«On ne peut plus se permettre d’attendre», en Israël, le long combat des familles d’otages

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Par Guillaume de Dieuleveult, correspondant à Jérusalem



Inlassablement,
depuis plus de quatorze mois, ces fils, femmes, frères battent le pavé pour lutter contre l’oubli et retrouver les leurs.

Pour eux, la liberté a pris un goût amer. Depuis l’attaque terroriste du 7 octobre 2023, ils vivent dans l’attente, nourrissant tantôt l’espoir ou luttant contre l’abattement, au gré des rumeurs. C’est un oncle, un frère, un membre de leur famille qui a été enlevé. Depuis, ils font le décompte des jours.

Pour l’otage dans la bande de Gaza, ce sont autant de journées à survivre dans des conditions cauchemardesques auxquelles leurs proches font sans cesse allusion. Pour eux, en Israël, ce sont plus de quatorze mois à mener ce qui est devenu le combat d’une vie : pour la libération des

101 otages israéliens toujours retenus quelque part dans le territoire palestinien ravagé par plus d’un an de guerre.

Il leur faut lutter contre l’oubli. Michael Levy est le frère d’Or, 34 ans, kidnappé le 7 octobre et dont la femme, Eynav, 32 ans, a été tuée ce jour-là. Il dit avoir donné plus de 1000 interviews depuis qu’il a découvert le sort de son frère, huit jours après l’attaque. Il a voyagé dans plus de quinze pays, il vient de témoigner devant le Conseil de sécurité des Nations unies. Jusqu’au 6 octobre 2023, il dirigeait une équipe dans une entreprise de la tech, près de Tel-Aviv.

Depuis le 7, il consacre tout son temps à la libération de son frère dont le fils, Almog, a fêté son

3e anniversaire. « C’était l’anniversaire le plus triste de ma vie », se souvient Michael Levy. Le petit garçon, orphelin de mère, est pris en charge par son oncle. « Quand je me sens fatigué, je pense à Almog et je reprends le combat pour qu’il puisse retrouver son père, explique Michael Levy. Je ne suis plus vraiment moi-même, reconnaît-il. Je m’assois dans le canapé avec ma famille mais ma tête est ailleurs, je me demande ce que je dois faire maintenant, à qui je devrais parler, quelle sera la prochaine étape. »

Un accord «plus proche que jamais»

Au fil de ces mois de guerre au cours desquels Israël a cru voir son destin basculer, la question des otages est parfois passée au second plan. En novembre 2023, un accord avec le Hamas avait permis la libération de 105 d’entre eux, en échange de celle de prisonniers palestiniens.

Depuis, ça a été les montagnes russes. Les négociations étaient menées avec la médiation du Qatar et de l’Égypte : en janvier, puis en mai, puis en juillet, on les disait proches d’aboutir, avant que tout le monde ne finisse par claquer la porte. Il aura fallu la réélection de Donald Trump à la Maison-Blanche, et sa volonté ferme de voir un accord aboutir avant son retour aux affaires, le 20 janvier, pour que les discussions reprennent en vue d’un cessez-le-feu avec le Hamas. Des sources officielles le disent

« plus proche que jamais. » Mais les membres du Forum des familles d’Otages, l’organisation créée après le 7 Octobre, ont appris la prudence.

Imaginez un peu comment quelqu’un peut survivre 440 jours sans lumière, sans air, avec très peu de nourriture et d’eau, sans hygiène, enfermé dans un tunnel

Inlassablement, ils battent le pavé. D’abord, ils ont couvert le pays d’affiches, puis de drapeaux jaunes, la couleur du mouvement. Elle est apparue sur des drapeaux posés le long des routes, sur des rubans aux portières des voitures, sur des bracelets, des pins arborés par les dirigeants du pays. Chaque samedi, les membres du Forum se réunissent à Tel-Aviv sur le boulevard Begin, au pied du ministère israélien de la Défense, avec ce slogan : « Ramenez-les à la maison maintenant. »

Urgence vitale

Combien, sur les 101, sont encore en vie ? Il y a quelques semaines, la rumeur disait la moitié, désormais, ce serait une trentaine. « On ne peut plus se permettre d’attendre », estime Eyal Calderon, le cousin d’Ofer Calderon, 59 ans, un franco-israélien kidnappé lui aussi le

7 Octobre.« Imaginez un peu comment quelqu’un peut survivre 440 jours sans lumière, sans air, avec très peu de nourriture et d’eau, sans hygiène, enfermé dans un tunnel. Ils sont tous dans une situation d’urgence. Ils risquent de ne pas passer l’hiver. »

Les deux enfants d’Ofer Calderon, Erez, 12 ans et Sahar, 16 ans, ont été libérés lors de l’accord de novembre 2023. Erez avait été séparé de son père et de sa sœur qui, elle, était restée avec Ofer.

« Je me bats pour qu’ils retrouvent leur père, mais aussi pour le futur de ce pays, affirme Eyal Calderon. En tant qu’officier, j’ai appris qu’on ne laisse jamais un homme derrière soi. Ce qui vaut pour un soldat vaut encore plus pour un civil et je veux que, lorsque mes enfants feront l’armée, ils soient certains d’avoir derrière eux un pays qui ne les abandonnera jamais. C’est l’éthique israélienne. »

Pour eux, pas de paix possible

Depuis l’attaque du 7 Octobre, Israël a pourtant vu son image se détériorer comme jamais sur le plan international. La crise humanitaire dans la bande de Gaza et le niveau inégalé de destruction suscitent l’incompréhension et la colère. Mais, du point de vue des proches d’otages, aucune interruption des combats n’est envisageable tant que les leurs n’auront été libérés.

« Ceux qui nous accusent ne savent pas de quoi ils parlent. Il faut vivre en Israël pour comprendre, avec des attaques de missiles et des attentats tous les jours, entourés d’ennemis, assure Michael Levy. Peut-on accepter de vivre dans un pays attaqué par des terroristes qui ont tiré du lit une personne âgée, un bébé, une femme, pour les emmener vivre le pire des cauchemars ? Israël n’a pas commencé cette guerre. Je n’ai pas de haine contre les Palestiniens. Mais tant que nos proches sont otages chez eux, la paix n’est pas possible. »

Le jour où Sahar Calderon a été libérée, alors qu’elle quittait son père Ofer, il lui aurait dit « bas toi pour moi, je ne veux pas mourir dans ce tunnel », raconte Eyal Calderon. « Aucune fille de 16 ans au monde ne devrait porter sur ses épaules une telle responsabilité envers son père », conclut-il.

Samedi, il retournera donc à Tel-Aviv pour manifester, une fois de plus.