RÉCIT – Contrairement à Donald Trump, l’ancien président de l’État d’Israël rêvait de développer l’enclave côtière pour y améliorer les conditions de vie de la population palestinienne.
Par Cyrille Louis
Faire de la bande de Gaza « la Côte d’Azur du Moyen-Orient ». L’idée avancée par Donald Trump, si incongrue qu’elle puisse paraître après quatorze mois de bombardements ininterrompus, n’est pas totalement nouvelle. Elle fait écho à un rêve formulé à la fin des années 1990 par Shimon Pérès. Figure de proue de ce qu’on appelait alors le « camp de la paix », l’ex-premier ministre et futur président de l’État d’Israël se disait convaincu que cette enclave pauvre et surpeuplée avait tous les atouts pour devenir un jour « le Singapour du Moyen-Orient ».
Après la signature des accords d’Oslo, il s’efforça d’en convaincre ses interlocuteurs palestiniens avec l’espoir de sceller un compromis durable entre leurs deux peuples.
« À la différence de Donald Trump, précise Nimrod Novik, qui était à l’époque l’un de ses plus proches conseillers, Shimon Pérès envisageait le développement de Gaza comme la pierre angulaire de ses efforts de paix avec les Palestiniens. C’est pourquoi il n’aurait jamais songé à les chasser de l’enclave… »
Un embryon d’État
Il faut dire que l’étroite bande côtière, riche de terres agricoles, d’un emplacement stratégique sur l’ancienne route caravanière reliant Jérusalem au nord du Sinaï et d’un front de mer à faire pâlir d’envie les promoteurs qui entourent Donald Trump, a longtemps suscité plus de méfiance que d’intérêt parmi les dirigeants israéliens. « À l’époque de la guerre d’indépendance (1948-1949), David Ben Gourion a pris soin de ne pas l’occuper militairement car il savait que des dizaines de milliers d’Arabes chassés par les combats y avaient trouvé refuge », relate l’historien Tom Segev, auteur d’une biographie consacrée au père fondateur de l’État hébreu. « Par la suite, poursuit-il, le premier ministre Levi Eshkol a développé un programme secret visant à rémunérer des Palestiniens pour les convaincre de quitter l’enclave. Mais celui-ci, trop coûteux et peu efficace, a rapidement été abandonné. »
Sous contrôle de l’Égypte presque sans interruption de 1948 à 1967, puis de l’armée et des colons israéliens jusqu’au « désengagement » de 2005, la bande de Gaza a constamment occupé l’avant-scène du conflit. En décembre 1987, un accident de la circulation y déclenche la première Intifada tandis qu’un groupe de conjurés y fonde le Hamas. Sept ans plus tard, lorsque les accords d’Oslo sont signés pour mettre fin au cycle de violence, Yasser Arafat y fonde un embryon d’État qui deviendra l’Autorité palestinienne. « C’est à cette époque, se souvient Nimrod Novik, que Shimon Pérès a développé sa vision d’un nouveau Moyen-Orient au cœur duquel ce territoire pourrait constituer un pôle de prospérité. Certains ont levé les yeux au ciel, mais des groupes de travail ont été constitués pour tenter de traduire cette intuition en une série de projets concrets. Les uns ont planché sur la construction de corridors routiers et ferroviaires pour assurer la continuité territoriale entre Gaza et la Cisjordanie. D’autres sur la construction de centrales électriques et de dessalement de l’eau dans la péninsule du Sinaï, afin d’alimenter toute la région. Les Palestiniens, d’abord méfiants, se sont progressivement laissé convaincre. »
Yoram Dori, un autre ex-conseiller de Shimon Pérès, résumait tout récemment dans le Jerusalem Post : « Sa vision reposait sur l’idée qu’avec des investissements et de l’aide internationale, Gaza pourrait s’épanouir grâce au commerce, au tourisme et à la technologie – tout comme Singapour en son temps. Il était convaincu que l’amélioration des conditions de vie déboucherait à la longue sur une baisse des tensions entre Israéliens et Palestiniens. »
Le «plan» de Donald Trump
L’histoire, toutefois, en a décidé autrement. Le Likoud est revenu au pouvoir, le processus de paix s’est progressivement enlisé et les rêves de coexistence ont été engloutis par la seconde Intifada. En 2005, Israël évacue Gaza de façon unilatérale pour mieux verrouiller son emprise sur la Cisjordanie. Deux ans plus tard, le Hamas s’y impose par la force après avoir remporté les élections. L’enclave côtière, désormais peuplée de plus de deux millions d’habitants dépourvus de toute perspective, asphyxiée par un siège quasi-hermétique et soumise aux flambées de violence de plus en plus
meurtrières, s’enfonce dans la tragédie. Quant aux gouvernements israéliens successifs, ils semblent n’avoir pour seule politique que d’enchaîner les opérations militaires visant à empêcher les groupes armés palestiniens de devenir trop menaçants.
Le « plan » de Donald Trump, axé sur la mise en valeur des atouts dont dispose en théorie la bande de Gaza, rappelle à certains égards celui dont Shimon Pérès a tracé les grandes lignes. Mais il en diffère fondamentalement dans la mesure où il ne mentionne la population palestinienne que pour envisager son transfert vers d’autres pays. S’il ne précise pas qui habitera, à terme, cette « Côte d’Azur du Moyen-Orient », on sait que plusieurs organisations de colons israéliens sont impatientes de se réinstaller dans l’enclave. « Ce n’est pas une décision prise à la légère », a déclaré, sibyllin, le président américain.
Davantage qu’au « nouveau Moyen-Orient » dont rêvait le défunt président d’Israël, les annonces de Donald Trump font en réalité penser à une ébauche de projet diffusée en mai dernier par le bureau de Benyamin Netanyahou. Ce document PowerPoint, intitulé
« Gaza : 2035 », est présenté comme un « plan pour la transformation de Gaza ». Il prévoit la création d’une zone de libre-échange associant l’enclave côtière à la ville égyptienne d’el-Arish, dans le nord du Sinaï, ainsi qu’à celle de Sderot, dans le sud d’Israël. L’une des vues d’artiste qui l’illustrent, créée par un logiciel d’intelligence artificielle, dévoile une ville qui offre une ressemblance troublante avec Tel-Aviv.
Des tours de verre à l’architecture élégante, entourées d’espaces arborés, s’y élèvent de part et d’autre d’un large axe routier et ferroviaire. Tout autour, des champs soigneusement délimités alternent avec des hangars recouverts de panneaux solaires tandis qu’en mer s’agglutinent des navires et des plateformes de forage. Il est vrai que d’importantes réserves gazières ont été localisées ces dernières années au large de la bande de Gaza. Shimon Pérès, dont l’imagination débridée faisait parfois sourire ses interlocuteurs, semble avoir trouvé son maître.