« Personne d’autre ne nous soutient » : les druzes de Syrie, de plus en plus séduits par Israël

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REPORTAGE – L’engagement israélien dans le pays, couplé à un projet d’autonomie de la province de Soueïda, gagne en popularité auprès de la minorité religieuse.

Par Apolline Convain, envoyée spéciale à Soueïda

À l’entrée de Soueïda, les talus de terre obligent la voiture à s’arrêter. Dix hommes armés se tiennent devant le check-point improvisé, stoïques, sous un soleil de plomb.

C’est un sésame pour passer le barrage. Les visages se détendent : « Bienvenue », lui lance l’un des combattants en esquissant un sourire sous sa moustache. La voiture redémarre en trombe, en direction du centre-ville.

Soueïda, située à 100 kilomètres au sud de Damas, semble isolée du monde. La route qui la relie à la capitale est quasiment coupée depuis plus d’une semaine. Sur les étalages, les fruits et légumes commencent à manquer ; les rues habituellement bondées sont désertes, à l’exception des hommes capables de manier une arme, qui se relaient jour et nuit pour tenir les check-points aux coins des rues. Un pick-up équipé d’une douchka – mitrailleuse soviétique antiaérienne – passe sans attirer l’attention.

Sur le bâtiment de la municipalité, le drapeau druze à cinq bandes flotte au vent. Celui de la Syrie, à trois étoiles, est, lui, absent. Malgré le changement de régime le 8 décembre 2024, le bastion druze de Soueïda est toujours contrôlé par les dizaines de factions armées locales. Fin avril, ces dernières étaient en passe d’être intégrées au ministère de l’Intérieur mais de violents affrontements les opposant à des Bédouins et à des groupes radicaux de la région ont coupé court aux négociations. Cette vague de violence a débuté dans les localités druzes du sud de Damas. Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), 134 individus ont été tués, dont 32 combattants radicaux sunnites, 88 combattants druzes et 14 civils de cette communauté. Ces affrontements s’inscrivent dans un contexte de montée des tensions en Syrie. Le pays a été secoué en mars par une vague de massacres visant principalement la minorité alaouite. Les druzes, minorité traversée par une peur existentielle, ont réagi en s’armant lourdement. Cette communauté religieuse ésotérique se caractérise par un fort attachement à la terre et à la dignité.

« Le réel danger n’est pas Israël »

Israël, qui multiplie les interventions en Syrie depuis le 8 décembre dernier et se place en protecteur des druzes, a également répondu aux affrontements en bombardant les 1er et 2 avril plusieurs positions à travers le territoire syrien, dont les abords du palais présidentiel, juché sur les hauteurs de Damas. « C’est un message clair envoyé au régime syrien », a commenté Tsahal sur Telegram. En mars, lors d’une première montée des tensions dans la ville de Jaramana, Tel-Aviv avait déjà menacé Adtitnentetirovne:ndirespeoumrapilrsoftréaugdeurlleauxmciinrcourlieténtqeunisreefpariséasnetnptaess3er%poduer LleaFpigoapruo.laIltsioang.it d’une tentative d’hameçonnage. En cas de doute, contactez-nous.

Nous sommes isolés, pris en étau entre Ahmed al-Charaa et Israël, avec qui nous ne sommes pas contre un accord de paix

Rami

Dans un contexte d’escalade des tensions, cet engagement israélien, couplé à un projet d’autonomie de la province de Soueïda, séduit de plus en plus de druzes.

Depuis sa terrasse, Rami observe les hommes qui montent la garde dans la rue. Deux pick-up armés de douchka stationnent dans la cour. « Certes Israël nous utilise, mais d’un autre côté, personne d’autre ne nous soutient », lâche le jeune homme de 28 ans en haussant les épaules. Son oncle, qui habite le rez-de-chaussée de la demeure, renchérit : « Nous sommes isolés, pris en étau entre Ahmed al-Charaa et Israël, avec qui nous ne sommes pas contre un accord de paix. Et puis toutes les communautés de Syrie bénéficient d’un soutien : les Kurdes ont les Américains, le gouvernement est appuyé par la Turquie… »

Cette famille se dit proche du cheikh Hikmat al-Hijri, plus haute autorité religieuse druze de Syrie. Depuis le 8 décembre, ce dernier maintient un discours ambigu au sujet des autorités de Damas et d’une potentielle « intervention étrangère ». Dans l’un des nombreux salons de sa demeure de Qanawat, perché sur les hauteurs de Soueïda, le leader affiche pour la première fois ouvertement sa position ce mercredi 7 mai. « Le réel danger n’est pas Israël, mais le régime de Damas, martèle-t-il. L’État hébreu n’a jamais été un ennemi des Syriens, c’est le seul pays de la région qui a des fondations saines qui respecte le droit des hommes. C’est un acteur aligné avec nos valeurs. »

Armement des factions

Bien que religieux, le cheikh joue un rôle politique et bénéficie d’une large influence au sein de la communauté et de certaines factions druzes, telles que le Conseil militaire de Soueïda. Créé le 24 février 2024, le groupe assume l’un des discours les plus durs vis-à-vis de Damas. Son leader, Tarik el-Choufi affirme qu’il compte accepter un soutien international, notamment d’Israël », affirme cet homme à la barbe poivre et sel. Il nie cependant en bloc tout soutien matériel de la part de l’État hébreu.

Parmi la quantité massive d’armes qui circulent dans les rues de Soueïda, une partie est cependant bien fournie par Israël, comme le confirment au Figaro plusieurs sources diplomatiques européennes. « Il existe des itinéraires parfaitement identifiés par lesquels transitent les armes. C’était déjà le cas à la fin des années 2010 », déclare-t-on. Cet approvisionnement a augmenté après la dernière guerre au Liban, qui a permis à Tel-Aviv de distribuer aux factions druzes des armes confisquées au Hezbollah libanais. « La différence aujourd’hui, c’est que les armes en question sont désormais moins traçables, ce qui engage nettement moins les autorités israéliennes », précise une de ces sources, qui estime que l’objectif de l’État hébreu est de maintenir la sécurité à sa frontière en y évitant le déploiement des nouvelles forces de Damas car « Netanyahou ne croit pas en al-Charaa ». Ce soutien pourrait aussi s’inscrire dans le projet de « Grand Israël », soutenu par le premier ministre israélien : « Il y a quelques années, je n’y aurais pas cru. Mais aujourd’hui les autorités israéliennes ont franchi toutes les lignes rouges et n’ont plus de limites. »

Minorité divisée

Sur un carrefour du centre-ville, deux étoiles de David taguées sur un mur ont été recouvertes d’un coup de bombe verte. Le soutien israélien est loin de faire l’unanimité à Soueïda. « L’interventionnisme israélien répond à un agenda extérieur. Ce pays se sert des affrontements actuels en Syrie pour servir ses propres intérêts », tance Bassem Abou Fakhr, porte-parole de la faction Rajel el-Karame, qui nous reçoit chez lui dans le village de Rimat el-Luhuf, au nord-ouest de Soueïda. Depuis le changement de régime, le groupe dialogue avec les autorités de Damas et s’oppose fermement au cheikh Hikmat Hijri. « Si les autorités de Damas garantissent la sécurité, la dignité, et des conditions de vie décentes à notre population, nous croyons au dialogue. La signature d’un accord est une nécessité », assure le porte- parole de la faction qui compte 1000 hommes.

Il est conscient des répercussions d’une autonomie de la province. Soueïda, entourée de régions contrôlées par le régime de Damas et privée de lien direct avec Israël, se retrouverait isolée économiquement. « Une forme d’indépendance sous giron israélien signifierait par ailleurs la mort des druzes de Syrie sur la scène politique.

Même les Kurdes, en signant un accord en mars, ont fait l’aveu que l’autonomie ne fonctionne pas », analyse Cédric Labrousse, doctorant à l’EHESS, spécialiste de la Syrie.

Les divisions entre les factions druzes font désormais peser le risque d’une montée des tensions au sein de la communauté. « Le 6 mai, un affrontement entre des membres du Conseil militaire et des druzes intégrés au ministère de l’Intérieur a fait deux morts », raconte Laith*, membre de l’initiative Civil Gathering for Syria. « Cet accrochage témoigne d’un début d’escalade entre les factions. Un conflit ouvert serait catastrophique, car il conduirait à une guerre civile ici à Soueïda », redoute l’activiste qui confirme qu’Israël fournit des armes à certaines factions. Tandis que les factions druzes s’écharpent, la présidence syrienne a confirmé le mercredi 7 mai avoir entamé un dialogue avec les autorités israéliennes, par l’intermédiaire des Émirats arabes unis afin d’« apaiser les tensions et empêcher la situation de devenir incontrôlable. »