L’Iran, affaibli sur la scène régionale, est poussé à des négociations avec les Etats-Unis
Contesté en interne et confronté à la pression américaine, le régime iranien se dit prêt à des négociations « indirectes » sur le nucléaire, espérant la levée des sanctions économiques.
Par Ghazal Golshiri
L’échange a eu lieu le 1er avril sur la plateforme X. Ce jour-là, alors que les Etats-Unis faisaient planer depuis quelques semaines la menace d’une attaque contre l’Iran, le ministre des affaires étrangères iranien, Abbas Araghtchi, défendait l’option diplomatique entre Téhéran et Washington.
« L’engagement diplomatique a porté ses fruits dans le passé et peut encore fonctionner », écrivait le chef de la diplomatie iranienne, faisant allusion à l’accord sur le nucléaire iranien conclu en 2015, devenu caduc depuis le retrait unilatéral de Washington, trois ans p lus tard. « Excellent », lui avait répondu d’emblée, sur le même fil, Steve Witkoff, l’émissaire de Donald Trump au Moyen-Orient. Supprimée quelques heures plus tard par son auteur, la réponse de M. Witkoff prend aujourd’hui tout son sens, alors qu’il retrouvera Abbas Araghtchi samedi 12 avril à Oman, pour mener des négociations.
Ces négociations seront « directes » selon les Américains et « indirectes » selon les Iraniens, ce qui signifie que des intermédiaires relaieront les discussions entre les deux parties. La veille, à Washington, sous le regard désemparé du premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, farouchement opposé à tout accord diplomatique avec l’Iran, le président américain annonçait :
« Nous avons des discussions directes avec l’Iran, et elles ont commencé. »
Le Guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, lors d’une réunion à Téhéran, le 8 mars 2025. BUREAU DU GUIDE SUPRÊME IRANIEN/VIA REUTERS
Le locataire de la Maison Blanche a également laissé planer la menace d’une réponse militaire en cas d’échec de ces discussions. « Ce serait un très mauvais jour pour l’Iran », avait-il ajouté.
En déplacement à Alger, mardi 8 avril, Abbas Araghtchi a cherché à minimiser la différence de vues entre Téhéran et Washington sur le caractère des négociations. « Le mode de négociation n’est pas le plus important ; ce qui compte, c’est la volonté des deux parties d’aboutir à un accord. L’Iran préfère le canal indirect car les tentatives américaines d’imposer leurs vues par la pression ou la menace sont inacceptables, et le format indirect garantit un dialogue plus équilibré », a-t-il expliqué.
Convaincre Ali Khamenei
Cependant, selon une source proche des autorités à Téhéran, les discussions pourraient rapidement intervenir directement entre les deux parties. Cela constituerait la première rencontre en face-à-face entre les deux pays depuis que Donald Trump a quitté l’accord nucléaire conclu sous son prédécesseur, Barack Obama, à Vienne. « Si le climat est favorable, une discussion directe pourrait s’engager après une ou deux heures entre les représentants iraniens et américains », explique Hossein Mousavian, ancien diplomate iranien et membre de l’équipe de négociation de 2015, aujourd’hui installé aux Etats-Unis. Un précédent existe, note-t-il : en 2014, en raison de tensions politiques internes, les Américains avaient interrompu les pourparlers directs avec l’Iran. « La solution, à l’époque, explique le diplomate iranien, avait été de commencer les négociations à Istanbul [Turquie] en présence de [la Britannique] Catherine Ashton [la cheffe de la diplomatie européenne à l’époque]. Puis Mme Ashton avait quitté la salle, permettant ainsi aux négociateurs iraniens et américains d’engager un dialogue direct. » Quelques mois plus tard, le « deal » nucléaire était signé.
A Téhéran, le Guide suprême, Ali Khamenei, s’était dit, jusqu’à présent, opposé à toute prise de contact avec les Etats-Unis, et encore plus avec Donald Trump, qui a ordonné l’assassinat, en 2020, en Irak, de l’Iranien Ghassem Soleimani, chef des Forces Al-Qods, la branche extérieure des gardiens de la révolution. Début février, le Guide avait décrété que négocier avec les Etats-Unis n’était « ni raisonnable, ni intelligent, ni honorable ». Aujourd’hui, la formule de négociations « indirectes » a été trouvée pour faire passer la pilule face au veto posé par Ali Khamenei, notamment afin d’obtenir une levée des sanctions internationales qui étouffent l’économie iranienne.
Depuis le retrait des Etats-Unis de l’accord, l’Iran s’est progressivement affranchi de nombreux engagements pris dans le cadre du « deal » nucléaire. Le pays serait en mesure de produire du combustible de qualité militaire en quelques semaines et une arme complète en quelques mois.
« Depuis peu, le gouvernement du président Massoud Pezeshkian, plus ouvert à une reprise des négociations avec Washington que son prédécesseur, Ebrahim Raïssi, a commencé à avancer discrètement sur le terrain des négociations. Le choix d’un format indirect semble fonctionner, même si les résultats concrets restent incertains », explique Hamidreza Azizi, chercheur à l’institut de recherche Stiftung Wissenschaft und Politik, à Berlin.
Si le Guide semble aujourd’hui résolu à accepter que les négociations avec le « Grand Satan » soient relancées – même indirectement –, c’est aussi parce que ses calculs politiques se sont révélés erronés.
« Ali Khamenei a refusé tout dialogue avec Donald Trump entre 2018 et 2021, à moins que ce dernier ne revienne au “deal” nucléaire, se disant probablement : “Je peux attendre qu’il parte.” Mais cette stratégie n’a mené nulle part, car, sous Joe Biden, les négociations indirectes n’ont donné aucun résultat, explique l’analyste Mohammad Ali Shabani, rédacteur en chef du site Amwaj.media. Ali Khamenei est confronté à une décision : conclure un accord ou obtenir la bombe nucléaire. Mais les Iraniens savent que cela provoquerait une guerre. C’est précisément pour cette raison que M. Khamenei est prêt à ouvrir la porte à des négociations avec Donald Trump. »
Présence militaire américaine renforcée
L’Iran traverse un moment particulièrement délicat. Le pays a vu les défenses aériennes de ses principaux sites nucléaires endommagées p ar des frap p es israéliennes menées en octobre 2024. Par ailleurs, pour exercer une pression dissuasive contre Israël, Téhéran ne peut plus s’appuyer pleinement sur ses relais régionaux : le Hamas palestinien et le Hezbollah libanais ont été considérablement affaiblis, et le régime syrien de Bachar Al-Assad a été renversé en décembre 2024.
Ces dernières semaines, les frap p es américaines sur un autre allié de Téhéran, les rebelles houthistes au Yémen, se sont intensifiées. En parallèle, les Américains ne cessent de renforcer leur présence militaire dans la région. Le 2 avril, le Pentagone a annoncé le déploiement de chasseurs F-35, de bombardiers B-2, de drones Predator et de batteries de missiles Patriot dans des zones stratégiques telles que le golfe Persique et la mer d’Arabie. « Aujourd’hui, malgré l’annonce des négociations à Oman, la présence militaire américaine dans la région reste intacte. C’est justement ce contexte qui a influencé l’évolution de la position de l’Iran », analyse le chercheur Hamidreza Azizi.
En interne, le gouffre ne cesse de se creuser entre le pouvoir iranien – peu enclin à faire des concessions durables et significatives, notamment depuis la répression du mouvement Femme, vie, liberté, en 2022 – et la population. En outre, en un an, la monnaie iranienne a perdu 60 % de sa valeur face au billet vert.
De son côté, Benyamin Nétanyahou a posé des conditions maximalistes pour une solution diplomatique avec l’Iran, dans une vidéo publiée par son bureau avant son départ de Washington pour Israël, le 8 avril : « Cela peut se faire, mais uniquement par un accord du type : “On entre, on détruit les installations, on démantèle tout sous supervision américaine.”» Si les négociations échouent et que l’Iran tarde, le premier ministre israélien a précisé que l’option militaire devrait être envisagée. « Tout le monde comprend cela. J’en ai longuement discuté avec le président Trump », a-t-il affirmé.