Les démocraties aussi savent se battre

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ÉDITO. Israël et l’Ukraine démontrent par leurs exemples que la faiblesse des démocraties « décadentes » face aux autocraties est une idée fausse.
Par Luc de Barochez

Israël a mis à genoux l’Iran, pays neuf fois plus peuplé. L’Ukraine résiste encore et toujours au géant russe, depuis quarante mois maintenant, alors que Vladimir Poutine est censé disposer de la deuxième armée du monde. Les événements récents battent en brèche l’idée reçue selon laquelle les démocraties, forcément décadentes et impotentes, seraient perdantes lorsqu’elles font la guerre à des autocraties.

Depuis la défaite d’Athènes face à Sparte, dans l’Antiquité, il est dit et répété que les démocraties ne font pas le poids sur le champ de bataille. Pourtant, au XXe siècle, ce sont bien elles qui sont sorties victorieuses des deux guerres mondiales, les conflits les plus meurtriers jamais livrés. Ce sont elles aussi qui ont gagné la guerre froide.

« Herbivores » contre « carnivores »

Mais ces dernières années, les régimes « forts » ont renversé la tendance, suite à l’écrasement de la démocratie géorgienne par Vladimir Poutine, la capture de la Crimée par celui-ci, la défaite de la petite Arménie face à la dictature azerbaïdjanaise, et surtout l’humiliation infligée à la puissante Amérique, contrainte par les talibans afghans de décamper en catastrophe de Kaboul. L’impression s’est imposée que les régimes autocratiques, plus belliqueux, étaient aussi les plus performants militairement.

Or, les données de long terme démentent cette assertion. Le politiste américain Steve Dobransky a publié dans le Journal of Strategic Security une analyse statistique fondée sur le résultat des 31 guerres impliquant des démocraties contre des autocraties survenues entre le congrès de Vienne, en 1815, et l’année 2014. Il en déduit que 26 d’entre elles, soit 84%, ont été remportées par le camp démocrate, qui n’a enregistré que cinq défaites : la guerre gréco-turque de 1897, gagnée par l’Empire ottoman, la guerre d’Hiver de l’Union soviétique contre la Finlande, en 1939-1940, les deux guerres perdues par l’Inde, en 1962 (contre la Chine) et en 1965 (contre le Pakistan), et la guerre du Vietnam, en 1975. Les démocraties, réputées « herbivores », sont plus pacifiques, alors que les hommes forts, en quête de rentes pour eux-mêmes et moins soumis au contrôle du peuple que leurs homologues démocrates, développent des ambitions impérialistes « carnivores ».

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Mais les démocraties s’appuient sur plusieurs caractéristiques qui expliquent leur résilience. Premièrement, elles garantissent la liberté de leurs citoyens, ce qui leur donne un avantage sur des régimes totalitaires qui soumettent l’individu au contrôle de l’État et répriment l’autonomie et l’innovation. Deuxièmement, elles prennent moins de risques, préférant en général résoudre les conflits par la négociation plutôt que par la force militaire. Ainsi, plus un régime tend vers la démocratie, moins il a de chances d’attaquer son voisin – et on n’a jamais vu deux véritables démocraties se faire la guerre. Troisièmement, elles favorisent en règle générale le développement économique et technologique du pays, ce qui renforce leur puissance militaire, alors que les dictatures se contentent souvent d’extraire des richesses du sous-sol – la Chine est une exception notable. Quatrième point, l’information circule mieux dans les démocraties et le management – y compris des militaires – y est plus efficace.

L’union fait la force… démocratique

David Lake, professeur à l’Université de Californie, qui a écrit un article sur le sujet dans l’American Political Science Review en 1992, souligne que les démocraties sont aussi plus enclines à s’unir pour résister aux autocraties, qui sont souvent expansionnistes et agressives mais qui peinent à se coaliser. Cela contribue à expliquer pourquoi elles ont plus de chances de sortir gagnantes d’un conflit.

Pour autant, l’Ukraine va-t-elle finir par l’emporter contre la Russie ? Israël a-t-il une chance, même avec l’appui américain, de parvenir à ses deux buts de guerre en Iran, la fin du programme nucléaire militaire et le renversement du régime des mollahs ? Les guerres sont le plus souvent incertaines jusqu’à la fin. Pour savoir si la théorie se confirme, il va falloir encore attendre.