« Le plus dur, c’est de ne pas savoir » : en Israël, les familles d’otages face aux vidéos du Hamas

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Le groupe islamiste met parfois en scène ses 20 derniers captifs vivants pour accentuer la pression sur Tel-Aviv. Leurs proches s’accrochent au moindre indice sur leur état de santé. Cela fait près de 600 jours qu’ils sont détenus.

Par Robin Korda – Le Parisien

Elkana n’est plus qu’un visage pâle. Ses lèvres se crispent. Ses yeux se perdent dans le vague. Sous son plaid, l‘homme de 36 ans remue à peine. Son compagnon de cellule, Yossef- Haïm, pleure compulsivement, assis à ses côtés. « Il y a quelques jours, il a essayé de se faire du mal, lâche ce dernier. Il ne veut ni boire, ni manger. »

Rebecca pose son téléphone portable sur la table d’un hôtel parisien. Cette trentenaire israélienne a vu ce clip de trois minutes apparaître sur les réseaux sociaux, quelques jours plus tôt. C’est la quatrième fois que le Hamas diffuse des images de son mari. Des terroristes ont capturé Elkana le 7 octobre au festival Nova. À l‘image, une transfusion le maintient en vie. Ses geôliers ont placardé, à côté de lui, une photo. Il porte dans ses bras leur fils de 2 ans.

La même douleur poursuit les familles d’otages du 7 octobre 2023. Les conditions de vie de leurs proches se devinent à travers d’infâmes images de propagande, ou les récits, souvent parcellaires, que les libérés veulent bien livrer aux médias. Près de 150 captifs ont revu le jour au gré des accords passés entre l‘État hébreu et le groupe islamiste.

Ce dernier continue de faire miroiter leur libération en échange d’un cessez-le-feu. Des négociations indirectes ont lieu au Qatar.

Mais la perspective d’un accord s’éloigne. Ce lundi, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a annoncé qu’Israël allait prendre« le contrôle de tout le territoire » de Gaza. Les frappes de Tsahal continuent à semer la mort – encore 52 hier, selon les secours locaux – dans cette étroite bande en ruines. Si les opérations militaires l’emportent sur la diplomatie, quelles chances auront les otages encore vivants de rentrer sains et saufs ?

Le président des États-Unis, Donald Trump, estime qu’ils ne seraient plus que vingt à chercher de l‘air dans les tunnels humides de l’enclave. Israël a rapatrié plus de 40 cadavres d’otages depuis le début de la guerre. Il en resterait environ le même nombre à Gaza. Deux fois plus que les vivants.

Rebecca souffle longuement. En février, la Croix Rouge a récupéré trois rescapés aux silhouettes décharnées. À la télévision, Ohad, 56 ans, est si squelettique que des internautes le comparent aux survivants de la Shoah. Le téléphone de Rebecca sonne, quelques jours plus tard. Ohad se présente. Il a passé plus d’un an dans le même cachot que son mari.

Elkana lui a demandé de lui transmettre un message.

Des soldats suspendus par les poings au plafond

Le quinquagénaire a rencontré la jeune femme trois fois maintenant. Il dévoile par bribes l‘enfer qu’ils doivent subir, là-bas. Les détenus dorment sur un matelas de cinq centimètres d’épaisseur, sous une maigre couverture pleine de crasse. Les geôliers les nourrissent deux fois par jour. Des maladies de peau se propagent, Elkana a connu des éruptions graves. Il voudrait dire à sa femme qu’il pense à elle tout le temps, et à son fils qu’il est l‘homme de la maison en son absence.

Depuis leur sortie, d’autres ex-prisonniers racontent. Des soldats disent avoir été torturés, suspendus par les pieds ou les poings au plafond pendant des heures. Plusieurs sont brûlés à vif. Les terroristes leur assurent que le jour de leur libération est venu, ou bien que toute leur famille est morte, puis ils éclatent de rire.

Naama, 42 ans, observe la pancarte qu’elle tient à bout de main. Omri, son frère, apparaît en photo avec l‘indication de son âge : le « 46 » imprimé au moment de son rapt, dans le village de Nahal Oz, a été barré. Une main a ajouté 47 au feutre noir, puis 48. En avril, pour son anniversaire, ses bourreaux l‘ont filmé en train de souffler des bougies sur un gâteau.

Face à la caméra, Omri confie que sa femme et ses filles lui manquent, puis il appelle le peuple israélien à manifester pour réclamer la paix. « C’est une mise en scène du Hamas pour s‘adresser au gouvernement, comme dans toutes les vidéos », s‘agace Naama.

Jaloux des autres otages libérés

La famille se retrouve, malgré tout, à scruter les indices de chaque vidéo. « On vit dans le doute. Le plus dur, c’est de ne pas savoir », regrette la designeuse graphique.

La lumière, s‘inquiète-t-elle, a quitté le regard de son frère. Depuis leur petite enfance dans un village du nord d’Israël, Omri a toujours été le malicieux de la fratrie. Quand il avait 12 ans, sa fausse araignée en plastique faisait faire de grands bonds aux autres. Un jour, Naama en avait lâché la vaisselle.

La semaine dernière, le Hamas a libéré Edan Alexander, un soldat israélo-américain de 21 ans. À chaque fois, une jalousie mauvaise pique le cœur de Rebecca. « Je veux la même chose, avoue-t-elle. Cela devrait être une grande joie pour les autres. Mais je veux tellement la même chose… » Dans une poussette, les petites mains de Reem, 4 ans, s‘activent sur une petite tablette. Depuis bientôt 600 matins, le garçon demande où est son père quand il se réveille.