«Jeunes femmes, mieux que Rima Hassan, essayez d’être Hevrin Khalaf !»

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TRIBUNE – En réponse aux déclarations de Jean-Luc Mélenchon après le périple humanitaire de Rima Hassan vers Gaza, l’écrivain Katell Faria rend hommage à Hevrin Khalaf, femme politique kurde assassinée en 2019.
Par Katell Faria, pour Le Figaro Magazine

Rima Hassan
« Jeunes femmes, jeunes filles, essayez toutes, quand vous serez grandes, d’être Rima Hassan. »

Ainsi Jean-Luc Mélenchon interpellait-il notre jeunesse féminine il y a deux semaines, au cours d’une harangue visant à glorifier sa célèbre eurodéputée. De cette dernière, tout juste revenue d’un court périple humanitaire et médiatique à bord du voilier Madleen après avoir été détenue 72 heures par Israël, il disait : « Son courage nous impressionne ». J’avoue avoir éprouvé un grand malaise en entendant cette phrase. Je n’ignore pas que notre époque, où le relativisme est roi, déteste que l’on hiérarchise les souffrances ou les mérites. Mais l’honnêteté m’oblige à dire que je ne suis pas impressionnée outre mesure par la figure de proue de cette « flottille de la liberté » : Rima Hassan est de toute évidence une femme très engagée pour ses idées, et sans doute fallait-il faire preuve de cran pour s’embarquer dans cette aventure aux confins de la Méditerranée. Mais s’agissait-il vraiment de courage ?
L’eurodéputée est revenue saine et sauve de sa traversée dont chaque mètre était scruté par les médias du monde entier ; de sa courte détention, elle peine à citer des sévices sérieux. Elle ne risquait pas sa peau en embarquant à bord du Madleen. Ainsi, vendre Rima Hassan comme une grande héroïne de notre époque, c’est au mieux manquer de discernement, au pire faire preuve de malhonnêteté intellectuelle.

Il est une femme, en revanche, pour qui le titre d’héroïne ne serait pas galvaudé, et dont j’aimerais parler à celles qui, dans notre société, rêvent de s’engager pour une cause et des valeurs en mesure de transcender une existence : c’est Hevrin Khalaf, une femme politique kurde dont j’ai croisé le chemin le 16 juillet 2018, à Tabqa, en Syrie – un an avant de rejoindre moi-même les bataillons féminins kurdes du YPJ.

Elle était la secrétaire générale du parti « Avenir de la Syrie », une organisation civile pacifiste et progressiste réunissant Arabes, Kurdes et chrétiens dans un même combat contre l’État islamique, le régime de Bachar el-Assad et l’oppression turque. J’avais été frappée, à l’époque, de la modernité et du charisme qui se dégageaient d’elle : Hevrin Khalaf faisait partie de ces êtres qui portent leur âme sur leur visage – et l’âme était belle. Cette ingénieure de trente-quatre ans incarnait l’image parfaite de la femme moyen-orientale libérée du joug d’une société ultra-patriarcale où la vie d’une femme vaut la moitié de celle d’un homme.

Rien ne pouvait la dissuader de défendre le projet politique qu’elle et ses camarades kurdes, arabes et chrétiens portaient pour le nord de la Syrie : celui d’une région où régneraient démocratie, laïcité, féminisme et respect des minorités

Hevrin Khalaf a été assassinée le 12 octobre 2019. Son véhicule roulait sur la route M4, où des supplétifs djihadistes de l’armée turque se tenaient en embuscade. Sans doute ont-ils jubilé en la reconnaissant : une femme politique kurde ! Quelle splendide prise de guerre ! La tuer ne suffisait pas : il fallait la détruire lentement, l’anéantir. Je ne veux pas détailler ici la liste des supplices qu’ils ont imposés à son malheureux corps… Toujours est-il que sa dépouille, lorsqu’elle fut retrouvée, n’était plus qu’une poupée de chiffon. Quant à son beau visage, la moitié était écrasée à l’intérieur de son crâne.

Hevrin savait le sort qui lui serait réservé si, par malheur, elle tombait entre les mains du régime de Bachar el-Assad, de Daech ou encore de l’armée turque. Elle connaissait l’extrême cruauté de ses ennemis. Mais rien ne pouvait la dissuader de défendre le projet politique qu’elle et ses camarades kurdes, arabes et chrétiens portaient pour le nord de la Syrie : celui d’une région où régneraient démocratie, laïcité, féminisme et respect des minorités.

Jeunes femmes, jeunes filles : mieux que Rima Hassan, essayez d’être Hevrin Khalaf. Puissiez-vous être habitées par le même courage, la même détermination, la même volonté de rassembler, la même foi en l’avenir. Puissiez-vous rayonner de sa présence lumineuse. C’est de cela dont la France et le monde ont besoin