Les missiles iraniens provoquent des dommages limités mais spectaculaires en Israël

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Par Guillaume de Dieuleveult, envoyé spécial à Petah Tikva

REPORTAGE – Les deux pays sont lancés dans une guerre d’usure.
L’État hébreu accuse son ennemi de cibler délibérément les civils.

C’est l’attaque du petit matin qui a été fatale. L’aube était encore loin et, pour la deuxième fois de la nuit, les sirènes avaient sonné à travers Israël, réveillant des millions de personnes, les conduisant aux abris. Vers 4 heures, le flash de l’interception des missiles, le grondement des explosions, leur souffle ont, une fois de plus, empli le ciel et fait trembler les vitres dans le pays.

Les habitants de ce grand immeuble d’habitation de Petah Tikva, dans la banlieue nord de Tel-Aviv, s’étaient réfugiés dans leurs abris. Mais les murs de béton armé du « mamad » n’étaient pas assez épais, pas conçus pour les protéger contre une arme aussi puissante. Quand le missile est tombé, l’immeuble a tremblé sur ses fondations, il a été ravagé. Quatre personnes sont mortes. En trois nuits de bombardements depuis le début de la guerre, 21 Israéliens ont été tués, 631 blessés par les missiles iraniens.

L’Iran vise les civils
Distants de plus de 1500 kilomètres, les deux ennemis cherchent à se faire le plus mal possible. Combien de temps tiendront-ils ce rythme ? Malgré les coups qu’il reçoit, le régime de Téhéran montre qu’il a la capacité de frapper durement Israël. Il ne se contente pas de cibler des objectifs militaires. Il tape directement les zones civiles : la région côtière, entre Tel-Aviv et Haïfa est densément peuplée, les frappes y sont meurtrières. À Haïfa, lundi matin, trois personnes sont mortes asphyxiées par la fumée de l’incendie d’une raffinerie frappée par un missile.

À Petah Tikva, toutes les vitres du quartier ont été soufflées. Les immeubles ont été noircis par l’explosion, criblés par les éclats. Des fils électriques pendent aux façades, des climatiseurs ressemblent à des boîtes de conserve ouvertes, les casques orange des équipes du commandement du front intérieur s’agitent parmi les décombres, deux pelles mécaniques évacuent des mètres cubes de gravats. Les voisins observent en silence.

Un immeuble endommagé par des tirs iraniens à Bat Yam en Israël. Ronen Zvulun / REUTERS

Kippah sur la tête, tsitsit dépassant de leurs tee-shirts, Matan et Omer, 15 ans, regardent leurs immeubles dévastés. Les deux amis sont encore sous le choc de l’attaque. L’appartement de Matan a été détruit, sa famille l’a quitté précipitamment après l’explosion, ils n’ont plus d’endroit où aller ce soir. « On va gagner ! », lance-t-il, bravache.

Le hurlement d’une sirène de police déchire l’atmosphère. C’est Itamar Ben-Gvir, le ministre de la Sécurité Intérieure, qui vient constater les dégâts. II sort de sa voiture, entouré d’une meute de policiers en arme et file. Des caméras de télévision israélienne l’attendent au pied de la tour. « Il me fait bien rigoler celui-là. On l’aime pas, on n’aime pas Netanyahou », peste une voisine. Elle a tout perdu dans l’explosion de la nuit.

Abris du quartier
Le président israélien, Isaac Herzog, est venu aussi un peu plus tôt, pour dénoncer « ce pouvoir maléfique qui s’attaque aux civils innocents d’Israël » et menacer le régime des mollahs. « J’ai des nouvelles pour vous. Vous croyez que vous allez nous fatiguer ? Vous vous trompez totalement. Nous sommes une nation très solide, résiliente, puissante. »

Le même scénario s’impose depuis trois nuits. Une dizaine de minutes avant l’attaque, les Israéliens sont alertés sur leurs téléphones portables par un message du commandement du front intérieur. « Il est impératif de rester près d’un endroit protégé. Limitez vos mouvements, évitez les rassemblements. » Quelques minutes plus tard, un deuxième message. Il précède le hululement des sirènes. Il reste alors 90 secondes pour entrer dans le refuge. Ces derniers mois, les Israéliens s’étaient habitués à ce scénario : deux à trois fois par semaine, un missile tiré par les houthistes du Yémen était intercepté. Le danger étant limité, la prudence s’était érodée.

Maintenant, nous nous trouvons en plein dans une guerre contre un pays 80 fois plus gros que nous. Ces gens-là, vous savez, ils ne lâchent jamais rien. Ils ont ça dans le sang
Shali, habitante

Désormais, les autorités militaires insistent sur la nécessité d’obéir aux consignes. Le message passe : avant que ne sonne l’alerte, on voit les habitants passer dans la rue. Sans précipitation ni perte de temps, ils se dirigent vers les abris du quartier.

Gay et Shali étaient eux aussi dans leur abri quand le missile est tombé. « On savait que c’était une question de temps avant que ça arrive ici », reconnaît, fataliste, Shali. Elle se souvient que, dans les semaines qui ont suivi l’attaque terroriste du 7 Octobre, une roquette du Hamas est tombée, non loin. « Mais elle a fait un tout petit trou dans un toit, c’est tout. Là, c’est autre chose. Maintenant, nous nous trouvons en plein dans une guerre contre un pays 80 fois plus gros que nous. Ces gens-là, vous savez, ils ne lâchent jamais rien. Ils ont ça dans le sang. » Elle estime que, sans l’aide des États-Unis, Israël aura du mal à transformer l’essai. Le convoi d’Itamar Ben-Gvir passe en trombe dans la rue. « Bye bye Ben-Gvir ! », lance Gay. « Qu’est-ce qu’il est venu faire ici ? C’est que du show de politicien, ça m’écœure », lâche-t-il.

La bataille de la communication
Dans le bras de fer qui oppose les deux pays, la communication est un champ de bataille. L’armée israélienne demande de ne pas donner d’indication précise des sites civils frappés par l’Iran. Elle interdit aux caméras étrangères de tourner devant les sites militaires ou stratégiques qui ont été visés. Située en plein centre de Tel-Aviv, la Kyria, le quartier général de l’armée israélienne, est sous black-out. Les bureaux de l’ambassade américaine à Tel-Aviv ont été légèrement abîmés par une frappe.

Israël Katz, le ministre israélien de la Défense, prend très mal les attaques contre des civils. Dans un style qui lui est familier, il a dénoncé lundi matin sur X « le dictateur de Téhéran, un lâche meurtrier qui tire délibérément sur les civils israéliens », avant de promettre que « les habitants de Téhéran en paieraient bientôt le prix. » Une déclaration qui va à l’encontre de la communication de Netanyahou : depuis le début de cette guerre, le premier ministre s’efforce de prouver qu’il n’a rien contre « le fier peuple d’Iran » mais que son adversaire est le régime des mollahs. Quelques heures après ce message, le ministre Katz a fait machine arrière.

Les habitants de Téhéran appelés à évacuer par Israël
Comme elle le fait à Beyrouth ou dans la bande de Gaza depuis le début de cette guerre, l’armée israélienne s’adresse désormais aux habitants de Téhéran pour les inviter à évacuer un quartier avant une frappe. « Chers citoyens, pour votre sécurité, nous vous pressons d’évacuer la zone désignée sur la carte. Votre vie y est en danger », peut-on ainsi lire dans un message publié lundi après-midi par Avichai Adrae, le porte-parole de l’armée israélienne en langue arabe et, désormais, en farsi. Un message auquel l’Iran a répondu par une adresse en hébreu aux habitants de Tel-Aviv : « Pour votre sécurité, nous vous conseillons de quitter la ville immédiatement. » Lundi après-midi, le siège de la télévision d’État iranienne aurait été frappé par l’aviation israélienne.

Le grondement des avions
Jour et nuit, le ciel d’Israël est déchiré par le puissant grondement des avions de chasse. Des centaines de kilomètres plus loin, ils continuent de harceler l’ennemi iranien. Lundi matin, Benyamin Netanyahou a rendu visite aux pilotes. « Vous faites des choses incroyables. L’aviation israélienne contrôle le ciel de Téhéran. Cela change toute la campagne. Nous allons atteindre nos objectifs : éliminer la menace nucléaire et la menace des missiles. Nous frappons le régime, à l’inverse des criminels de Téhéran qui visent nos civils. » D’après Téhéran, 45 femmes et enfants ont été tués au cours des derniers bombardements, 75 personnes ont été blessées.

Cette opération a permis de réduire de moitié le nombre de missiles tirés sur Israël, limitant le barrage à moins de 50 missiles
Brigadier général Effie Defrin, porte-parole de l’armée israélienne

Selon le porte-parole de l’armée israélienne, le brigadier général Effie Defrin, les bombardements ont détruit un tiers des lance-missiles iraniens. Il affirme que l’aviation contrôle désormais totalement le ciel au-dessus de Téhéran. Un officier précise que l’armée a frappé une centaine de cibles au cours de la dernière nuit : sites nucléaires et sites militaires sont présentés comme les deux objectifs prioritaires. « Cette opération a permis de réduire de moitié le nombre de missiles tirés sur Israël, limitant le barrage à moins de 50 missiles », estime-t-il.

Scepticisme croissant
Cette stratégie suscite tout de même un scepticisme croissant dans la presse israélienne. Dans les colonnes du journal Israel Hayom, un titre plutôt favorable à Netanyahou, l’éditorialiste Yoav Limor invite le gouvernement israélien à « s’en tenir aux objectifs qu’il s’est fixé, sachant qu’une guerre prolongée érodera ses acquis et augmentera les risques ».

Mais, sur le dossier du nucléaire, Israël n’est pas capable de porter un coup décisif à l’Iran sans les bombes anti-bunker des Américains, dont il est dépourvu. Le sort de cette guerre se joue donc à la Maison-Blanche : Donald Trump acceptera-t-il de soutenir jusqu’au bout son vieil ami Netanyahou ? « J’espère que le scénario dans lequel les États-Unis ne se joignaient pas à l’attaque a été envisagé par les gens qui se sont lancés dans cette guerre », remarque un éditorialiste du Yedioth Aharonot, un journal centriste.

Pour le rabbin Shmuel, cette guerre ne se gagnera pas sans le soutien de la prière. Ce religieux loubavitch est venu lui aussi à Petah Tikva ce lundi matin, à bord de sa « synagogue mobile », explique-t-il. « Notre combat se mène sur le plan matériel, mais aussi spirituel » continue-t-il, tout en passant la lanière en cuir d’un « tephillin » autour du bras d’un passant qu’il a convaincu de s’arrêter un instant, afin de prier pour la victoire d’Israël.