EXCLUSIF – L’écrivain franco-algérien est emprisonné en Algérie depuis maintenant cinq mois. Dans un dernier élan d’espoir, ses deux filles publient dans Le Figaro une lettre ouverte à Emmanuel Macron pour appeler à sa libération.
Par Nawal et Sabeha, filles de Boualem Sansal
Après cinq mois d’un silence qui nous étreint chaque jour davantage, après cinq mois à espérer, à attendre, à croire encore en la lumière de la justice, nous nous sentons aujourd’hui obligées, en tant que filles, mais aussi en tant que citoyennes du monde libre, de nous adresser à vous.
Notre père, Boualem Sansal, a 80 ans. Il est malade. Il est écrivain. Et il est enfermé. Non pas pour un crime, non pas pour une faute, mais pour ce que toute démocratie devrait chérir : ses mots, ses pensées, sa liberté.
Depuis le 16 novembre dernier, il est retenu dans une cellule, loin de ses livres, loin de sa table de travail, loin de ses petits-enfants qu’il n’a pas revus. Cinq mois, Monsieur le président. Cinq mois dans le silence d’un cachot pour un homme dont chaque mot a tenté, toute sa vie, de bâtir des ponts entre les peuples. Cinq mois pour un humaniste que rien n’a jamais détourné de sa foi en l’universalisme, en la dignité, en la liberté d’expression.
Nous avions espéré, jusqu’au bout, qu’une grâce, même discrète, viendrait rétablir l’équilibre des choses. Nous avions cru que le président algérien, conscient de la situation humaine et sanitaire de notre père, entendrait cet appel. Mais il n’en est rien.
Et à mesure que le silence se prolonge, que les tensions entre la France et l’Algérie s’enlacent dans des jeux diplomatiques qui nous échappent, notre père reste là, otage d’un contentieux qui ne le concerne pas.
Monsieur le président, nous savons que vous êtes sensible à la littérature, à la parole libre, à ces voix solitaires qui font honneur à la pensée
Nawal et Sabeha
Alors nous vous écrivons, Monsieur le président, non dans l’invective, non dans le reproche, mais dans un dernier élan d’espoir. Parce que la France qu’il aime, la France qu’il n’a jamais cessé de défendre dans ses écrits, cette France-là est encore pour lui un phare. Parce qu’il a cru en la République française, en sa voix singulière dans le concert des nations, en sa capacité à ne jamais détourner le regard lorsqu’un écrivain, qu’il soit algérien ou français, se voit bâillonné pour avoir simplement dit le vrai.
Monsieur le président, nous savons que vous êtes sensible à la littérature, à la parole libre, à ces voix solitaires qui font honneur à la pensée. Boualem Sansal est de celles- là. Il est de ces veilleurs qui, dans la nuit des peuples, continuent de tendre la main. Il a tant donné au dialogue entre nos deux rives, il a tant fait pour rapprocher les mémoires, pour réconcilier les douleurs et les histoires.
Aujourd’hui, il a besoin de vous. Et à travers lui, c’est la liberté de penser qui appelle. C’est cette voix tremblante, mais encore vive, d’un homme que l’on voudrait effacer sans bruit, qui vous tend la main. Il ne demande pas un privilège, seulement qu’on n’oublie pas qu’il existe, qu’il souffre, qu’il attend.
Notre père n’a plus beaucoup de forces, mais il garde au fond des yeux cette étincelle qui, malgré tout, continue de croire en la beauté du geste politique
Nawal et Sabeha
Notre père n’a plus beaucoup de forces, mais il garde au fond des yeux cette étincelle qui, malgré tout, continue de croire en la beauté du geste politique. Nous vous demandons, Monsieur le président, de faire ce geste. Pour lui. Pour la mémoire des justes. Pour ce que la France représente encore, là-bas et ici, dans le cœur des hommes libres.
Recevez, Monsieur le président de la République, l’expression respectueuse de notre confiance et de notre espérance.