« L’avenir du Hezbollah dépend désormais de la stabilité et de la pérennité de la République islamique d’Iran »

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GRAND RÉCIT Même affaibli, ce grand parti islamiste libanais reste l’une des plus puissantes milices armées du monde. Au service exclusif de l’Iran, son principal parrain militaire et financier. Prêt à la guerre totale contre Israël, sur ordre de Téhéran.

Par Frederic Pons, pour Le Figaro Histoire

Septembre et octobre noirs ! En deux mois, le Hezbollah a subi les coups les plus dévastateurs de son histoire. Son appareil militaire a été durement dégradé par une intense campagne israélienne de bombardements, aussi puissante que remarquablement ciblée. Son chef, Hassan Nasrallah, a été pulvérisé dans son quartier général souterrain de Beyrouth, le 27 septembre, après plus de trente ans de traque par le Mossad. Une partie de son état-major a été décimé à coups de frappes répétées, dans ses fiefs de la banlieue sud de Beyrouth, de Baalbek et du Sud-Liban.

Israël avait préparé cette campagne méthodique d’attrition par un long travail de renseignement et d’infiltration, destiné à cartographier l’organigramme opérationnel du Hezbollah et ses caches d’armes au Liban. Le coup d’envoi de cette vaste opé ration de destruction remonte aux 17 et 18 septembre 2024 avec les explosions, quasi simultanées, de quelque 5000 bipeurs et talkies-walkies utilisés par les cadres du Hezbollah (une cinquantaine de morts et plus de 3000 blessés).

Guerre de l’ombre

Les appareils avaient été piégés lors de leur fabrication par une société hongroise travaillant sous licence d’une entreprise taïwanaise. Il s’agissait en réalité d’une société écran créée par le Mossad en Hongrie. Cette opération israélienne restera dans les annales de la guerre de l’ombre, par son audace, sa durée dans le temps et son efficacité. En semant le chaos dans le commandement et les liaisons du Hezbollah, Israël a ainsi accru l’efficacité de ses raids aériens et terrestres contre les bastions du Hezbollah.

Dès le début de la guerre contre le Hamas à Gaza (octobre 2023), Israël avait mis en garde la milice libanaise contre toute action visant son territoire. Obligé de manifester son soutien au Hamas, le Hezbollah s’était pourtant engagé dans ce conflit, en assurant un « service minimum » : des tirs intermittents sur le territoire israélien, sans vraie conséquence militaire, mais suffisants pour faire évacuer les villages et les kibboutz du nord de la Galilée. Quelque 63.000 Israéliens ont dû ainsi être déplacés vers le sud. Le Premier ministre Benyamin Netanyahou et Yoav Gallant, son ministre de la Défense, avaient alors défini un nouveau but de guerre, après la destruction du Hamas et la libération des otages kidnappés le 7 octobre 2023 : la défense de la frontière avec le Liban.

Deux facteurs ont encouragé Israël à tenter ce pari risqué d’un nouveau conflit sur son front nord, alors que se poursuivaient les opérations à Gaza : la relative retenue militaire du Hezbollah et de l’Iran, et le soutien tacite des Etats-Unis, dont les deux candidats à la Maison-Blanche avaient clairement proclamé leur soutien à Israël. M. Netanyahou a donc jugé le moment favorable pour écarter – sinon détruire définitivement – cette menace et repousser le Hezbollah à une trentaine de kilomètres au nord de la frontière israélienne.

Le 17 septembre 2024, l’explosion simultanée de bipeurs utilisés par les cadres du Hezbollah (ci-dessus, capture d’écran d’une vidéo dans un supermarché à Beyrouth) était le fruit d’une opération du Mossad. Balkis Press/ABACA

Un danger permanent

À la fois parti politique et milice surarmée, le Hezbollah (« Parti d’Allah ») était devenu, au fil des ans, le mouvement politico-militaire le plus puissant du monde, l’ennemi le plus proche de l’Etat hébreu, plus dangereux que le Hamas palestinien. Son implantation politique et territoriale au Liban, sa force militaire et son aguerrissement dans la guerre en Syrie, le soutien massif et constant de l’Iran, ont fait de lui un acteur majeur au Proche-Orient. Classé « organisation terroriste étrangère » par les Etats- Unis depuis 1997 – depuis 2013 par l’Union européenne, pour sa seule branche armée –, le Hezbollah représente un danger permanent pour Israël : son idéologie islamiste promeut la destruction de l’Etat hébreu et ses milliers de missiles et de roquettes couvrent la quasi-totalité du territoire israélien.

Les stratèges d’Israël présentent le Hezbollah libanais comme l’avant-garde occidentale de la République islamique d’Iran, vouée à la défense du régime des mollahs, en Syrie et en Méditerranée orientale, à la charnière des mondes arabe, juif et turc. La milice chiite Houthi du Yémen, l’autre « proxy » (agent supplétif aux ordres d’un acteur plus lointain) de l’Iran, exerce une menace équivalente sur le trafic maritime en mer Rouge.

Le destin du Hezbollah est intimement lié au khomeynisme iranien, cette idéologie islamique fondamentaliste qui structure la théocratie chiite en Iran depuis la chute du shah en 1979. Dès cette époque, les « fous de Dieu » libanais adoptent cette doctrine qui promeut une application stricte de la charia (la loi islamique). Ils reconnaissent l’autorité absolue du guide suprême de la République islamique, l’ayatollah Ali Khamenei, dont l’autorité ne souffre aucune contestation. Ce religieux en turban noir, signe rappelant sa filiation directe avec le prophète Mahomet, est le véritable maître politique et militaire du Hezbollah. S’il arrivait à prendre le pouvoir à Beyrouth, le Liban deviendrait instantanément un vassal de l’Iran. Israël le sait. Sa guerre actuelle est donc un conflit indirect mais existentiel avec le régime iranien, son ennemi prioritaire depuis quarante-cinq ans.

Matrice idéologique

La matrice idéologique et sociologique du Hezbollah est la révolution islamique iranienne de 1979. Cet événement majeur conduisit au « réveil » politique des populations chiites du Proche-Orient (principalement en Irak, au Liban, au Yémen). L’électrochoc fut particulièrement fort au pays du Cèdre, où les chiites représentaient déjà près de 25 % de la population (30 % sans doute aujourd’hui, grâce à une forte dynamique démographique). Jusqu’aux années 1980, les chiites libanais étaient une minorité méprisée par ceux qui se partageaient le pouvoir et les affaires – les chrétiens et les sunnites –, « oubliée » par l’Etat et son administration, notamment dans ses territoires de forte implantation : le sud du pays, entre Tyr et la frontière israélienne ; la plaine de la Bekaa (autour de Baalbek) ; les banlieues miséreuses du sud de Beyrouth, coincées entre l’aéroport international et le centre-ville. Les chiites se nommaient eux-mêmes « les déshérités ». Ils n’étaient représentés à Beyrouth que par de grandes familles féodales, à travers un système clanique et semi-mafieux symbolisé par le richissime Nabih Berri, 86 ans aujourd’hui, le chef du parti Amal (« Espoir »), président inamovible du Parlement libanais depuis trente-deux ans.

Le réveil chiite de 1979, couplé au départ forcé des fedayin palestiniens de Yasser Arafat, chassés en septembre 1982 par les Israéliens au terme de l’opération « Paix en Galilée », a changé la donne.

Aidée par l’Iran, alors en pleine guerre contre l’Irak de Saddam Hussein, la jeune génération chiite a secoué la tutelle de ses aînés, jugés corrompus et timorés. Encouragée par l’Iran khomeyniste, elle a adopté un programme islamiste populiste, fondé sur un retour strict à la religion, l’alignement total sur l’Iran et l’encadrement méthodique de la population chiite.

Le Hezbollah va naître dans la nébuleuse islamiste chiite qui embrase le Liban au début des années 1980. Ses premières cibles sont Israël, bien sûr, les Occidentaux alliés de Saddam Hussein, l’Etat libanais, réputé trop proche du monde occidental et chrétien, les monarchies arabes sunnites. Ces « fous de Dieu » vont chercher à prendre le contrôle du Liban en chassant ceux qui tentent de l’aider. Le terrorisme est leur arme de prédilection. Entre 1982 et 1988, une série de prises d’otages (diplomates, journalistes, chercheurs occidentaux) et d’attentats contre les intérêts américains et français ensanglantent le Liban. Leurs coups les plus meurtriers frappent la Force multinationale de sécurité de Beyrouth (FMSB), le 23 octobre 1983 : 241 Marines américains sont tués sur l’aéroport de Beyrouth ; 58 paras français meurent dans l’explosion de leur poste Drakkar. Humiliée, la FMSB abandonnera le Liban au début de 1984, laissant le champ libre aux islamistes libanais et à leurs parrains, l’Iran et la Syrie.

Le relais d’influence de l’Iran

Les premiers chefs du Hezbollah ont fait leurs armes à cette époque. Certains seront ensuite tués, dans une campagne d’élimination systématique menée par Israël, les Etats-Unis et la France. Parmi eux, le redoutable Imad Moughnieh, mort à 45 ans dans l’explosion de sa voiture à Damas, le 12 février 2008. Sous son pseudonyme de guerre « Hajj Radwan » – devenu le nom de la force d’élite du Hezbollah –, Moughnieh avait coordonné des dizaines d’attentats, dont ceux d’octobre 1983, des détournements d’avion et des enlèvements, dont celui du sociologue français Michel Seurat, mort pendant sa détention à Beyrouth, en mars 1986. Son dernier fait d’armes fut le commandement du Hezbollah face à Tsahal, lors de la guerre de l’été 2006.

Ces années de sang ont vu s’imposer une autre figure des radicaux chiites libanais : Hassan Nasrallah, né en août 1960 dans le quartier populaire de Bourj Hammoud, une banlieue majoritairement arménienne de l’est de Beyrouth. Nasrallah vit sa jeunesse dans ce secteur où cohabitaient des chrétiens et des musulmans, jusqu’au déclenchement de la guerre civile libanaise, en avril 1975. A l’école publique, il apprend à connaître les codes, les références des maronites qui l’entourent. C’est sa force. Elle lui permettra, plus tard, de comprendre et de s’entendre avec une partie de la communauté chrétienne, les partisans du général Michel Aoun, devenu président en 2016 grâce aux voix de la communauté chiite.

Au début de la guerre, la famille Nasrallah quitte Beyrouth et se réfugie près de Tyr, dans le fief chiite du Sud-Liban. La politique et la religion passionnent le jeune homme, qui milite d’abord au sein du parti Amal. Repéré par le clergé chiite libanais inféodé aux mollahs iraniens, il est envoyé à Nadjaf (Irak) pour étudier la théologie. Il y bâtit son réseau et sa réputation de jeune chef charismatique.

Revenu au Liban, il s’installe dans la Bekaa, et fonde le Hezbollah en 1982, sur une ligne radicale, 100 % pro-iranienne.

Envoyé en Iran en 1989 pour compléter sa formation politico-religieuse dans la « ville sainte » de Qom, l’un des principaux foyers de recrutement des gardiens de la révolution, il devient de fait un agent iranien. Les services de Téhéran l’aident à s’emparer du Hezbollah, après la mort de son prédécesseur et ami, Abbas Moussaoui, pulvérisé par un missile israélien en février 1992. Relais d’influence de l’Iran au Proche-Orient, Nasrallah est aussi habile en politique qu’intransigeant en matière religieuse. Ce jeune mollah barbu devient le secrétaire général du Hezbollah en février 1992, poste qu’il occupera jusqu’à sa mort, le 27 septembre 2024, enseveli dans son quartier général de Beyrouth.

En toute légalité

Dès sa prise de contrôle, l’argent et les armes affluent d’Iran, en toute légalité. L’accord qui a mis fin à la guerre civile libanaise en 1990 a en effet autorisé le « Parti d’Allah » à conserver son arsenal, au nom de « la résistance à Israël ». Le Hezbollah devient ainsi la seule et dernière milice armée au Liban, alors que les sunnites et les chrétiens ont dû accepter leur désarmement.

Son talent d’organisateur et de chef religieux, ses armes et le poids démographique de sa communauté vont faire de lui, pendant trente-deux ans, l’un des plus puissants dirigeants du Liban, l’un des plus redoutables ennemis d’Israël, sans doute davantage que les chefs du Hamas, eux aussi éliminés au fil des années. Dans l’imaginaire des Israéliens, il avait remplacé le Palestinien Yasser Arafat (1929-2004), longtemps « ennemi public numéro 1 », au moins jusqu’au milieu des années 1980. Nasrallah se savait traqué en permanence. Père de cinq enfants, dont le fils aîné fut tué en septembre 1997 au cours d’une opération contre les forces israéliennes au Sud-Liban, il vivait dans la clandestinité, ne communiquant que par messager.

Dès son manifeste de 1985, le Hezbollah a fixé son corps de doctrine. Il n’en a plus changé. Le parti appelle à l’expulsion des puissances occidentales du Proche-Orient. Il revendique son allégeance totale à la République islamique d’Iran et réclame la destruction, « sans compromis possible », de l’Etat hébreu : « Notre lutte ne prendra fin que lorsque cette entité, Israël, sera éliminée », proclame sa charte dont s’est inspiré le Hamas. Le Hezbollah précise que son champ d’action ne se limite pas à l’Orient. Il estime légitime de frapper « l’ennemi sioniste » et ses alliés partout dans le monde. Il a sévi en France en 1985 et 1986. On lui doit l’explosion de la rue de Rennes (7 morts), le 17 septembre 1986. On lui attribue aussi l’assassinat du Premier ministre libanais Rafic Hariri, le 14 février 2005, et toute une série d’attentats meurtriers dans les pays du Golfe, en Turquie, en Argentine, en Inde, en Bulgarie…

Contraint de se replier

Sa réputation de mouvement de « résistance arabe à Israël » naît en 2000, lorsqu’il pousse les Israéliens à se retirer du Liban, au terme de dix-huit ans de harcèlement meurtrier. Bien structurée et bien armée, professionnalisée avec l’aide des gardiens de la révolution iraniens, la milice n’a jamais cessé de monter des attaques audacieuses et souvent efficaces contre le territoire israélien. Son impressionnant potentiel militaire est révélé au monde lors de la guerre ouverte de juillet 2006. À l’époque, ses combattants surent tenir tête à Tsahal, lui portant des coups sévères. Israël fut contraint de se replier, sans avoir réussi à terrasser son ennemi. Depuis 2006, la milice n’avait pas cessé de renforcer son réseau de caches, de souterrains, de dépôts d’armes, aménagé entre le Sud-Liban et la Bekaa.

Le Hezbollah est aussi un parti politique représenté au Parlement libanais : en 2022, il obtenait 13 sièges de députés (sur 128). Depuis juillet 2005, il a participé à tous les gouvernements successifs du Liban, avec, en moyenne, deux à trois portefeuilles ministériels. Il a été l’arbitre des divisions au sein du camp chrétien, « faiseur de roi » en soutenant Michel Aoun à la présidence de la République. Au- delà de sa puissance militaire, jusqu’à ces derniers temps, il a tiré sa force de sa popularité, au moins dans la population chiite.

Grâce à son réseau de militants et à l’argent déversé par l’Iran (environ 700 millions de dollars par an), le Hezbollah a su remplacer l’Etat libanais partout où il était défaillant. Du berceau au cimetière, le parti-milice organise et encadre la vie de ses coreligionnaires. Au Sud-Liban et dans la Bekaa, la quasi-totalité des crèches et des garderies, des pharmacies et des centres de soins, des stades et des salles de sport, sont gérés par son service social. Il possède des hôpitaux, des centres de recherche agricole, des sociétés de transport. Créée en juin 1991, sa chaîne de télévision, Al-Manar (« Le Phare »), émet par satellite et sur les réseaux hertziens, en arabe, en français et en anglais.

Elle diffuse des vidéos saisissantes sur les actions de ses commandos.

Le Hezbollah contrôle bon nombre d’associations culturelles et caritatives. Leurs membres sont les yeux et les oreilles de la milice, de la plaine de la Bekaa aux collines qui dominent la Galilée, en passant par les quartiers sud de la capitale, le port et l’aéroport international de Beyrouth, sous son contrôle. Aux jeunes désœuvrés, le parti propose une formation civique et militaire élémentaire. Les recruteurs y détectent les militants les plus déterminés. Ils sont ensuite enrôlés, bénéficiant de soldes supérieures à celles de l’armée nationale libanaise.

Ces jeunes savent qu’en cas de décès en service, « sur la route de Jérusalem » comme le dit la propagande officielle, ils deviendront des chahids (martyrs). Outre le paradis d’Allah et son bataillon de vierges qui attendent le héros pour son repos éternel, le « contrat » prévoit un pécule et des avantages sociaux pour la famille du « martyr » : gratuité dans certains magasins, priorité dans l’accès aux soins médicaux, facilités scolaires. Ce maillage très efficace a rendu le Hezbollah indispensable.

Une nouvelle élite chiite

Depuis 1992, le « Parti de Dieu » a aussi formé une nouvelle élite chiite. Ses meilleurs éléments partent étudier en Iran, dont le système de formation est de qualité. Ils reviennent ingénieurs, financiers, médecins, officiers et… relais d’influence de la République islamique. Ces cadres sont ensuite capables de diriger des administrations ou des entreprises, de gérer des budgets ou des projets, de servir des armes modernes – missiles ou cyberguerre –, comme Israël l’a souvent appris à ses dépens.

Mandaté par l’Iran pour se porter au secours du régime Assad en Syrie, à partir de 2012, le Hezbollah y a joué un rôle militaire majeur. Ses combattants s’y sont aguerris. Sur place, ses cadres ont formé entre 10.000 et 20.000 miliciens syriens pro-Assad. Mais le prix payé s’est révélé très lourd. Sur 7000 à 9000 combattants engagés en Syrie entre 2012 et 2019, le Hezbollah aurait perdu environ 2 500 jeunes hommes. Les portraits de ses chahids par sèment les routes de la Bekaa et du sud du Liban, sous des faisceaux de drapeaux jaune et vert qui marquent son territoire.

Mais les pertes éprouvées en Syrie et la nouvelle guerre contre Israël ont été durement ressenties, en dépit de la propagande « exaltante » du Hezbollah. Elles ont provoqué un début de contestation de la

« résistance », d’abord au sein de l’opposition, chrétienne et sunnite, réticente à laisser son pays otage de la guerre israélo-iranienne, puis à l’intérieur même de la communauté chiite. La nouvelle bourgeoisie chiite, qui a pourtant tant profité de l’aide du parti, semble plus hésitante qu’autrefois à voir ses fils sacrifiés dans le conflit syrien, et à devoir subir les ripostes destructrices d’Israël.

L’expéditive « justice de Dieu », que pratique le Hezbollah dans les zones sous son contrôle, semble moins bien supportée que naguère. C’est vrai aussi pour la « taxe islamique » (un cinquième des revenus) que la population et la diaspora chiite doivent reverser « pour la cause ». Des déshérités ont osé manifester dans le sud de Beyrouth. Ils reprochent au Hezbollah des promesses sociales non satisfaites et la baisse des aides, dans un pays ravagé par la crise économique : 44 % de la population au Liban vit désormais sous le seuil de pauvreté.

Des pertes sévères

Les mises en cause répétées du Hezbollah dans l’explosion catastrophique du port de Beyrouth, le 4 août 2020, ont dégradé un peu plus son aura. Le parti a délibérément saboté les enquêtes de la justice sur cette tragédie (235 morts, 6500 blessés, 4 à 5 milliards de dollars de destructions), mais ses responsabilités ont été mises au jour. Le nitrate d’ammonium stocké dans un hangar du port était sous sa responsabilité, comme la gestion des docks et l’inspection des douanes. Les Libanais ont compris qu’ils ne connaîtraient jamais la vérité quand le « guide » Nasrallah et le président Aoun ont refusé toute enquête internationale indépendante, au nom de la souveraineté nationale.

Conseillée par l’Iran, la direction de la milice a dû tenir compte de cette contestation : en 2022 et 2023, ses opérations militaires contre Israël avaient diminué. Et, après octobre 2023, malgré les premières frappes meurtrières de Tsahal visant ses chefs et ses installations, le Hezbollah avait répliqué avec une évidente retenue, en dépit des discours de vengeance de Nasrallah. L’Iran et le Hezbollah avaient choisi une riposte mesurée, comme s’ils voulaient éviter une guerre totale.

Malgré des pertes sévères subies depuis le 8 octobre 2023 et plus encore depuis septembre 2024 – son chef suprême, quelques-uns de ses hauts dirigeants, un bon millier de ses combattants –, le Hezbollah est aujourd’hui contraint par Téhéran à s’en tenir à la stratégie du « dos rond ». L’Iran veut préserver l’influence politique de son allié sur l’échiquier libanais, afin de rester l’arbitre des prochaines échéances électorales. Il devait aussi éviter la destruction totale de l’arsenal de sa milice. Après le quasi-anéantissement du Hamas, l’Iran n’avait pas intérêt à « griller » sa dernière cartouche, le Hezbollah, dans une guerre totale avec Israël.

L’avenir du parti-milice chiite dépend désormais de la stabilité et de la pérennité de la République islamique d’Iran. Combien de temps ce régime affaibli pourra-t-il résister aux sanctions internationales qui minent son économie et désespèrent la population ? Pourrait-il encaisser de nouvelles frappes israéliennes sur son territoire, après celles – assez mesurées – dans la nuit du 25 au 26 octobre dernier ? La hausse de la pauvreté et la réduction des libertés nourrissent la contestation chronique, malgré le féroce carcan répressif mis en place par les gardiens de la révolution. Les opérations que mène Israël en Syrie et au Liban, et la guerre de l’ombre contre le programme nucléaire iranien et les élites, fragilisent de fait le régime islamique.

L’Iran semble avoir compris la menace. Après avoir décidé de réduire son empreinte militaire en Syrie, il pourrait diminuer sa contribution au Hezbollah : moins d’argent, moins d’armes, moins de conseillers militaires. En conséquence, le « Parti de Dieu » devrait à son tour rapatrier une partie de ses combattants et de ses armes encore déployés en Syrie. Affaibli par les derniers coups assénés par Israël mais fort d’une bonne capacité d’adaptation, le Hezbollah garde une réelle capacité d’action (20.000 combattants permanents, 30.000 hommes en réserve, des milliers de missiles ou roquettes).

Il résistera aussi longtemps que l’Iran islamique aura besoin de lui sur son « front de défense avancé » contre Israël et les Etats-Unis.

Frédéric Pons est journaliste, grand reporter, enseignant à l’ICES (Institut catholique d’études supérieures) et membre de l’Académie des sciences d’outre-mer. Il vient de publier L’Arménie va-t- elle disparaître ? (Artège).