Le quatuor maléfique du « Crink »

Share on facebook
Share on twitter
Share on linkedin
Share on print
Share on email

L’ÉDITO DE LUC DE BAROCHEZ. L’acronyme anglais pour Chine, Russie, Iran et Corée du Nord désigne une coalition anti-occidentale adepte de la force brute. Par Luc de Barochez.


Une puissance asiatique envoie des troupes combattre en Europe : l’escalade est gravissime. Il est désormais confirmé que la Corée du Nord, pays pauvre et autarcique mais militairement puissant, a dépêché plusieurs milliers de ses soldats pour appuyer les armées russes dans leur guerre d’agression de l’Ukraine, un pays candidat à l’Union européenne. Pour trouver un précédent historique, il faut remonter huit siècles en arrière, aux invasions mongoles.Le ministère américain de la Défense estime à 10 000 le nombre d’hommes arrivés en Russie, où ils sont à l’entraînement. Un certain nombre sont déjà déployés autour du saillant de Koursk, conquis cet été par l’Ukraine. Leur participation aux combats ne serait plus qu’une question de temps. Le président Joe Biden a dénoncé une initiative « très dangereuse » mais Washington ne semble avoir aucune parade prête. Quant à l’Europe, sa passivité est affligeante.

Une coalition qui rebat les cartes

Le conflit européen le plus meurtrier depuis la Seconde Guerre mondiale est désormais un théâtre où trois puissances asiatiques jouent un rôle majeur, au côté de la Russie. La Corée du Nord, qui livrait déjà obus et missiles en quantité, fournit désormais des troupes au sol ; l’Iran approvisionne Moscou en drones et missiles balistiques ; la Chine aide la Russie à contourner les sanctions occidentales, lui apporte de la technologie de pointe, y compris militaire, et maintient son économie à flot en lui achetant des hydrocarbures.La coalition ainsi formée modifie en profondeur la dynamique géopolitique mondiale au détriment de l’Europe, des États-Unis et de leurs alliés asiatiques. Les quatre tyrans qui la constituent – Xi Jinping, Vladimir Poutine, Ali Khamenei et Kim Jong-un – sont unis par la conviction que leur heure est venue, face à un Occident riche, puissant mais déclinant. Leur objectif commun : un monde « multipolaire » où les États-Unis et l’Europe seront marginalisés.Le géopolitologue canadien Peter Van Praagh a forgé l’acronyme « Crink », avec les initiales de leurs noms en anglais, pour désigner leur coalition. Les membres comptent parmi eux trois puissances dotées de l’arme nucléaire et le quatrième, l’Iran, est en voie de les rejoindre. Ils montrent chaque jour qu’ils sont prêts à recourir à la violence, que ce soit contre l’Ukraine, Israël ou les Philippines.

Une dictature hautement militarisée

Les deux guerres en cours, en Ukraine et au Proche-Orient, ont accéléré leur rapprochement, en leur fournissant des occasions pour s’épauler et s’armer mutuellement. Leur malfaisance est démontrée. C’est ainsi que le Hezbollah utilise des roquettes antichars russes et des missiles iraniens ; que l’armée israélienne a retrouvé des armes nord-coréennes dans les stocks du Hamas à Gaza ; que la Russie et l’Iran équipent les houthis yéménites ; et que désormais l’armée nord-coréenne se déploie dans les steppes russo-ukrainiennes.L’entrée en lice de Pyongyang est particulièrement inquiétante. Primo, cette dictature est hautement militarisée (quelque 1,3 million d’hommes sont sous les drapeaux). Secundo, son intervention aide Poutine à s’abstenir de décréter une mobilisation générale, qui serait impopulaire et risquerait donc de déstabiliser son pouvoir. Tertio, la Corée du Nord obtient une aide pour contourner les sanctions onusiennes qui la visent. Quarto, elle se fait payer (les services sud-coréens parlent de 2 000 dollars par mois et par soldat, que Moscou verse dans les caisses de Kim et non pas aux pauvres militaires). Le régime, l’un des plus dictatoriaux du monde, en sort renforcé.La Russie est encouragée à poursuivre son agression, alors qu’elle ne cesse de grignoter du terrain depuis l’été. La visite de Vladimir Poutine à Pyongyang, le 19 juin, et le « traité pour un partenariat global » qu’il a signé avec Kim à cette occasion, ont été fructueux. La Chine, quant à elle, est de loin le membre le plus puissant du « Crink ». Ses intentions restent floues cependant. En raison de son poids économique, elle a théoriquement intérêt à la poursuite d’une certaine stabilité internationale. En rejoignant le groupe, elle pourrait simplement chercher à rééquilibrer la géopolitique mondiale en sa faveur. Mais elle pourrait aussi préparer le terrain à une future agression de Taïwan.L’irruption de la Corée du Nord dans le conflit ukrainien ne serait alors qu’une étape dans l’extension mondiale de la guerre.