« Parfois, mes geôliers riaient » : Tal, ex-otage du Hamas à Gaza, raconte l’enfer des tunnels

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Capturé le 7 Octobre dans le village de Beeri, dans le sud d’Israël, Tal Shoham, entrepreneur de 40 ans, a vécu 505 jours dans les griffes du groupe islamiste. Il évoque ses traumatismes, les conditions de vie en captivité et ses craintes pour ceux qu’il a laissés là-bas.

Par Robin Korda – Le Parisien

Il a été traîné dans les rues, enfermé, oublié dans un tunnel sans air, ni lumière. Tal Shoham a survécu 505 jours dans les geôles du Hamas. Le 7 octobre 2023, des terroristes islamistes ont capturé cet Israélien de 40 ans dans le village de Bee’ri, au sud de l’État hébreu, sous les yeux de sa femme et de ses enfants, aujourd’hui âgés de 9 et 5 ans. Ses bourreaux l’ont relâché en février.

Le sort des derniers captifs du Hamas, ces jours-ci, pose plus que jamais question. Une vingtaine vivrait encore aux mains du groupe palestinien, qui continue de faire miroiter leur libération en échange d’un cessez-le-feu. Des négociations indirectes ont lieu au Qatar.

Mais la perspective d’un accord s’éloigne.

Lundi, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a annoncé qu’Israël allait prendre « le contrôle de tout le territoire » de la bande de Gaza. Le jour même, les frappes de Tel- Aviv auraient provoqué une cinquantaine de morts. Les opérations militaires s’intensifient, au prix d’un désastre humanitaire décrié dans le monde.

Tal Shoham prend le temps de trouver les mots, en anglais, au téléphone. Cet entrepreneur reconnu dans la tech israélienne a décidé de livrer, pour la première fois, son récit brut à un média européen. Pour Evyatar David et Guy Gilboa-Dalal, ses deux compagnons d’infortune qu’il a laissés derrière lui. Et pour qui il veut garder espoir.

Le 7 octobre 2023, des terroristes vous font grimper dans le coffre d’une voiture. Que se passe-t-il ensuite ?

TAL SHOHAM. On m’a d’abord fait descendre dans une ville de la bande de Gaza. On m’a installé à l’arrière d’un deux-roues et, pendant trente minutes, on m’a fait parader dans les rues. Les terroristes criaient au « porc de soldat juif ». La foule m’insultait, me crachait dessus, on a essayé de me frapper.

Heureusement, le conducteur continuait d’avancer, sans quoi j’étais sans doute lynché et battu à mort. Finalement, on m’a emmené dans une maison qui, je l’ai compris plus tard, appartenait à un haut gradé du Hamas.

Que saviez-vous du sort de votre famille ?

Rien. Je questionnais mes gardes mais personne ne me répondait. Parfois, ils riaient en me disant que je ne reverrais pas mon beau-père de sitôt, puis ils passaient leur pouce sur leur cou pour me faire comprendre qu’ils l’avaient égorgé — il a été exécuté le 7 octobre. Je pensais tout le temps à ma femme,

à mes enfants, et j’imaginais le pire. Ça a été la période la plus atroce de ma captivité. Au bout de quelques semaines, j’ai reçu une lettre de ma femme. Elle me disait qu’elle avait été capturée avec sa mère, sa tante et nos enfants, mais qu’ils allaient bien et qu’ils étaient sur le point d’être libérés. Ils ont été relâchés en novembre 2023.

Pouviez-vous suivre les infos ?

Au début, des gardes me demandaient de temps en temps de leur traduire la radio israélienne en arabe. C‘est comme ça que j’ai découvert l’étendue des horreurs du 7 Octobre. Les terroristes, eux, étaient euphoriques. Ils répétaient que c‘était magnifique.

Où avez-vous été détenu ensuite ?

J’ai été trimbalé dans plusieurs planques, des appartements et des maisons, à chaque fois que les terroristes pensaient avoir été repérés par les services israéliens. Les transferts avaient lieu tôt le matin, en plein couvre-feu, pendant que les gens restaient chez eux.

D’autres fois, on m’a habillé en femme intégralement voilée pour avancer incognito dans la foule. Et puis, en juin 2024, on m’a dit qu’on allait me transférer dans la maison d’un médecin dans le nord de la bande de Gaza. On m’a promis qu’il y aurait de l’électricité, de l’eau potable, de la nourriture. J’ai voulu y croire.

« Il y avait quatre matelas par terre, un grand trou dans le sol pour nos toilettes. Aucune lumière naturelle ne rentrait. La lumière artificielle restait allumée 24 heures sur 24, sauf lorsqu’ils coupaient l’électricité. Là, c‘était le noir total »

Tal Shoham

C‘est là qu’on vous a emmené dans un des fameux tunnels de la bande de Gaza…

On était deux otages à être transférés. On a marché dans la rue en plein jour, au milieu de la population, déguisés en Palestiniens. Une ambulance du Croissant Rouge est arrivée, remplie de terroristes armés. On nous a fait grimper puis on nous a bandé les yeux avec des masques anti-Covid. J’ai senti qu’on descendait. On nous a ensuite fait marcher très longtemps dans des bâtiments, plusieurs heures, sans rien voir. Puis j’ai entendu des gens gémir, et un garde leur dire : « On vous apporte de la compagnie. » Là, j’ai compris que j’allais rester dans ce tunnel pendant très longtemps.

Vous allez passer près de neuf mois avec trois autres captifs. À quoi ressemblait votre cellule ?

C‘était un petit couloir de 1 m de large, haut de 1,80 m, et d’une douzaine de mètres de long, fermé par une grosse porte de fer. Nous étions à 20 ou 30 m de profondeur. Il y avait quatre matelas par terre, un grand trou dans le sol pour nos toilettes. Aucune lumière naturelle ne rentrait. La lumière artificielle restait allumée 24 heures sur 24, sauf lorsqu’ils coupaient l’électricité. Là, c‘était le noir total, je ne pouvais même pas distinguer ma main devant mon visage. Cela pouvait durer plus de 12 heures, pendant lesquelles il fallait tâter les murs pour se déplacer. Parfois, les gardes nous disaient qu’il fallait économiser de l’électricité. D’autres fois, je pense que c‘était juste par cruauté.

Comment viviez-vous à l’intérieur ?

On manquait d’oxygène. L’air circulait peu. Un voile noir passait devant mes yeux chaque fois que je me levais. J’avais besoin de m’accrocher aux murs cinq à 20 secondes pour ne pas perdre connaissance. La cellule était extrêmement humide. Nos vêtements et nos matelas étaient mouillés et sales. En général, nous pouvions prendre une douche et nous changer toutes les trois semaines environ. Le reste du temps, nous n’avions même pas de savon pour les mains.

Vous aviez encore la notion du temps ?

On essayait de la garder mais c‘était compliqué. Nos geôliers nous donnaient de fausses heures et de fausses dates pour nous perdre. Ils essayaient de nous briser mentalement. Ils nous hurlaient dessus, nous crachaient dessus parfois. Il leur arrivait de nous interdire de dormir et ils vérifiaient, à travers une caméra, qu’on obéissait aux ordres, sans quoi ils nous apportaient encore moins de nourriture le lendemain…

« La faim faisait tellement mal à l’intérieur de l’estomac, c‘est indescriptible. Avant de nous libérer, un garde a fini par nous expliquer qu’il nous avait affamés exprès »

Tal Shoham

Que mangiez-vous ?

Presque rien. Un peu de pain pita, ou bien du riz, jamais de légumes ni de viande. La faim faisait tellement mal à l’intérieur de l’estomac, c‘est indescriptible. Avant de nous libérer, un garde a fini par nous expliquer qu’il nous avait affamés exprès. Pour choquer l’opinion israélienne et rajouter de la pression au gouvernement en faveur d’un accord avec le Hamas.

Vous avez commencé à développer des maladies…

Du pus jaune s’est mis à sortir de mes oreilles. Je suis encore, aujourd’hui, un traitement pour cela. Un jour, un gros hématome circulaire est apparu sur ma jambe. Il a viré au jaune, puis au violet. La douleur a commencé à être insupportable, au point de m’empêcher de me déplacer. J’avais développé un scorbut, une maladie qui n’existe quasiment plus dans nos pays depuis des siècles, due à la malnutrition. C‘est la seule fois qu’un médecin est venu m’ausculter.

Avez-vous eu peur de mourir ?

Je me suis demandé plusieurs fois si j’allais me réveiller le lendemain. Je craignais que les terroristes fassent exploser notre tunnel, comme ils menaçaient de le faire, si l’armée israélienne approchait. Je ne voulais pas mourir. Ma vie d’avant me manquait. Mais les conditions étaient si horribles… J’ai trouvé la paix dans l’idée de mourir. C‘était devenu une façon possible de mettre fin à toute l’horreur que je subissais.

Au point d’envisager le suicide ?

Non. Dans la première maison où l’on m’a caché après le 7 Octobre, je me suis promis que je ferais tout pour rester en vie, digne et humain. Mes co-otages se sont parfois demandé pourquoi continuer à se battre. Je les ai toujours encouragés à tenir. Le jour où on a été séparés, ils m’ont dit qu’ils n’auraient peut-être plus la force. Ils affrontent une terrible dépression. J’ai peur pour leur vie.

J’espère qu’ils sortiront bientôt.

Quelles étaient vos relations en cellule ?

On était quatre, 24 heures sur 24 ensemble. On a partagé nos vies. Une fraternité s’est développée. J’ai l’impression, aujourd’hui, qu’ils sont mes frères biologiques. Je sais tout sur eux, ils savent tout sur moi. Et ils sont toujours en captivité dans l’obscurité, la cruauté des tunnels.

Croyez-vous en leur libération ?

Je l’espère, oui. Il y a des négociations intenses au Qatar avec des Israéliens, des Palestiniens et des médiateurs, dont les Américains. J’espère qu’il y aura bientôt un accord pour ramener tout le monde en vie à la maison. J’espère que c‘est la direction qu’on est en train de prendre.

Ces dernières heures, le gouvernement israélien semble plutôt muscler ses opérations militaires, au risque de compromettre un accord…

Honnêtement, j’ai été libéré il y a moins de trois mois. J’ai encore du mal à comprendre tout ce qui se passe au niveau politique et militaire. Je sais juste que l’objectif d’Israël est que le Hamas renonce aux armes. Je crois que c‘est très important de faire le nécessaire pour ramener les otages chez nous, mais aussi d’empêcher toute éventuelle attaque terroriste dans le futur.

« Quand j’ai été capturé, je faisais 78 kg. Je suis sorti de Gaza, j’en pesais 55 »

Tal Shoham

 

Comment s’est passée votre libération ?

Un garde, le 21 janvier dernier, nous a dit qu’un accord avait été trouvé et que deux d’entre nous seraient bientôt libérés. On n’était pas sûr que ce soit vrai mais on n’avait que ça. Un temps, on m’a jeté dans un cachot encore plus horrible, avec des cafards partout, de minuscules matelas affreusement sales.

Après plusieurs semaines, on m’a finalement emmené à Rafah dans une maison avec de l’électricité, une grande télévision, une baignoire, beaucoup de nourriture. Le samedi, ils ont organisé une grande parade et m’ont fait monter sur scène pour rencontrer la Croix Rouge.

Quand avez-vous compris que vous étiez libre ?

La Croix Rouge m’a emmené à un poste frontière israélien. J’ai demandé à aller aux toilettes. C‘étaient de vraies toilettes, propres, comme je n’en avais pas vu depuis des centaines de jours. Je me suis planté devant le miroir. Et là, j’ai commencé à danser. Une danse de la victoire. C‘est la première fois que je pouvais me relâcher. J’allais enfin retrouver ma famille…

Comment se passe votre vie depuis ?

Je récupère encore. Quand j’ai été capturé, je faisais 78 kg. Je suis sorti de Gaza, j’en pesais 55, et je pense que je devais faire plusieurs kilos de moins, encore, avant qu’on me nourrisse en vue de ma libération. Mon corps reprend petit à petit. J’ai commencé à suivre des thérapies. Je vais à l’hôpital une fois par semaine.

Et psychologiquement ?

C‘est une autre histoire. Toute ma famille a été enlevée. Ma femme et mes enfants n’ont pas pu soigner leur propre traumatisme le temps de mon absence. Il faut faire le deuil des gens qu’on a perdus, du temps qui est passé. Il m’arrive de me mettre à pleurer dans la journée. Je ressasse souvent l’idée que ma famille et moi-même, on a eu de la chance de ne pas mourir le 7 Octobre, puis en détention. Plus de 100 habitants de notre village ont été assassinés. Je ne sais pas pourquoi on nous a gardés en vie. Penser à quel point on était proche d’une autre réalité, c‘est très difficile. Mais j’essaye d’être dans le présent, d’avoir du temps pour mes proches et de me concentrer sur ce qu’on a.