« J’ai peur qu’ils soient morts » : en Israël, pour les familles d’otages dans l’attente, le plus dur commence

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Nir Oz, kibboutz martyr des massacres du 7 octobre, compte plusieurs de ses habitants parmi les 91 captifs du Hamas. La trêve joue avec les nerfs du pays, qui ignore lesquels sont encore vivants. Quatre femmes doivent être libérées ce samedi.

Par Robin Korda envoyé spécial à Nir Oz (Israël)


Tout n’est que poussière. Gravats. Bris de verre. Avi, 80 ans, avance lentement dans ce pavillon du village de Nir Oz, au sud d’Israël. Les murs sont noirs, calcinés. Le 7 octobre 2023, les terroristes du Hamas ont incendié la maison. Un couple de sexagénaires vivait ici. Les experts ont mis deux semaines à identifier Margit et Yossi.

Leurs petits-enfants, Kfir et Ariel Bibas, sont devenus le visage poupon du calvaire d’Israël. Les deux bambins roux ont alors 9 mois et 4 ans. Quelques maisons plus loin, les islamistes les traînent, avec leur mère, jusque dans les tunnels de Gaza. Le Hamas assure que des bombardements israéliens les ont tués depuis. L’armée, elle, n’a jamais confirmé. Avi baisse ses yeux clairs. « J’ai peur qu’ils soient morts… » Un cauchemar envahit les esprits. Celui de voir Ariel et Kfir revenir dans deux petits cercueils.

« Tout ce qui compte, c’est le retour des otages »

En Israël, il y a d’abord eu un miracle. Romi, Emily  et Doron relâchées vivantes, dimanche, au sortir de 15 mois d’enfer. Le pays redoute maintenant la suite. Quatre-vingt-onze détenus croupissent en territoire palestinien. L’armée considère qu’un tiers d’entre eux seraient décédés. Toutes les semaines, Israël se demande dans quel état il retrouvera ces visages qui s’affichent partout, bords de route, façades d’immeubles, tee-shirts…

Vendredi, le Hamas a communiqué le nom des quatre détenues qu’il comptait restituer ce samedi. Karina, Danielle, Naama et Liri officiaient dans la base de Nahal Oz, à 20 km de là. Personne, dans leur hiérarchie, n’avait écouté ces sentinelles qui surveillaient les frontières. Le chef d’Etat maj or, Herzi Halevi, a démissionné cette semaine, assumant la faillite du 7 octobre. Le temps des remises en question guette déjà.

À Nir Oz, deux habitantes auraient dû, en tant que civiles, être prioritaires : Arbel Yehoud, 29 ans, et Shiri Bibas, la mère des garçons. L’opinion spécule. Ces deux femmes sont-elles mortes ? Dans la foulée, le gouvernement fait savoir qu’il se concerte à propos de cette violation de l’accord de trêve. La libération semble finalement maintenue.

« Tout ce qui compte, c’est le retour de tous les otages », tranche Eyal, 41 ans. Ce père de famille a fini par céder face à l’insistance de ses enfants. Ils ont de 3 à 7 ans et demandent sans cesse à pouvoir retourner au kibboutz. Devant sa maison, un toboggan rose tranche avec le désastre ambiant. « Si ça ne dépendait que de moi, j’attendrais encore un peu… » Alors, il prend quelques photos pour préparer leurs esprits.

 

« Une victoire totale, ça n’existera jamais »

Chaque jour, le pays s’accroche aux informations en continu. La guerre menace sans cesse de reprendre. « L’accord devrait tenir, mais s’il ne tient pas, il y aura beaucoup de problèmes », a prévenu Donald Trump depuis les États-Unis. Cette semaine, l’armée israélienne a lancé de grandes opérations antiterroristes en Cisjordanie. Plus au nord, l’État hébreu a annoncé qu’il ne se retirerait pas du sud du Liban dimanche, comme prévu dans l’accord de trêve initial avec le Hezbollah.

À la sortie de Nir Oz, un tank de Tsahal se cache derrière un monticule de terre. « Une victoire totale, ça n’existera jamais », peste Avi. Dimanche, derrière les jeunes femmes libérées, des images ont estomaqué les téléspectateurs. Des combattants du Hamas paradent autour du cortège, encagoulés, acclamés par les vivats d’une foule désordonnée.

Depuis quinze mois, Israël a mobilisé des centaines de milliers de réservistes. Près de 900 jeunes soldats sont morts. Des milliers ont été blessés. Le pays s’est isolé, à mesure que le fiasco humanitaire de Gaza se dévoilait. Tout ça contre une promesse : « Anéantir le Hamas. » L’ennemi semble ressurgir des entrailles au premier silence des armes. Sur 400 résidents de Nir Oz, 117 sont tombés sous les balles du groupe islamiste.

Avi fait partie des cinq habitants qui vivent de nouveau sur place. Seules une parcelle de pommes de terre et une grande barrière le séparent de la bande de Gaza. Avant, les Palestiniens de Khuza’a venaient travailler à Nir Oz. « Des gens adorables », se souvient Avi : tout le monde se retrouvait à l’heure du déjeuner. Désormais, la colline n’est plus qu’un dédale de bâtiments gris dévastés. Quand il parle au sein du réfectoire du village, Avi entend sa voix se répercuter sur les murs.