Reconnaissance d’un État palestinien : le pari risqué d’Emmanuel Macron

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DÉCRYPTAGE – Emmanuel Macron a convaincu neuf pays, dont le Royaume-Uni, le Canada et l’Australie, de l’épauler dans son effort en vue de remettre en selle la solution des deux États.

Par Isabelle Lasserre

La décision de reconnaître un État palestinien, ce lundi 22 septembre, à New York, est un succès de la France, qui a réussi à convaincre, après des mois d’efforts en coulisses, neuf pays de la suivre et qui peut ainsi réintégrer le jeu onusien. Tous – Canada, Royaume-Uni, Luxembourg, Portugal, Andorre, Australie, Belgique, Malte et Saint-Marin – ont la même ambition : redonner une perspective politique pour sortir du conflit entre Israël et le Hamas.

«C’est une grande victoire diplomatique de notre pays, qui entraîne et fédère, qui pèse sur les grandes questions de sécurité internationales», s’est félicité le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, à l’occasion d’une rencontre avec la presse diplomatique.

Le 12 septembre, la Déclaration de New York, feuille de route de la Conférence internationale copésidée par la France et l’Arabie saoudite pour faire avancer la solution à deux États, avait exigé le désarmement du Hamas et son exclusion de la gouvernance à Gaza. Pour la première fois, à ce niveau et de façon aussi claire, depuis les attaques du 7 octobre 2023.

Mais, au-delà, l’initiative française risque de n’être qu’un symbole et de n’avoir aucun effet sur le terrain.

Au lendemain du vote, le 23 septembre, le statut de la Palestine aux Nations unies, celui d’observateur, n’aura pas changé. «Une reconnaissance par la France, ce n’est pas une reconnaissance par l’ONU», résume un diplomate. Celle-ci ne peut intervenir que par un vote de l’Assemblée générale sur proposition du Conseil de sécurité. Or, les États-Unis y mettront leur veto.

Malgré la force du symbole, l’initiative franco-saoudienne fait aussi abstraction de l’une des deux parties, Israël, qui s’y oppose avec force. «Cette reconnaissance unilatérale impose un découplage absurde: la paix sans Israël, pilier de la région», poursuit le diplomate. Est-ce parce qu’il a senti le danger que Mohammed Ben Salman (MBS), le prince héritier saoudien, a choisi de copésider à distance, en visio­conférence, le sommet de New York?

Exaspération et empathie

L’initiative, qui reprend l’un des principes de la politique proche-orientale française, a-t-elle été précipitée? Emmanuel Macron, qui mûrissait cette étape depuis longtemps, aurait pris sa décision définitive le 13 juin, au premier jour des frappes israéliennes contre les installations nucléaires iraniennes.

L’exaspération face à la fuite en avant militaire de Netanyahou et l’empathie déclenchée par les terribles images de Gaza ont beaucoup joué. La conviction, aussi, que la solution à deux États était en danger de mort, menacée à la fois par le Hamas et par la colonisation israélienne.

À Paris, la Palestine est devenue, dans certains milieux, une cause sacrée, alors que la position d’Israël est de plus en plus inaudible.

Pour Emmanuel Macron, «il n’y a pas d’alternative», la reconnaissance est un «devoir moral», une urgence politique, un geste de justice. Sa propension à l’action pour tenter de résoudre les crises internationales a fait le reste.

Depuis la dissolution, il erre dans les couloirs de la politique française, dont il ne maîtrise plus les soubresauts. La guerre israélo-palestinienne lui offre la possibilité de reprendre l’initiative. Et de couper, au passage, l’herbe sous le pied de deux rivaux, Jean-Luc Mélenchon et Dominique de Villepin, qui ont fait de la cause palestinienne un de leur fonds de commerce…

Le président espère calmer la rue, qui se couvre de drapeaux palestiniens, et éviter de nouvelles tensions dans un pays qui abrite les communautés juive et musulmane les plus importantes d’Europe.

La crise, qui brasse toutes les émotions, divise profondément les Français. Avec d’un côté ceux qui affirment la légitimité d’Israël à riposter aux pogroms du 7 octobre, et de l’autre ceux qui défendent la cause palestinienne, en oubliant souvent de critiquer le Hamas.

«Si l’on reconnaît sur le papier quelque chose qui n’existe pas…»

Mais la copie française est arrivée biaisée à New York. Lorsqu’il avait annoncé son intention de reconnaître un État palestinien, en avril, Emmanuel Macron l’avait assortie de conditions : la libération des otages, le désarmement du Hamas et son éviction de la gouvernance de Gaza, la réforme de l’Autorité palestinienne et la reconnaissance d’Israël par les pays arabes.

Quelques semaines plus tard, voyant qu’aucune de ces conditions n’avait été amorcée, il les a effacées pour les remettre à plus tard.

Désormais, c’est la mise en œuvre de la reconnaissance, et non plus la reconnaissance en elle-même, qui dépendra des progrès réalisés sur le terrain.

Cette inversion, affirme-t-on à Paris, n’empêchera pas de créer une alternative politique au cycle de vengeance et de destruction.

Changements profonds

Ce lundi, le président français s’apprête donc à reconnaître un État palestinien qui n’existe pas sur le terrain, n’a ni frontières, ni cadre international, ni institutions viables, et qui n’est assorti d’aucune exigence.

La reconnaissance est utilisée comme une fin en soi et non plus comme un levier.

«Mais si l’on reconnaît sur le papier quelque chose qui n’existe pas, le problème pourrait sembler résolu alors qu’il ne l’est pas», a prévenu Giorgia Meloni pour justifier son refus d’emboîter le pas. Idem pour la Suisse, qui considère la reconnaissance comme un atout à dégainer au moment propice, en guise d’«incitation» pour un règlement politique.

Quand la France avait reconnu Israël, en 1949, ce geste avait été encadré par les résolutions 181 et 194 des Nations unies, qui listaient des garanties concrètes de la part d’Israël. Quand elle a reconnu le Kosovo, en 2008, ce fut dans le cadre d’un mandat international, avec un calendrier de transition, sous supervision civile et militaire.

Aujourd’hui, certains accusent Emmanuel Macron d’avoir ignoré les changements profonds induits dans la région par le 7 octobre 2023.

«Ceux qui considèrent que la solution à deux États est la meilleure ont raison. Mais entre l’idéal et la réalité, il y a un fossé énorme. Depuis le 7 octobre, la coexistence pacifique entre les Israéliens et les Palestiniens relève du domaine de l’utopie. La population israélienne ne veut pas d’un État palestinien. Elle pense qu’un tel État serait un foyer de terrorisme et la source de nouveaux 7 octobre», explique une source diplomatique israélienne.

Le lien établi entre la reconnaissance et la solution à deux États ignore les différences entre ceux, parmi les Palestiniens, qui acceptent de vivre avec Israël et ceux qui veulent l’effacer du Proche-Orient pour installer leur État «de la rivière à la mer».

En Israël, l’initiative française est vue comme une récompense au Hamas. «Il n’y aura pas d’État palestinien», a une nouvelle fois prévenu dimanche soir Benyamin Netanyahou.

À Paris, on mise sur les promesses faites par Mahmoud Abbas dans une lettre à Emmanuel Macron et au prince héritier saoudien, MBS, le 9 juin.

Dans cette lettre, le président de l’Autorité palestinienne assure que le futur État sera déradicalisé et démilitarisé et que des élections auront lieu en 2026.

Cet engagement, pour l’Élysée, doit permettre d’en finir avec le Hamas et de renforcer ceux qui, au sein de l’Autorité, ont choisi la coopération.

Mais Abbas, décrédibilisé, impuissant, manquant de légitimité – il n’y a pas eu d’élections depuis 2006 -, a-t-il les moyens de tenir ses promesses? Rongée par la corruption et le népotisme, l’Autorité palestinienne a-t-elle les moyens d’agir? «Jusque-là, Abbas n’a jamais tenu ses promesses. C’est pour cela qu’il aurait mieux valu conditionner la reconnaissance aux progrès des parties palestiniennes», affirme Tal Backer, ancien conseiller du ministre des Affaires étrangères israélien.

Le pays contraint de se défendre

Dans la guerre en Ukraine, après de longues tergiversations, Emmanuel Macron a adopté une ligne claire face à la Russie. Mais au Proche-Orient, la ligne est confuse, hésistante et sujette à des revirements.

La politique française a toujours été tiraillée entre le soutien à Israël et la défense des droits des Palestiniens. Mais cette tension est encore plus difficile à gérer depuis le 7 octobre.

Au lendemain des massacres, le président français avait proposé la création d’une «coalition anti-Hamas». Deux ans plus tard, la plupart de ses critiques vont à Israël, entraîné, certes, dans une spirale de violence par les excès de Benyamin Netanyahou, par ses efforts pour éviter la création d’un État palestinien en accélérant la colonisation, par son incapacité à fixer un objectif politique aux opérations militaires.

Le chef du gouvernement israélien porte une part de la responsabilité dans l’impasse actuelle. Mais il n’en reste pas moins qu’Israël est le pays agressé par les terroristes du Hamas et à ce titre contraint de se défendre.

«La France n’arrive pas à déterminer qui est son ennemi. Il est pourtant évident que c’est l’islamisme radical, le terrorisme», explique une source proche du dossier, qui dénonce l’«hypocrisie» du gouvernement français. «On voudrait que le Hamas soit chassé de Gaza, mais on ne supporte pas qu’Israël, le seul pays à pouvoir le faire, s’en charge. La guerre s’arrêterait si le Hamas libérait les otages. Mais on fait porter la responsabilité du drame sur Israël.»

«La paix sera atteinte dans un contexte bilatéral»

Quelles seront les conséquences de la séquence new-yorkaise?

À Paris, on espère que les États-Unis, seul acteur pouvant actionner des leviers sur tous les protagonistes, finiront par endosser cette nouvelle étape qui, parce qu’elle a rallié une partie des pays arabes, s’inscrirait dans la logique des accords d’Abraham. En 2020, pendant le premier mandat de Donald Trump, ces accords avaient permis la normalisation des relations entre Israël et plusieurs pays arabes.

Mais en attendant un revirement américain qui paraît illusoire, le torchon brûle entre la France et Israël, qui dénonce «une récompense offerte au Hamas pour le 7 octobre». L’initiative de la France et de ses partenaires «nuira à la stabilité régionale», prévient Gideon Saar, le ministre des Affaires étrangères.

Un diplomate proche du dossier abonde: «Il ne fallait pas reconnaître la Palestine sans conditionner cette reconnaissance à celle d’Israël par les pays arabes!»

Reconnaissance unilatérale

Après le Mali, le Niger, le Burkina Faso et l’Algérie, la France a-t-elle perdu un partenaire de toujours, la seule démocratie du Moyen-Orient, avec lequel elle a toujours coopéré dans les moments durs, y compris dans le domaine nucléaire?

Le président français est pour l’instant interdit de visite en Israël.

En représailles, le gouvernement israélien menace d’annexer une partie de la Cisjordanie. Israël ira-t-il jusqu’à mettre fin à la coopération militaire avec la France, qui a besoin des informations sur le terrorisme que lui fournissent les capteurs et les écoutes de l’État hébreu dans la région?

Le cœur du conflit étant la négation d’Israël par les pays arabes, beaucoup considèrent que la paix ne peut pas découler d’une reconnaissance unilatérale et sans conditions d’un État palestinien par la France et l’Occident, mais qu’elle viendra d’abord de la reconnaissance d’Israël par le monde arabe.

«La paix sera atteinte dans un contexte bilatéral et non par des décisions prises à Paris ou à Madrid», affirme Gideon Saar.

Voix modérée bien qu’isolée chez les Palestiniens, Samer Sinijlawi, membre de l’opposition au sein du Fatah et président du Jerusalem Development Fund, propose une troisième voie, entre celle du Hamas et celle de Mahmoud Abbas. Pour lui, la reconnaissance de New York n’est qu’un «théâtre politique». «Le seul État qu’il faut convaincre de reconnaître l’État palestinien, c’est Israël. Sans cela, il ne se passera rien», prévient-il lors d’une table ronde organisée par le Washington Institute.

Une troisième voie

Le chemin possible d’une réconciliation doit selon lui être initié par les Palestiniens : «Il ne sert à rien de faire pression sur Israël car cela produit l’effet inverse. Ce qu’il faut faire, c’est convaincre Israël de changer. Le 6 octobre, nous nous sommes endormis en pensant qu’il y avait un chat à Gaza. Le 7, nous nous sommes réveillés en réalisant qu’il y avait un dinosaure. Nous devons faire nos devoirs, nous les Palestiniens. Reconnaître le droit des Juifs à exister sur cette terre. Faire émerger un nouveau leadership grâce à des élections. Et quand on aura changé, alors les Israëliens changeront. Tout le reste n’est qu’illusion.»

Les pays arabes, et notamment l’Arabie saoudite, auront un rôle majeur à jouer dans ce projet.