« Les chances pour que Téhéran accepte de négocier un accord global sont limitées après un premier échec sous l’administration Biden », analyse l’iranologue Clément Therme
Les faits – Lundi sur Fox News, Donald Trump a semblé opter en faveur dʼune solution négociée avec lʼIran plutôt que pour une intervention militaire contre son complexe nucléaire. Mais Téhéran pourrait fermer la porte à une reprise des pourparlers. Décryptage de Clément Therme, chargé de cours à lʼUniversité Paul Valéry– Montpellier 3 et chercheur associé à lʼInstitut international dʼétudes iraniennes (Rasanah), qui vient de publier son rapport annuel : « Globalization of Crises and Complexity of Conflicts ».
Après avoir donné sa bénédiction à la reprise des négociations avec l’administration Trump, le guide suprême, Ali Khamenei, fait machine arrière…
La République islamique fait face à un défi existentiel alors que lʼadministration Trump a rétabli sa politique de « pression maximale », le 4 février. Ali Khamenei a rejeté, dans un discours prononcé le 7 février devant lʼarmée de lʼair, la perspective de pourparlers avec les Etats-Unis. Mais Téhéran est très dépendant économiquement des Etats-Unis. Ces annonces ont provoqué un dévissage de la monnaie, le rial, qui a perdu plus de 10 % de sa valeur par rapport au dollar. Téhéran se heurte aussi à une autre réalité : la dépendance sécuritaire du système à l‘égard de la Russie. Cette contradiction est au centre du dilemme de la République islamique : maintenir son réseau dʼinfluence pour défier la politique américaine au Moyen-Orient tout en se rapprochant de Moscou dans le contexte de la guerre dʼUkraine ou sacrifier son influence régionale pour assurer sa survie économique en prônant une désescalade avec les Etats-Unis.
L’Iran n’a-t-il pas, plus que jamais, besoin d’un accord avec les Occidentaux ?
L’économie est plus vulnérable quʼen 2015 lorsque le gouvernement dʼHassan Rohani a fait le choix du compromis nucléaire avec lʼadministration Obama. Elle a été très affaiblie par une gouvernance dysfonctionnelle, la corruption des élites et lʼaccroissement des sanctions occidentales. Pendant lʼhiver, les coupures d’électricité entraînent la fermeture des institutions, des écoles et des universités, perturbant aussi la production dans des dizaines dʼusines du pays.
Lʼadministration Trump devra associer Israël au projet de nouvel accord américano–iranien. Celui–ci ne pourra pas se construire autour de la seule question nucléaire
Le retour de la pression maximale ne va-t-il pas montrer ses limites ?
La définition dʼune nouvelle politique de « pression maximale » par lʼadministration Trump 2.0 devra réconcilier des objectifs diamétralement opposés : augmenter les pressions économiques sur lʼIran sans favoriser un nouveau conflit dans la région ; réduire les exportations de pétrole iranien en obtenant lʼaccord de son principal acheteur, la Chine. Les raffineries privées chinoises, appelées teapots, absorbent environ 90 % des exportations iraniennes de pétrole, souvent présentées comme provenant de la Malaisie ou des Emirats arabes unis. Ces importations chinoises ont diminué depuis lʼélection de Donald Trump. La Chine a importé 1,18 million de barils par jour dʼIran en décembre contre 1,22 million en novembre. Un volume en baisse de 23 % par rapport au record de 1,53 million en octobre. Enfin, lʼadministration Trump devra associer Israël au projet de nouvel accord américano- iranien. Celui-ci ne pourra pas se construire autour de la seule question nucléaire. La « question iranienne » est devenue une polycrise dans le contexte des guerres dʼUkraine et de Gaza et de lʼaccélération de la diplomatie des otages par Téhéran.
Quelles chances existe-t-il d’obtenir un accord élargi incluant le contrôle des missiles balistiques et de l’influence régionale iranienne ?
Les chances que Téhéran accepte des pourparlers portant sur un accord global sont limitées. Lʼélargissement du champ de la négociation, aux questions militaires et à la politique régionale de Téhéran, a déjà échoué sous lʼadministration Biden. Cela a empêché le retour à lʼaccord sur le nucléaire.
Toute la stratégie de pression est orchestrée par les administrations israélienne et américaine. Les Européens sont-ils hors-jeu ?
Il existe aussi un débat interne, en Iran, sur le positionnement européen vis-à-vis de la stratégie de pressions renouvelées par les autorités américaines. Une partie des dirigeants souhaitent sʼappuyer sur la plateforme diplomatique européenne pour gérer les tensions à venir avec Washington. Les partisans du président « modéré », Masoud Pezeshkian, privilégiaient, jusquʼau discours du guide suprême du 7 février, lʼinstauration dʼun dialogue direct avec Washington. Ils lʼestiment préférable à des négociations indirectes, moins efficaces, via des intermédiaires européens ou régionaux comme le Qatar, Oman, lʼArabie saoudite, lʼIrak… Les Européens apparaissent dorénavant en soutien à la stratégie américaine alors quʼils jouaient le rôle de contre-pouvoir lors de la première administration Trump, de 2017 à 2021. En synergie avec les Etats-Unis, les Européens évoquent la possibilité dʼactiver le mécanisme du « snapback » qui permet aux signataires de lʼaccord de Vienne de rétablir des sanctions multilatérales contre lʼIran, qui avaient été levées en 2016.