ENTRETIEN. Le général Amos Yadlin, ancien chef des renseignements de l’armée israélienne, livre ses enseignements sur la guerre des douze jours entre l’État hébreu et la République islamique.
Propos recueillis par Armin Are — Publié le 01/08/2025 à 09h30
Un mois après que les armes se sont tues entre Israël et l’Iran, de nombreuses interrogations subsistent quant aux dégâts réels infligés à la République islamique d’Iran. Si Donald Trump assure avoir « complètement détruit » les installations nucléaires iraniennes à l’issue des bombardements américains du 22 juin, des évaluations du renseignement militaire des États-Unis, ainsi que du chef de l’Agence internationale de l’énergie atomique Rafael Grossi, indiquent que le programme atomique iranien n’aurait été retardé que de « quelques mois ».
Ancien chef des renseignements de l’armée israélienne de 2006 à 2010 et pilote de chasse pendant trois décennies, le général Amos Yadlin, aujourd’hui à la tête du centre de conseil en stratégie Mind Israel, est l’un des meilleurs analystes militaires de l’État hébreu. Dans un entretien au Point, l’ancien haut gradé de Tsahal livre ses enseignements et ses renseignements sur la guerre des douze jours.
Le Point : Qu’a exactement accompli l’armée israélienne en Iran durant cette guerre des douze jours ?
Amos Yadlin : Je pense que les réalisations israéliennes sont énormes. Israël a de nouveau appliqué la doctrine Begin, selon laquelle tout pays dont la politique officielle est de détruire notre pays et de l’effacer de la carte ne sera pas autorisé à posséder l’instrument pour le faire, c’est-à-dire la bombe nucléaire. C’est dans ce cadre qu’Israël a attaqué l’Irak en 1981 et détruit le réacteur d’Osirak après que Saddam Hussein a menacé de brûler notre État. C’est toujours dans ce cadre qu’Israël a détruit le réacteur nord-coréen en Syrie.
Dans le cas de l’Iran, Israël a pris une mesure forte contre le programme nucléaire iranien qui était très avancé, au seuil de l’arme atomique, et à peu de temps d’une prise de décision qu’il aurait été difficile de stopper. Il a également détruit une large partie de la force de missiles balistiques que l’Iran a utilisée contre Israël en avril et octobre 2024.
De combien de temps la menace nucléaire iranienne a-t-elle été, selon vous, repoussée ?
Le programme nucléaire iranien a été repoussé de plusieurs années, au regard des attaques systématiques qui ont été menées contre les sites d’enrichissement et de conversion d’uranium, les quartiers généraux du projet nucléaire iranien et les archives, ainsi que les scientifiques impliqués dans le programme. Par conséquent, si l’Iran voulait revenir au même niveau qu’avant l’attaque, cela lui prendrait des années. Cependant, il est nécessaire de souligner qu’il est peu probable que l’Iran ait les coudées franches pour revenir à la situation telle qu’elle prévalait le 12 juin 2025.
Comment s’en assurer ?
Le meilleur moyen de s’assurer que l’Iran ne pourra pas décider de franchir le pas vers la bombe est un nouvel accord, plus ferme et plus long, qui bloquera toutes les voies vers l’obtention de la bombe nucléaire. Ainsi, le second point important de cette opération est que les Iraniens ont compris que les États-Unis et Israël sont sérieux quant à leur volonté d’empêcher les ayatollahs d’obtenir la bombe, ce qui a clairement été démontré en douze jours.
Il existe toutefois des rapports contradictoires sur les destructions réelles qui ont eu lieu dans les centrales nucléaires, notamment celle de Fordo. Que savez-vous à ce sujet ?
L’évaluation des dégâts militaires n’est pas une science, mais un art. Il s’agit d’une recherche de renseignements difficile. Il faut des sources de renseignement solides et diversifiées pour parvenir à une conclusion précise. Il faudra du temps pour obtenir une évaluation précise des dommages. Maintenant, il n’est pas important que la menace iranienne ait été repoussée d’un an et demi ou de deux ans. Ce qui est important, c’est que les Iraniens aient compris que quiconque agit contre son programme nucléaire peut recommencer à le faire. Et ils doivent prendre en considération le risque que cela se reproduise, et le prix qu’ils sont en train de payer pour avoir attaqué directement Israël, avoir encouragé leurs mandataires à entamer contre nous une guerre sur sept fronts visant à détruire Israël, ainsi que pour leurs violations sur le nucléaire.
Le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, a déclaré avoir eu des renseignements sur une accélération du programme nucléaire iranien qui l’auraient poussé à déclencher une « attaque préventive ». De quoi s’agissait-il exactement ?
Le déclencheur de l’attaque a été les informations sur les activités de groupes de scientifiques iraniens travaillant sur une militarisation du programme nucléaire. D’après les renseignements publiés par le chef de la CIA et par le renseignement israélien, ces hommes menaient des travaux théoriques et expérimentaux visant à raccourcir le chemin menant à la bombe nucléaire lorsque le guide suprême iranien en donnerait l’ordre. Or cela va à l’encontre de l’idée d’un programme entièrement civil que l’Iran ne cesse de répéter.
Un programme civil n’a pas besoin d’une demi-tonne d’uranium enrichi à 60 %, ce qui est suffisant pour produire dix bombes atomiques. Pour un programme pacifique, on ne mène pas d’activités liées à l’implosion, on ne convertit pas d’uranium enrichi à l’état gazeux en uranium métal : tout cela ne vise qu’à travailler sur une bombe nucléaire. Ainsi, le fait que ces groupes liés à la militarisation du programme aient été détruits est primordial.
Le chef de l’AIEA affirme que le stock de 400 kg d’uranium hautement enrichi à 60 % a été déplacé de l’usine de Fordo avant les bombardements américains. Disposez-vous des mêmes informations ?
Personne ne pensait que ce stock de 400 kg pouvait être détruit. Personne ne peut détruire cela par des bombardements aériens. Pour ma part, je ne sais pas exactement où il se trouve, même si je pense qu’il est enterré quelque part à Ispahan ou à Fordo. Maintenant, ce qui est important ici n’est pas le fait que les Iraniens conservent de l’uranium enrichi à 60 %, mais qu’ils n’aient pas la capacité de l’enrichir à 90 % ou d’en faire le cœur d’une bombe nucléaire.
Au 11e jour de la guerre, l’aviation israélienne a frappé la prison d’Evin, ainsi que le quartier général des Gardiens de la Révolution et des miliciens bassidjis. Cela laissait penser que l’objectif d’Israël était désormais la chute du régime. Or, à la surprise générale, un cessez-le-feu est intervenu dès le lendemain. Pourquoi ?
Parce que ce n’était tout simplement pas dans la liste des objectifs de guerre d’Israël. Les buts de l’opération, tels que publiés par le gouvernement israélien, étaient de causer le plus de dégâts possible au programme nucléaire iranien, ainsi qu’au programme de missiles balistiques, parce qu’Israël a appris que l’Iran travaillait à la production de milliers de missiles balistiques, peut-être jusqu’à 8 000, qui constituent une menace existentielle pour le pays. L’idée était que les dégâts infligés à ces deux dispositifs stratégiques, ainsi qu’au réseau de proxys, créeraient les conditions pour un meilleur accord nucléaire. Ce sont les quatre objectifs d’Israël. Le changement de régime n’en faisait pas partie, et à juste titre.
Pourquoi cela ?
C’est logique, car un changement de régime ne peut arriver que dans deux cas : s’il provient d’une opposition intérieure ou alors par le biais d’une occupation par des troupes au sol. Or aucun de ces scénarios ne relève des capacités d’Israël. Bien sûr, aucun Israélien n’aurait été triste de voir le régime iranien tomber, mais celui-ci ne faisait pas partie de la liste des objectifs de guerre. Les frappes que vous avez mentionnées contre la prison d’Evin ou les bassidjis constituaient, à mon sens, un message destiné à montrer au régime qu’Israël était capable de frapper au-delà des objectifs militaires.
Quel est, d’après vous, le principal facteur qui a conduit à la conclusion d’un cessez-le-feu entre Israël et l’Iran ?
Je pense que Donald Trump a exercé une grosse pression sur Israël pour en finir avec la guerre. Si vous vous souvenez bien, trois heures après l’annonce d’un cessez-le-feu, les Iraniens l’ont violé en tirant un missile sur le nord d’Israël, ce qui a amené l’armée de l’air israélienne à lancer une énorme opération aérienne contre l’Iran. Or Trump a demandé à Benyamin Netanyahou de rappeler ses avions de chasse et ceux-ci n’ont pas attaqué les cibles iraniennes, qui étaient pourtant très bien identifiées.
On voit donc bien qui est responsable de ce cessez-le-feu. Il faut rappeler que Trump est un président qui veut obtenir la « paix à travers la force », mais avant tout la paix. Si ses propres conseillers, ainsi que ses soutiens MAGA, l’avaient mis en garde contre la « mort de milliers de soldats américains s’il attaquait l’Iran », ce n’est pas ce qui est arrivé. Le président a suivi Israël sur le tapis rouge qui leur a permis d’obtenir la supériorité aérienne et de détruire les installations nucléaires iraniennes, ce qu’il a considéré comme une grande victoire, sans que le risque de morts de militaires américains se matérialise. Maintenant, après avoir utilisé la force, il veut obtenir la paix avec un accord sur le nucléaire.