TRIBUNE – La reconnaissance de la Palestine par la France intervient à un moment où l’isolement d’Israël, sa dénonciation et la stigmatisation des Juifs en général, qu’ils soient favorables ou non à la politique de Netanyahou, atteignent des niveaux sans précédent, constate l’ancien ministre.
Par Pierre Lellouche
Nous vivons en Orient et au-delà un moment de bascule de l’Histoire, où la légitimité même d’Israël est désormais ouvertement contestée, où le sort des Juifs du monde entier est une nouvelle fois en question. Le point de départ est bien sûr le 7 octobre.
Au risque de choquer, je pense pour ma part que le chef politique et militaire du Hamas à l’époque, Yahya Sinouar, a de fait remporté une quadruple victoire politique en déclenchant cette attaque massive contre Israël : il est d’abord parvenu à remettre la question palestinienne au cœur des problématiques du Proche-Orient ; comme il l’avait probablement anticipé, la riposte israélienne, brutale, compte tenu de l’exiguïté d’un territoire urbain de plus de 2 millions de personnes servant de boucliers humains à une armée enterrée dans une véritable ville souterraine, ne pouvait aboutir qu’à la dénonciation quasi unanime des bombardements israéliens, au point qu’Israël est aujourd’hui couramment désigné comme un État «génocidaire» ; les relations d’Israël avec le monde arabe sont gravement endommagées, comme elles commencent à l’être également avec de nombreux pays occidentaux, à l’exception des États-Unis ; enfin, l’antisémitisme est devenu globalisé après deux années de guerre.
C’est dans ce contexte qu’il faut considérer l’initiative prise par le président Macron, en lien avec le prince héritier d’Arabie saoudite, de reconnaître solennellement l’État de Palestine dans quelques jours, le 22 septembre prochain. Car, avant d’en venir au fond, il faut s’intéresser au timing de cette initiative, essentiel en matière politique comme diplomatique. Le président Macron a annoncé qu’avec cette initiative, il avait ouvert «un chemin irréversible vers la paix». Or, M. Macron ne peut pas ignorer que son initiative intervient à un moment où, après deux années de guerre à Gaza, l’isolement d’Israël, sa dénonciation et la stigmatisation des Juifs en général, qu’ils soient ou non favorables à la politique de Netanyahou, atteignent des niveaux sans précédent.
«Triste Palestine»
À mesure que nous approchons de la date devenue fatidique du 22 septembre, une date qui coïncide joliment avec le Nouvel An juif, une mobilisation anti-israélienne massive, sans précédent je le redis, est en train de gagner la planète tout entière, également alimentée, il est vrai, par l’escalade militaire israélienne à Gaza, en Cisjordanie, sans parler du raid de l’aviation israélienne contre les dirigeants du Hamas à Doha. Nous vivons une sorte de course contre la montre tragique : la guerre d’un côté, la mobilisation anti-Israël de l’autre.
Voici donc, par un funeste renversement de l’histoire, l’État d’Israël, né du génocide des Juifs et de la volonté de la communauté internationale, transformé à son tour en état «nazi», menacé dès lors de se trouver délégitimé par la communauté internationale qui l’avait fait naître en 1948. Comment ne pas voir dès lors que, dans le climat actuel, encore aggravé par la décision du gouvernement israélien de lancer une offensive terrestre contre la ville de Gaza, la reconnaissance annoncée ne peut qu’ajouter à l’isolement d’Israël, à sa stigmatisation, et plus grave encore à celle de tous les Juifs ? Si l’objectif était de faire d’Israël un État paria, une sorte de deuxième état apartheid, banni par la communauté des nations dites «civilisées», alors cet objectif est en passe d’être atteint, au risque de radicaliser encore plus la politique d’Israël. Mais s’il était de faire avancer la paix, comme l’a proclamé M. Macron, alors on peut légitimement douter du résultat.
Les conditions initiales écartées
Dans la version initiale d’avril 2025, la reconnaissance devait suivre et non précéder la réalisation de trois conditions cardinales : l’éradication du régime sanguinaire du Hamas, sa démilitarisation totale, couplée avec la libération immédiate des derniers otages ; la refonte en profondeur de l’Autorité palestinienne afin de la rendre capable de gouverner la future Palestine ; une reconnaissance mutuelle, engageant les États arabes, à commencer par l’Arabie saoudite.
Ainsi conçu, ce projet avait une vraie cohérence. Mis de côté en raison de la guerre des Douze Jours avec l’Iran, le projet a été remanié en juillet. La reconnaissance de la Palestine n’exige désormais plus rien du Hamas, pas même la libération des otages. Un Hamas dont la charte indique expressément que cette organisation est islamiste et nullement nationaliste, qu’elle se bat non pas pour un État palestinien, mais pour l’éradication totale d’Israël.
Ainsi défigurée, la reconnaissance voulue par Macron est bien sûr parfaitement inaudible en Israël, à jamais marqué par le 7 octobre. De plus, en ne demandant plus aux États arabes une reconnaissance croisée d’Israël, l’initiative macronienne ne fait qu’isoler davantage Israël, tout en menaçant la pérennité des accords d’Abraham. Ces accords, je le rappelle, avaient ouvert un processus de rapprochement avec Israël, sans préalable palestinien, raison pour laquelle précisément, le Hamas, armé par l’Iran, a attaqué le 7 octobre.
De ces conditions, il ne reste aujourd’hui qu’une liste de vœux pieux contenus dans une résolution adoptée par 142 États il y a quelques jours à New York, sous le titre pompeux de «Déclaration de New York sur le règlement pacifique de la question de la Palestine et de la mise en œuvre de la solution à deux États». Cette résolution, bien sûr non contraignante, stipule que le Hamas «doit cesser d’exercer son autorité sur la bande de Gaza», qu’il doit remettre ses armes à l’Autorité palestinienne avec le soutien et la collaboration de la communauté internationale, qu’il doit enfin libérer les otages. Mais cela après la reconnaissance du 22 septembre. Or chacun connaît la valeur de telles résolutions…
Une reconnaissance symbolique
Ce 22 septembre, la Palestine sera donc inconditionnellement reconnue par la France. Elle l’est déjà par plus de 150 États, et la Palestine dispose du statut d’observateur à l’ONU. Question : en quoi cette reconnaissance symbolique supplémentaire sert-elle la cause de la paix, voire «la solution à deux États», qui est la position européenne depuis la déclaration de Venise de 1978 ? Va-t-elle obtenir le départ de la direction du Hamas et sa démilitarisation ? Va-t-elle rendre l’Autorité palestinienne et Mahmoud Abbas davantage aptes à diriger un futur État de Palestine ? Va-t-elle convaincre un État israélien, isolé, politiquement assiégé, toujours menacé par le régime des mollahs et ses proxys arabes, de se pencher enfin sur la définition de ses frontières ? Ce qui, au passage, nécessiterait – je le dis – la fin de la proportionnelle en Israël.
Quant à la France, je crains pour ma part que cette reconnaissance et son instrumentalisation par certaines forces politiques ne servent qu’à déchirer encore plus le fragile tissu culturel et religieux qu’est malheureusement devenue notre nation française. Du moins, cet exercice diplomatique à grand spectacle aura-t-il permis au président français de faire oublier, pour quelques heures au moins, ses résultats tout aussi médiocres en politique intérieure.