«Les “idiots utiles” du Hamas finiront au mieux bredouilles, au pire entre quatre planches»

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TRIBUNE Dans un livre essentiel et édifiant, Michaël Prazan raconte comment les terroristes sont devenus experts en communication et s’en servent pour manipuler la gauche occidentale, raconte le journaliste Benjamin Sire.

Par Benjamin Sire

Benjamin Sire est journaliste et éditorialiste à Franc-Tireur.

Le calendrier sait parfois manier l’ironie, même à propos du pire, même dans un moment où il se transforme en espoir. C’est ainsi que, mercredi 15 janvier, jour de l’annonce de la trêve tant attendue entre Israël et le Hamas, sortait le dernier livre du journaliste et documentariste, Michaël Prazan, mon confrère chez Franc-Tireur, dois-je préciser : La vérité sur le Hamas et ses «idiots utiles»* . Ironie, parce que le sujet de la «trêve» occupe une place importante dans cet ouvrage indispensable, qui rappelle le refus définitif du mouvement terroriste, issu de la Confrérie des frères musulmans, d’envisager le terme de « paix ». J’y reviendrai.

En attendant réjouissons-nous face à la perspective de voir les horreurs auxquelles nous assistons tous, impuissants, depuis le matin du 7 octobre 2023, potentiellement s’arrêter en même temps que les derniers otages retrouveront leurs foyers. Même si nous savons tous combien les cessez-le-feu sont fragiles et l’instrumentalisation des haines, durable, au point de voyager à travers les siècles. Ce sont ces haines millénaires qui nous valent, depuis plus d’un an, ces images allant des indescriptibles abominations commises par le Hamas, à l’ultra violente réplique et son cortège de dizaines de milliers de victimes où se mêlent sans distinctions monstres et innocents, d’un gouvernement israélien, pris en étau entre le légitime droit de se défendre et les pulsions criminelles de son aile la plus radicalement d’extrême droite, figurée par le tandem Ben Gvir, Bezalel Smotrich. Déjà chacun s’accuse de ne pas respecter l’accord ; déjà de nouveaux cadavres expriment leur indifférence au regard des annonces optimistes qui barrent les unes des journaux ; déjà la réalité d’une Histoire, plus complexe que celle qui épouserait nos désirs, ombrage de ses ailes cyniques nos plus naïves et pourtant humaines espérances. Et c’est de cela que Michaël Prazan nous parle.

Ne considérant certes que l’un des acteurs du conflit, le Hamas. Laissant à d’autres, si nombreux, de plus en plus nombreux, bien trop nombreux, prendre le prétexte de la très légitime critique du régime de Netanyahou, pour déverser à nouveau sur le monde la peste antisémite : ce mélange de frustrations, d’ataviques simplifications, et d’exhumation du plus ancien bouc émissaire de l’Histoire, offrant à chacun l’occasion de se laver les mains de ses propres turpitudes pour en confier la plénitude à un groupe humain qui n’en est pas un, étant si divers qu’il ne cesse de se surprendre d’être ainsi considéré. Car, ce que montre Michaël Prazan, avec une précision aussi documentée que sensible dans sa « vérité », c’est combien la question palestinienne indiffère le Hamas, qui est pourtant censé en être l’ambassadeur guerrier ; combien ce mot fantasme, Palestine, né d’une mauvaise humeur romaine, n’est pour le mouvement terroriste que l’alibi d’une quête bien plus ample, d’un dessein bien plus menaçant : instaurer le Grand Califat, allant du Maghreb jusqu’au Pakistan, avant de submerger le monde entier – cette fameuse oumma -, et surtout d’obtenir l’éradication des juifs, ceux d’Israël et ceux d’ailleurs, ceux qui font allégeance au ciel et ceux qui se cognent d’un quelconque être suprême, jusqu’au dernier.

Il est dans la nature de l’islam de dominer, pas d’être dominé, d’imposer sa loi sur toutes les nations, et d’étendre son pouvoir à la planète entière.

Comme le rappelle Prazan, avec une implacable pédagogie, rien ne commence, ni à Gaza, ni en Cisjordanie, pour le Hamas, mais tout au Caire. Quand le jeune enseignant provincial monté à la capitale, Hassan al-Banna, grand-père du fameux Tariq Ramadan, fulmine face à l’occidentalisation de son pays impulsé en Égypte, tout comme dans la Turquie de Mustafa Kemal, par la domination britannique. En 1928, il crée la Confrérie des frères musulmans, fondée sur les préceptes d’un islam sunnite rigoriste prenant racine dans le salafisme wahhabite propre à l’Arabie saoudite. Cette Confrérie va bientôt essaimer à travers le monde musulman, tantôt chérie, tantôt pourchassée. Ses intentions sont clairement exprimées par al-Banna à travers ces mots rappelés par Prazan : «Il est dans la nature de l’islam de dominer, pas d’être dominé, d’imposer sa loi sur toutes les nations, et d’étendre son pouvoir à la planète entière». Cette mission s’arrime non seulement à un antisémitisme musulman qui, selon la légende, est né de la bataille de Khaybar, en 628 après J.-C., quand l’armée de Mahomet guerroya après quelques suspicions de trahisons contre les juifs de l’oasis local, mais aussi… au nazisme. Al-Banna, inspiré par les thèses hitlériennes, tout comme le Grand mufti de Jérusalem, qui fut le très actif allié du Führer, transforma cet antisémitisme historique aux sources confuses en une haine systémique aux relents complotistes. Une doctrine qui s’appuie notamment sur le faux document, encore aujourd’hui livre de chevet de tant de despotes islamistes, Le protocole des sages de Sion.

Un texte fabriqué de toutes pièces par la propagande du Tsar Nicolas II, en 1903, imaginant un plan secret de domination du monde par les juifs, pour mieux les réprimer. Comme le décrit minutieusement Michaël Prazan, cet antisémitisme aux contours nazis diffusé par les Frères musulmans d’al-Banna, a permis de rapprocher les différentes composantes de l’islam radical contre les juifs, arrivant même miraculeusement à unir par moments Sunnites et Chiites, en dépit de leur querelle originelle pour déterminer le réel héritier de Mahomet. On le voit avec l’étau terroriste qui enserre Israël : au sud et à l’est, les Sunnites du Hamas, au nord, les Chiites du Hezbollah. C’est ainsi que la révolution iranienne de 1979 fut baignée dans ce marigot idéologico-religieux, l’ayatollah Khomeini, étant à la fois un frère musulman chiite et un grand fan de la pensée de Hitler. Mais plus que l’antisémitisme viscéral des uns et des autres, c’est la création d’une petite nation portant le nom d’Israël qui figura le caillou dans la chaussure des promoteurs de l’oumma. Un État, certes laïque d’apparence, mais fondamentalement juif de fait, en dépit de ses 20 % de population arabe aux droits égaux, bien que relativisés par les chicanes du réel, situé au cœur du califat rêvé, ne pouvait que représenter le pire des outrages pour les descendants d’al-Banna. Et bien avant sa création, pour l’un de ses ambassadeurs, Ezzedine al-Qassam. Celui-là même, comme le rappelle Prazan, qui a donné son nom aux roquettes du Hamas.

Pour le Hamas, le 7 octobre n’est que l’un des épisodes d’une série appelée à en connaître d’autres.

C’est par son entremise qu’a débuté le combat en Palestine mandataire (du nom de la région lors de sa domination par les Britanniques) contre les kibboutz originaux et les implantations juives. Ce qui fait rappeler à notre auteur que, s’il « est communément admis que le Hamas serait à la fin de l’année 1987, pour ravir au Fatah et à l’OLP le leadership contre l’État hébreu. Cette assertion n’est que partiellement vraie. » Car, d’une certaine manière, Hamas et Frères ne font qu’un, le premier n’étant qu’une filiale régionale de la holding mondiale. Une filiale dont les fondamentaux sont aux antipodes du nationalisme arabe, mais aussi palestinien. Et c’est là que la pédagogie de Prazan joue un rôle fondamental. Elle tord le cou à cette assertion nationaliste palestinienne qui permet à certains, ici et ailleurs et le plus souvent à gauche, comme avec Rima Hassan ou Danièle Obono, de faire du Hamas un «mouvement de résistance». Il est, au contraire, une composante de l’armée de conquête frériste, indifférente aux notions de frontières. Raison pour laquelle, ainsi que le stipule autant sa charte que ses fondamentaux, nulle « paix » ne peut être scellée avec ceux que l’on veut éradiquer de leur territoire. Seules les trêves évoquées en introduction de cet article sont admises. Le plus souvent davantage pour se refaire la cerise que dans un souci humanitaire. Raison pour laquelle, pour le Hamas, le 7 octobre n’est que l’un des épisodes d’une série appelée à en connaître d’autres.

À l’inverse même, l’une des raisons ayant présidé à la création du Hamas a été de concurrencer et de supplanter les autres mouvements palestiniens, tels l’OLP, puis le Fatah, dans les veines desquelles coule le sentiment national. Une entreprise qui a rencontré le succès à Gaza à partir de 2006, quand les derniers membres du Fatah furent tués ou expulsés et commence à porter ses fruits en Cisjordanie au grand malheur de l’Autorité palestinienne. Raison pour laquelle cette dernière vient de publier un violent communiqué contre ses rivaux, en dépit de l’accord commun récemment signé envisageant une gouvernance conjointe de la bande de Gaza après la fin de la guerre. Ayant déjà critiqué le mouvement terroriste après le 7 octobre, le rendant responsable du retour des Israéliens dans l’enclave palestinienne, le parti de Mahmoud Abbas, s’inquiète maintenant de son rôle en Cisjordanie.

Dans son communiqué il dénonce une tentative hamassiste d’y semer «le chaos», «poursuivant ainsi sa politique qui a entraîné un désastre pour le peuple palestinien». En cause la tentative de prise de contrôle par le Hamas de la Cisjordanie, particulièrement du nord, notamment dans le camp de réfugiés de Jénine. Le Fatah reproche également au Hamas de sacrifier «les intérêts et les ressources du peuple palestinien au profit de la République islamique d’Iran». Car outre d’être le bras armé du frérisme, le Hamas l’est aussi de l’Iran, comme d’autres proxies, tels les Outhis yéménites ou le Hezbollah libanais. Ce qui permet de penser que le 7 octobre est davantage le coup d’envoi d’un conflit entre Téhéran, qui n’a jamais caché sa volonté de rayer l’État hébreu de la carte, et ce dernier. Mais cette acception, pas davantage que l’oumma ou la volonté d’appliquer la Charia, ne représentent des axes de communication porteurs pour le Hamas. Pour recueillir l’assentiment de naïves foules occidentales croyant épouser la cause palestinienne, le bonneteau de la résistance et du nationalisme fonctionne bien plus efficacement, tout comme les slogans «free Palestine» ou «de la rivière à la mer».

Une gauche se prenant pour Machiavel, et n’étant qu’un maladroit apprenti sorcier, épouse la cause islamiste des Frères musulmans.

Et en matière de communication, nos amis terroristes sont devenus experts, maîtrisant la guerre culturelle gramsciste aussi bien que le maniement des armes. Ce qui leur permet de manipuler à leur guise les «idiots utiles» qui ornent la couverture du livre de Michaël Prazan. Ceux qui, chez LFI, EELV et d’autres mouvements politiques de la gauche européenne, comme dans nombre de campus occidentaux, se parent de keffiehs, dans la certitude de défendre cette « nation palestinienne ». Une nation dont le Hamas n’a pourtant cure. Pas davantage que de la population de Gaza à laquelle fut refusée la possibilité de se réfugier dans les nombreux abris et tunnels construits à des fins militaires avec la captation de l’aide humanitaire, d’argent en provenance du trafic de drogue et des subsides venus d’Iran et d’ailleurs. On assiste alors à la même tragi-comédie qui fut à l’œuvre lors de la révolution iranienne de 1979, puis des Printemps arabes. Une gauche se prenant pour Machiavel, et n’étant qu’un maladroit apprenti sorcier, épouse la cause islamiste des Frères musulmans, ici celle du Hamas, pensant en tirer un bénéfice électoral ou de conscience fondé sur un storytelling erroné, avant de se faire rouler dans la farine et de repartir, au mieux bredouille, au pire entre quatre planches.

Voilà ce que nous raconte Michaël Prazan, dans ce livre à l’écriture limpide et incarnée, comme pour mieux nous montrer le piège qui nous est tendu au profit d’un mouvement à l’idéologie mortifère. Un livre truffé d’entretiens avec certains des maîtres à penser du Hamas, face auxquels on ressent charnellement le malaise de l’auteur. Un livre essentiel et édifiant, non pour ceux qui ont déjà la conscience d’une réalité maquillée par les outils de la post-vérité et des réseaux sociaux, encore moins pour ceux, qui, profitant du contexte, laissent éclater au grand jour leur antisémitisme jusque-là retenu, mais pour tous ceux, sincères, humanistes et sensibles, qui se sont laissé embarquer dans le soutien à une organisation terroriste, pensant défendre la légitime cause palestinienne. À lire, à prêter, à offrir.

*La vérité sur le Hamas et ses idiots utiles », Michaël Prazan, Éditions de l’Observatoire, 208 p, 20 €.