ANALYSE. Le leader djihadiste était l’instigateur des massacres barbares du 7 octobre 2023, l’acte déclencheur de la guerre qui ravage depuis un an la bande de Gaza.
La mort de Yahya Sinouar, le potentat du Hamas, « éliminé » par Tsahal selon le chef de la diplomatie israélienne, fait disparaître l’homme qui a déshonoré la cause palestinienne. Le chef du mouvement islamiste était l’instigateur des massacres barbares du 7 octobre 2023, qui ont dissipé pour longtemps toute perspective d’une solution négociée du conflit séculaire entre Israéliens et Palestiniens.
La liquidation du chef terroriste par des militaires en opération dans la bande de Gaza est un succès majeur pour l’armée israélienne, qui avait déjà tué ces derniers mois plusieurs de ses adjoints, dont Mohammed Deïf, le responsable de la branche armée du mouvement, le 13 juillet à Khan Younès.
La disparition de Sinouar marque une étape essentielle dans la réalisation des buts de guerre israéliens à Gaza, qui sont au nombre de trois : destruction de l’appareil politico-militaire du Hamas afin qu’il ne soit plus en mesure de gouverner le territoire et de menacer Israël ; libération de tous les otages capturés par le Hamas ; sécurisation à long terme de la frontière sud d’Israël, passant par une démilitarisation et une déradicalisation de la bande de Gaza.
Elle valide aussi l’obstination du Premier ministre Benyamin Netanyahou, qui proclame depuis des mois sa volonté de « finir le travail » à Gaza, malgré les nombreux appels au cessez-le-feu et au compromis avec le Hamas, qui émanent de la communauté internationale, mais aussi d’une partie de la population et de la classe politique en Israël.
Sinouar, artisan du rapprochement du Hamas avec l’Iran
Né en 1962, Sinouar s’est imposé dans les années 1980 au sein de la branche armée du Hamas dans la bande de Gaza comme un bourreau qui n’hésitait pas à torturer et tuer des Palestiniens accusés de collaboration avec Israël. Capturé par les services israéliens, il a passé plus de deux décennies en prison avant d’être relâché en 2011 dans le cadre d’un échange visant à libérer un militaire de Tsahal enlevé par le Hamas, le caporal Gilad Shalit.
Après avoir pris, quelques années après sa libération, la tête du Hamas à Gaza, Sinouar a joué un rôle important dans le rapprochement du mouvement islamiste sunnite avec l’Iran chiite. Il a œuvré de concert avec le chef en exil du bureau politique, Ismaïl Haniyeh (tué par une bombe du Mossad le 31 juillet à Téhéran), pour rejoindre « l’axe de la résistance », un réseau de milices animé par la République islamique contre Israël.
C’est lui qui a conçu et orchestré la razzia du 7 octobre, pendant laquelle des milliers de tueurs du Hamas et du Djihad islamique ont balayé par surprise les défenses israéliennes autour de Gaza, investi des bases militaires, des kibboutzim et un festival de musique, tué quelque 1 200 personnes et emmené 250 autres en otages dans la bande de Gaza.
La vaste opération militaire qu’Israël a lancée en réplique à ces exactions s’est traduite par la mort de milliers de combattants islamistes – mais aussi de plusieurs milliers de civils – et le dynamitage de nombreux tunnels utilisés par les djihadistes pour s’y dissimuler et stocker armes et munitions. Plus d’une centaine d’otages, dont deux ont la nationalité française, sont encore aux mains des groupes terroristes. Beaucoup d’entre eux seraient déjà morts. Les civils palestiniens subissent pour leur part une crise humanitaire de proportions dantesques.
Quel avenir pour la bande de Gaza ?
Les critiques de la stratégie israélienne ont souvent mis en avant depuis un an l’idée qu’une idéologie comme celle du Hamas ne pouvait pas être défaite par les armes. Selon eux, les destructions d’infrastructures et d’habitations ne peuvent que renforcer le soutien populaire dont bénéficient les islamistes et créer de nouvelles générations de terroristes.
Et pourtant, les succès israéliens dans l’élimination des cadres dirigeants du mouvement terroriste démontrent que les capacités du Hamas peuvent être suffisamment dégradées pour lui interdire de reprendre le contrôle de la bande de Gaza et d’organiser des attaques significatives contre le territoire israélien. C’est la force brute et la répression, et non la volonté populaire, qui ont permis au Hamas de prendre le pouvoir en 2007 à Gaza, deux ans après le retrait israélien du territoire, et d’y exercer depuis lors une dictature que Sinouar et ses acolytes n’ont cessé de renforcer.
Il est encore trop tôt pour savoir quel impact aura la mort du chef du Hamas sur la question de la libération des otages. On peut cependant affirmer d’ores et déjà que son décès ne permettrait pas, à lui seul, d’entrevoir un nouvel avenir pour la bande de Gaza. L’objectif que s’est fixé le mouvement – la destruction d’Israël – est désormais hors d’atteinte pour lui. Mais la perspective d’une solution politique au conflit, à savoir la création d’une entité étatique palestinienne à côté d’Israël, ne s’est pas rapprochée pour autant.
Le profond traumatisme causé par les massacres du 7 octobre a renforcé dans la population israélienne l’idée que la sécurité nationale ne pouvait pas supporter le voisinage à sa frontière d’un État palestinien, même officiellement désarmé. La perversité de Sinouar continuera ses méfaits bien au-delà de sa mort.
Par Luc de Barochez – Le Point