Le président américain a provoqué la surprise en annonçant une rencontre « à très haut niveau » sur la crise du nucléaire iranien. Embarrassé, Téhéran parle de discussions indirectes avec son ennemi.
Par Armin Arefi
C’est une annonce inattendue qui a totalement pris au dépourvu les journalistes présents dans le Bureau ovale de la Maison-Blanche. Alors qu’il s’exprimait sur l’épineux dossier du nucléaire iranien aux côtés du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, Donald Trump a indiqué que les États- Unis menaient déjà des discussions directes avec la République islamique d’Iran pour tenter de dénouer cette crise explosive.
« Nous avons des discussions directes avec l’Iran », a lancé, lundi 7 avril au soir, le président américain devant un public incrédule. « Elles ont commencé, elles se poursuivront samedi, nous aurons une très grande réunion et nous verrons ce qui peut se passer. » Invité à apporter des précisions quant à ces pourparlers, les premiers impliquant directement les deux pays ennemis depuis près de dix ans, Donald Trump a indiqué que la rencontre du samedi 12 avril se tiendrait « à très haut niveau », voire « quasiment au plus haut niveau ».
Accueil glacial à Téhéran
La nouvelle a été fraîchement accueillie à Téhéran, où la plus haute autorité – le guide suprême Ali Khamenei – a toujours exclu toute discussion directe avec le « Grand Satan » américain, d’autant plus que c’est Donald Trump qui, en janvier 2020, avait donné l’ordre d’éliminer Qassem Soleimani, le chef de la branche extérieure des gardiens de la Révolution et homme le plus puissant de la République islamique à l’étranger.
Mais étranglé économiquement par le poids des sanctions américaines, et fragilisé par l’affaiblissement du Hamas à Gaza et du Hezbollah au Liban, couplé au renversement de Bachar el-Assad en Syrie et à la destruction par Israël de l’essentiel de ses batteries antimissiles, Téhéran a consenti à saisir la main tendue par Washington. « L’Iran et les États-Unis se rencontreront samedi à Oman pour des discussions indirectes de haut niveau », a indiqué sur X, dans la foulée de l’annonce de Donald Trump, le ministre iranien des Affaires étrangères Abbas Araghchi. « Il s’agit autant d’une opportunité que d’un test. La balle est dans le camp de l’Amérique. »
D’après la presse iranienne, les négociations seront menées, côté iranien, par Abbas Araghchi, et côté américain, par l’émissaire spécial du président pour le Proche-Orient, Steve Witkoff. Entre les deux hommes devrait se tenir le ministre omanais des Affaires étrangères, Badr al-Boussaïdi, jouant le rôle d’intermédiaire, permettant à la partie iranienne de sauver la face. « Le sort des discussions dépend de ce que Donald Trump entend par “deal” », explique une source diplomatique iranienne sous le couvert de l’anonymat.
« S’il s’agit de détruire toutes les capacités qui font que l’Iran est aujourd’hui un pays puissant, cela ne marchera pas. En revanche, ajoute la source, s’il s’agit d’œuvrer à réduire les inquiétudes des États-Unis et de la communauté internationale au sujet des avancées [nucléaires] de l’Iran, tout en garantissant le droit inaliénable à bénéficier de ces avancées dans l’intérêt de son peuple, alors il est possible de discuter. Le problème est que nous avons déjà essayé et que ce sont les États-Unis qui ont quitté la table. »
L’Iran, une « puissance du seuil » nucléaire
Ironie du sort, les deux pays ont déjà mené des discussions – secrètes – à Oman en 2013, sous l’administration Obama. Elles avaient abouti, deux ans plus tard, à la conclusion de l’accord sur le nucléaire iranien (JCPOA) entre la République islamique et les grandes puissances (États-Unis, Chine, Russie, France, Royaume- Uni, Allemagne), qui a considérablement réduit les capacités atomiques de l’Iran en échange d’une levée des sanctions internationales contre son économie. Or, c’est justement Donald Trump qui s’en est unilatéralement retiré en mai 2018, alors que Téhéran respectait ses engagements, selon l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).
Considérant le JCPOA comme un « mauvais accord » ne répondant pas aux autres préoccupations de ses alliés israéliens, saoudiens et émiriens – le programme de missiles balistiques de l’Iran et ses « activités déstabilisatrices » dans la région –, le président américain a prononcé contre Téhéran plus de 1 500 sanctions économiques et pétrolières au titre de la « pression maximale » visant à tordre le bras de l’Iran pour lui faire accepter un accord à ses conditions.
Or, loin de ramener les dirigeants iraniens à la table des négociations, cette politique a, au contraire, conduit Téhéran à reprendre, en 2019, son programme nucléaire controversé, si bien que la République islamique est
aujourd’hui considérée comme une « puissance du seuil » nucléaire. Elle possède toutes les capacités techniques et scientifiques pour fabriquer dans un temps relativement court une bombe atomique si la décision politique est donnée, ce que dément catégoriquement Téhéran.
Renforcement militaire américain
Dans une lettre envoyée le 5 mars au guide suprême iranien, Donald Trump a donné deux mois à la République islamique pour conclure un accord. Le 21 mars, Mike Waltz, le conseiller à la Sécurité nationale de Donald Trump, a précisé à la chaîne de télévision CBS que les États-Unis souhaitaient un « démantèlement total » du programme nucléaire iranien, avec une capacité d’enrichissement d’uranium réduite à néant. Une position maximaliste diamétralement opposée à l’ampleur des avancées iraniennes en matière atomique.
Dans le cas contraire, Mike Waltz n’exclut pas le recours à la force. « Toutes les options sont sur la table, et il est temps pour l’Iran d’abandonner complètement son désir de posséder l’arme nucléaire », a-t-il précisé. Afin d’accentuer la pression sur Téhéran, l’armée américaine a renforcé ses capacités militaires américaines au Moyen-Orient en mobilisant selon le Pentagone un second porte- avions – l’USS Carl Vinson – en soutien à l’USS Harry S. Truman déjà engagé en mer Rouge, et en déployant davantage d’avions de combat, notamment six bombardiers B-2 dans une base militaire américano-britannique sur l’île de Diego Garcia, dans l’océan Indien. Furtifs, ces appareils sont en mesure de transporter les bombes américaines antibunkers de dernière génération (Massive Ordnance Penetrator, code GBU-57), susceptibles d’atteindre les sites nucléaires souterrains en Iran.
« À l’instant T, Donald Trump ne veut pas de guerre avec la République islamique d’Iran mais veut négocier tout en poursuivant la pression maximale contre Téhéran avec l’économie iranienne qui se délite », confie une source diplomatique occidentale sous le couvert de l’anonymat. « Mais cela ne veut pas dire qu’il ne révisera pas son jugement à l’avenir. »
Côté iranien, on affirme privilégier également la voie diplomatique. « Nous ne connaissons pas la volonté réelle des États-Unis et nous nous sommes toujours basés sur les faits qui ont démontré que l’on ne pouvait pas leur faire confiance », pointe la source diplomatique iranienne. « Mais s’ils nous attaquent, alors nous répondrons par la force avec nos moyens. » Et le diplomate iranien de conclure :
« N’est-ce pas ce que nous avons fait pendant huit ans, lorsque Saddam Hussein a envahi notre pays en 1980 avec le soutien du monde entier ? »