pas un idéologue, mais un homme révolté par un mode de vie qu’il juge indécent : « Les cadres du Hamas à l’étranger vivent dans des hôtels ou des immeubles de luxe, leurs enfants sont inscrits dans des écoles privées, ils sont très bien payés – de 4 000 à 5 000 dollars par mois –, ils disposent de gardes du corps, de piscines, de cartes de membre des country clubs. »
Cette dolce vita apparaît d’autant plus scandaleuse que les 2 millions de Gazaouis vivent un enfer quotidien avec un taux de chômage qui culmine à plus de 50 %, des revenus mensuels moyens de 360 dollars par foyer. Ces chiffres ne traduisent qu’une partie du vécu de la population. Car la statistique fait un peu oublier le sort de centaines de milliers de malheureux qui s’entassent dans les camps de réfugiés et survivent sous le seuil de l’extrême pauvreté. La plupart ne disposent que de quelques heures d’électricité par jour. En cause : les querelles auxquelles se livrent le Hamas, l’Autorité palestinienne et Israël, à propos du financement des achats de fuel indispensables pour faire tourner les centrales électriques. Les stations d’épuration d’eau ne fonctionnent qu’à temps partiel, l’eau des robinets est polluée et provoque de graves intoxications, surtout chez les  enfants. Les hôpitaux sont démunis. Ils n’arrivent plus à faire face, d’autant qu’ils doivent soigner des centaines de Palestiniens estropiés après avoir été blessés par les tirs des soldats israéliens lors de manifestations faussement pacifiques organisées chaque vendredi depuis plus d’un an à la frontière avec Israël. Face à cette réalité sordide, les repas dans des restaurants turcs 5 étoiles à plus de 200 dollars le plat, évoqués par Suheib Youssef, passent très mal.

Intifada intérieure

Autre révélation : le mouvement dispose d’un centre de renseignement informatique ultra perfectionné en Turquie. Il lui permet de placer sur écoute les chefs de l’Autorité palestinienne, mais aussi des responsables israéliens. Ces informations sont
ensuite transmises à l’Iran moyennant finances. Les subsides de la République islamique transitent par des banques turques, si bien qu’il est pratiquement impossible de savoir dans quelles poches ils atterrissent.
« Le Hamas n’agit pas pour le peuple palestinien, mais uniquement pour lui-même »,
résume amèrement Suheib Youssef.
Se sachant désormais en danger de mort, l’homme est entré dans la clandestinité. Il n’est toutefois pas le premier lanceur d’alerte sur les mœurs du Hamas. Une jeune journaliste palestinienne de Gaza, Hajar Harb, a eu ce courage. Elle a osé révéler les passe-droits dont bénéficient des membres de la bourgeoisie du Hamas ou de proches du mouvement. Moyennant quelques enveloppes, ces privilégiés ont obtenu des certificats médicaux de complaisance permettant de passer au travers des blocus israélien et égyptien pour aller se faire soigner à l’étranger.
La sanction contre la journaliste ne s’est pas fait attendre. Un tribunal l’a condamnée à six mois de prison et à une amende. Ce verdict a aussitôt déclenché une vague de protestations parmi des ONG de Gaza. Amnesty International a vertement critiqué « les autorités de Gaza qui tentent de façon flagrante de punir cette journaliste pour avoir dévoilé la corruption au sein de l’administration du Hamas ». La pression et l’indignation ont été telles que la justice du Hamas a dû faire machine arrière et a acquitté Hajar en appel. On n’a noté aucun soutien à cette Antigone de la part des organisations propalestiniennes en France, aucune condamnation du Hamas de la part des politiciens prompts à instrumentaliser une cause qu’ils savent populaire dans leurs circonscriptions. Sur le plan intérieur, pourtant, au cœur de Gaza, l’histoire de Hajar, précédant les révélations de Youssef, avait apporté de l’eau au moulin de la colère. La lutte contre la corruption est considérée, selon un récent sondage, comme la priorité numéro un de la population. Avant même la crise économique ou la lutte contre Israël. Une ONG palestinienne, baptisée Coalition pour la responsabilité et l’intégrité, tente de « mener la guerre contre la corruption » en publiant chaque année un rapport détaillé assorti de recommandations. Pour le moment, les résultats sont maigres. « Ce qui alimente la défiance de la population, c’est l’impunité, le manque de volonté politique de combattre la corruption et l’absence du moindre organisme habilité à superviser les comptes publics », écrivent les rapporteurs. Là où la nomenklatura se sucre, c’est notamment dans la répartition de l’aide humanitaire à la population ou la délivrance de titres de propriété foncière accordés en priorité à ceux qui ont des relations. L’organisation islamiste et ses clans se créent ainsi une véritable clientèle. Comme le souligne un journaliste de Gaza qui souhaite garder l’anonymat, « le seul objectif du Hamas, c’est de se maintenir à tout prix au pouvoir. Ce que le mouvement redoute par-dessus tout n’est pas une nouvelle guerre avec Israël, mais une révolte populaire contre le régime en place… »
C’est en mars dernier qu’apparaissent les premiers frémissements d’une intifada intérieure. Des foules de jeunes descendent dans les rues aux cris de « Nous voulons vivre ! » Le slogan exprime le ras-le-bol des guerres, de la misère, mais aussi du
Hamas. Sur le front économique et social, son bilan est désastreux alors qu’il promettait un modèle de développement et de justice sociale inspiré des préceptes de l’islam. L’organisation islamiste s’efforce par tous les moyens de détourner la colère des 2 millions d’habitants vers le blocus imposé par Israël. Il joue sur du velours car l’indignation de la population, qui paie le prix fort de la politique du « cordon sanitaire antiterroriste » menée par le gouvernement de Benyamin Netanyahou, est compréhensible. Mais le Hamas porte une lourde responsabilité.

Fonds détournés

Ceux qui osent le critiquer sont immédiatement accusés de faire le jeu de « l’occupant ». Dans un premier temps, il a encouragé les manifestations de la société civile en pensant qu’elles seraient dirigées contre lsraël et Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie. Mais, très vite, les islamistes se sont retrouvés placés, eux aussi, en position d’accusés. Aussitôt, des dizaines de journalistes, membres d’ONG, contestataires en tout genre ont été arrêtés et certains, passés à tabac. Quelques rares vidéos de protestations filmées en cachette ont pu être diffusées. La répression a atteint un tel niveau de
brutalité que le Hamas s’est fendu d’excuses publiques, affirmant être « désolé pour les dommages physiques et moraux subis par tous ceux qui appartiennent à notre peuple ». Un acte de contrition qui n’a guère convaincu. Le mouvement est arrivé au pouvoir à la suite d’élections libres en 2007, mais suivies d’une guerre civile sanglante avec le Fatah vaincu. Le frère ennemi cherche, depuis, une revanche en misant sur une révolte des Gazaouis. Seul problème : une majorité de Palestiniens dénoncent aussi la corruption et le népotisme au sein de l’Autorité palestinienne. Face à ces critiques, les deux Palestine font tout pour bichonner leurs forces de répression, histoire d’être prêtes à endiguer un tsunami contestataire.

A combien se montent les fonds alloués aux brigades Ezzedine al-Qassam, la branche armée du Hamas ?

On sait que des dizaines de millions de dollars d’aide internationale, notamment européenne, ont été détournés pour creuser des tunnels destinés aux infiltrations de commandos sur le territoire israélien : 18 ont été découverts puis détruits par l’armée israélienne. Des dizaines de millions de dollars perdus, ensevelis sous terre, sans que la population ait son mot à dire ! Car les soldes des membres de la branche militaire relèvent du domaine réservé des chefs. Une situation propice aux détournements de fonds. Gaza compte plusieurs centaines de nouveaux millionnaires qui ont fait fortune ces dernières années grâce au trafic des marchandises passant par les fameux tunnels, et sur lesquels le Hamas prélevait sa dîme. Des sommes astronomiques auraient également été gaspillées dans des projets immobiliers à l’étranger, dans des pays du Golfe, ayant fait faillite.
Les principaux chefs, comme Ismaïl Haniyeh, possèdent de multiples villas dans les beaux quartiers de Gaza. Pour parer aux révélations gênantes, le Hamas brouille les pistes. Sa branche militaire a même commencé à recevoir des fonds de l’étranger en bitcoins, cette monnaie virtuelle qui a l’avantage de circuler de façon anonyme. La seule chose que le mouvement djihadiste ne peut pas prévoir, c’est la défection de certains des siens, comme le désormais compromettant Suheib Youssef, le courage de Hajar Harb et l’insurrection en gestation de son peuple