L’État hébreu fait de l’éradication du Hamas sa priorité absolue à Gaza, en supprimant ses combattants ou en poussant ses dirigeants à l’exil. Dimanche, le Premier ministre Benyamin Netanyahou les a invités à déposer les armes et à quitter le territoire. Une proposition inattendue, mais calculée.
Par Joanna Blain
L’État hébreu campe sur sa position : il veut anéantir le Hamas. « Nous éliminerons le Hamas et ramènerons nos otages », martèle Benyamin Netanyahou début février, après l’échange de trois otages israéliens contre 180 prisonniers palestiniens. Détruire l’organisation… ou contraindre ses chefs à l’exil. Une proposition inattendue, formulée ce dimanche par le Premier ministre israélien.
Après avoir sommé le groupe de déposer les armes, Netanyahou a assuré à ses dirigeants qu’ils pourront quitter Gaza sans être pris pour cible. Selon le journal qatari Al-Arabi Al-Jadid, le Hamas avait déjà rejeté la veille une offre similaire émanant de Washington. Cette proposition aurait permis aux chefs de son conseil militaire de s’exiler avec leur famille en échange d’une contrepartie financière.
« Dans les conditions actuelles, l’exil des dirigeants est impossible »
« Ils ne partiront pas, car ce serait reconnaître une capitulation, c’est inconcevable dans l’ADN du Hamas », explique David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Cette proposition avantage pleinement Netanyahou : si les dirigeants du Hamas cèdent, le mouvement se disloque plus aisément. S’ils résistent, « cela justifie la poursuite des combats, c’est aussi une manière de les mettre au pied du mur », explique le rédacteur en chef de la revue Orients stratégiques. Une impasse dont le Hamas peine à sortir.
Le 2 mars, l’accord de cessez-le-feu — négocié le 19 janvier avec la médiation du Qatar, de l’Égypte et des États-Unis — devait entrer dans sa deuxième phase. Cette dernière prévoyait un cessez-le-feu définitif, le retrait total de l’armée israélienne de Gaza et la libération des derniers otages. Mais le 18 mars, la trêve s’est effondrée : Israël a relancé ses frappes sur Gaza, causant 921 morts en deux semaines selon le ministère de la Santé du Hamas. Depuis, les discussions piétinent.
« Dans les conditions actuelles, l’exil est impossible : le Hamas se croit encore en mesure d’imposer ses termes à Israël et de maintenir son contrôle sur Gaza. Mais une pression militaire accrue, un blocus humanitaire renforcé et un engagement plus fort du monde arabe, avec l’appui des États-Unis, pourraient changer la donne », explique Kobi Michael, chercheur à l’Institut d’études de sécurité nationale (INSS) de l’université de Tel Aviv.
D’autant que la pression s’accentue sur le Hamas. À 5 800 km de Gaza, Steve Witkoff, envoyé spécial de Donald Trump au Proche- Orient, perd patience. « Le Hamas doit se démilitariser, poser les armes et quitter Gaza. Ce serait un début », cingle-t-il le 10 mars sur Fox News, vêtu de son habituel costume bleu.
Dans la région aussi, la tension monte. L’Égypte met en garde les dirigeants du groupe terroriste : s’ils refusent la dernière proposition de cessez-le-feu, plusieurs hauts responsables du mouvement, libérés par Israël et réfugiés au Caire, seront expulsés. Acculé, le Hamas approuve, le 30 mars, un nouvel accord de trêve négocié par l’Égypte, le Qatar et les États-Unis. Mais le calme tarde à revenir : Israël annonce une « contre-proposition » aux termes encore flous.
Dans le même temps, le mouvement palestinien, au pouvoir depuis 2007, affronte une contestation inédite. Fin mars, une centaine de Gazaouis manifestent, exigeant la fin des frappes israéliennes et… le départ du Hamas. « Les slogans étaient sans équivoque : Hamas dehors, Hamas terroriste, Nous ne voulons pas mourir. C’est un cri de détresse de la population face aux conséquences cataclysmiques de la guerre initiée en octobre 2023 », analyse David Rigoulet-Roze.
Près de 20 milliards de dégâts à Gaza
Si les dirigeants du Hamas devaient s’exiler, quels pays accepteraient de les recevoir ? Le Qatar héberge son bureau politique depuis plus de dix ans, mais d’autres pays sont en lice. « L’Algérie avait été mentionnée. Erdogan (président de la République turque) pourrait aussi accueillir certains membres, d’autant que plusieurs d’entre eux sont déjà en Turquie », estime Kobi Michael.
La question des otages reste un point de rupture majeur entre le Hamas et Israël. On estime que 58 otages israéliens sont encore détenus, dont 24 présumés vivants. « Si le Hamas les libère, il risque de perdre son ultime moyen de pression, souligne David Rigoulet- Roze. On est d’une certaine manière dans un marché de dupes de part et d’autre. »
Le sort de la bande de Gaza, enclave de 365 km2 surpeuplée et dévastée, demeure en suspens, même si le groupe terroriste quitte la scène. La troisième phase du cessez-le-feu du 19 janvier prévoit bien une reconstruction — alors que les dégâts s’élèvent à 18,5 milliards de dollars, selon un rapport de la Banque mondiale, de l’ONU et de l’Union européenne.
Mais cette renaissance profitera-t-elle aux habitants ou servira-t-elle le projet pharaonique de Donald Trump ? Début février, le magnat de l’immobilier avait poussé un plan presque surréaliste : déplacer de force des centaines de milliers de Palestiniens pour transformer Gaza en « Riviera du Moyen-Orient »…