L’effet d’aveuglement est un phénomène bien connu des experts en art. Il survient lorsque le désir de voir ses attentes se réaliser l’emporte sur le jugement critique. On confond le vrai avec le faux, dans la jubilation de voir l’inespéré se produire. Ce brouillage du discernement trouve un écho tragique, et hélas fréquent en politique. L’envie inexorable et narcissique d’assister à la réalisation de son idéologie anesthésie la raison et emporte le réel sur son passage.
Les ingénieurs invisibles de la propagande pourront ainsi créer de nouveaux outils de manipulation, qu’ils ne s’y trompent pas : l’Iran n’est ni la Lybie ni la Syrie. Que l’Occident le veuille ou non, les Iraniens seront libres, et l’Iran des Lumières verra le jour.
Une fascination aveugle : Sartre, Foucault et la Révolution islamique
Comment des penseurs de renom comme Jean-Paul Sartre et Michel Foucault ont-ils pu se méprendre sur Khomeini et sa « révolution islamique » ? Cette interrogation courante devrait être reformulée ainsi : Pourquoi ont-ils si furieusement voulu y croire ?
En 1955, dans L’Opium des intellectuels, Raymond Aron apportait une réponse éclairante à cette crédulité teintée de mauvaise foi et de dogmatisme : « Cherchant à expliquer l’attitude des intellectuels, impitoyables aux défaillances des démocraties, indulgents aux plus grands crimes, pourvu qu’ils soient commis au nom des bonnes doctrines, je rencontrai d’abord les mots sacrés : gauche, révolution, prolétariat. La critique de ces mythes m’amena à réfléchir sur le culte de l’Histoire, puis à m’interroger sur une catégorie sociale à laquelle les sociologues n’ont pas encore accordé l’attention qu’elle mérite : l’intelligentsia », écrivait Aron.
La fin sublime excusait les moyens horribles : la fabrique de la propagande Khomeiniste
Un des mécanismes clés de la propagande et de la manipulation de l’opinion est la diabolisation de l’ennemi. En 1979, les opposants à l’idéologie islamique ont été systématiquement discrédités par des campagnes de diffamation rhétorique et visuelle. Ces méthodes ont permis de neutraliser toute menace idéologique et de créer une illusion d’unité parmi les Iraniens aux opinions politiques profondément divergentes.
Comme l’écrivait encore Aron, « la fin sublime excusait les moyens horribles ».
« Le révolutionnaire est cynique dans l’action […] qu’il se décide à adhérer à un parti aussi intransigeant que lui contre le désordre établi, et le voici qui pardonnera, au nom de la Révolution, tout ce qu’il dénonçait infatigablement. Le mythe révolutionnaire jette un pont entre l’intransigeance morale et le terrorisme. […] Rien n’est plus banal que ce double-jeu de la rigueur et de l’indulgence. »
« Le mythe révolutionnaire jette un pont entre l’intransigeance morale et le terrorisme »
Au nom de la doctrine anti-impérialiste, des contre-vérités ont été fabriquées, des fautes réelles amplifiées jusqu’à la caricature, afin que l’opinion adhérât à la nécessité de la chute du Shah.
C’est ce qu’Edward Bernays, l’auteur de Propaganda (1928), qui orchestra pour la CIA des campagnes de déstabilisation politique en Amérique Latine, appelle la « fabrique du consentement ». Pour Bernays, les choix des masses étant déterminants, ceux qui parviendront à les influencer détiendront réellement le pouvoir. La démocratie moderne implique une nouvelle forme de gouvernement, invisible : la propagande. La vérité n’est plus le fruit de la connaissance scientifique mais d’une idée qui, si elle est suffisamment répétée, devient la vérité.
Dans le cas de la « révolution » iranienne de 1979, la propagande Khomeiniste, reprise et amplifiée sans discernement par les médias et les intellectuels occidentaux est devenue vérité puis doctrine. C’est elle qui dicte la politique iranienne du Quai d’Orsay depuis 45 ans et jusqu’à ce jour.
La fabrique de la propagande étrangère en Iran : une histoire méconnue
Depuis le début du XXème siècle, l’Iran a fait les frais de la propagande étrangère à de maintes reprises. L’épisode fondateur de cette ingérence silencieuse correspond à la crise de la nationalisation du pétrole iranien et au coup d’État de 1953 contre le Premier ministre Mohammad Mossadegh.
Grâce aux archives déclassifiées et publiées dans le dixième volume de la série Foreign Relations of the United States, on sait désormais que l’objectif principal de la politique américaine en Iran était de maintenir le contrôle occidental sur le pétrole du pays, afin notamment de limiter la puissance soviétique dans la région. Les responsables américains avaient compris que le nationalisme était une force réelle et puissante dans le pays, et que Mossadegh jouissait d’un soutien important de l’opinion publique.
Frustrée par l’échec d’un règlement négocié, l’administration Truman commença donc à planifier une action clandestine. Le coup d’État a finalement été mis en œuvre sous l’administration Eisenhower.
Dans les mois précédant le coup d’État, les Etats-Unis ont dépensé plus d’un million de dollars, en partie pour acheter l’allégeance de personnalités iraniennes influentes, comme les députés du Parlement. Ce coup d’État a été la première opération secrète de la CIA contre un gouvernement étranger, et a servi de modèle pour des opérations ultérieures. Il a laissé des traces profondes dans la mémoire collective iranienne, et préfiguré le coup d’état islamique de 1979.
Le rôle de l’intelligentsia française dans la mystification
Les années précédant la révolution de 1979 furent marquées par une entreprise de désinformation massive. Khomeini, habile faussaire idéologique exilé en France, parvint à projeter l’image d’un leader révolutionnaire charismatique et tiers-mondiste, séduisant une intelligentsia occidentale désireuse de s’opposer au despotisme impérialiste incarné par les Etats-Unis. Des intellectuels français influents comme Michel Foucault, Jean-Paul Sartre ou Simone de Beauvoir, ont ainsi ouvertement soutenu la « révolution » islamique. Aveuglés par le désir de voir s’incarner leurs théories, ils firent de Khomeini un symbole de résistance, refusant d’affronter le réel et de mesurer les conséquences funestes de leur soutien. Foucault, par exemple, qualifiait l’islamisme d’ »alternative spirituelle » alors qu’il suffisait de lire les écrits contemporains de Khomeini pour comprendre qu’il s’agissait d’un religieux fanatique et assoiffé de sang.
Pour les besoins de leur idéologie, ils acceptèrent de confondre l’un des plus grands tortionnaires du XXème siècle avec Gandhi. Les médias occidentaux et les intellectuels progressistes relayèrent ainsi sans la moindre distance critique les accusations portées par Khomeini contre le régime du Shah. Ce soutien aveugle, loin d’être anecdotique, contribua à légitimer un régime théocratique et mafieux dans les cercles progressistes européens.
Quand la propagande produit une amnésie historique
Il ne s’agit pas de nier l’existence de la police politique ou des prisonniers politiques à l’époque du Shah, ni d’absoudre ses fautes, mais d’analyser les faits, tous les faits, plutôt que d’occulter tous ceux qui ne servent pas une doctrine. Le devoir de tout esprit libre, fortiori en démocratie, est d’analyser et non de diffuser naïvement une propagande soigneusement construite par Khomeini et ses alliés de l’administration Carter.
Dans le récit officiel iranien de la révolution, Khomeini a fièrement défié les États-Unis et vaincu « le Grand Satan » dans ses efforts désespérés pour maintenir le Shah au pouvoir. Mais les archives déclassifiées de l’administration Carter mettent au jour une tout autre réalité, parfaitement connue des Iraniens mais étonnamment ignorée par le reste du monde. Ces documents révèlent que Khomeini était bien plus engagé avec les États-Unis qu’on le pense. Loin de défier l’Amérique, l’ayatollah a courtisé l’administration Carter, envoyant des signaux discrets indiquant qu’il souhaitait un dialogue, puis présentant une potentielle République islamique favorable aux intérêts américains. (Documents déclassifiés consultables sur le site internet du National Security Archive).
Ce qui s’est passé il y a 45 ans entre l’Amérique et Khomeini n’appartient hélas pas seulement à l’Histoire. Le désir des États-Unis, en particulier de l’administration démocrate, et de ses alliés occidentaux, de conclure des accords avec ce qu’ils considèrent comme des éléments pragmatiques au sein de la République islamique se poursuit encore aujourd’hui, au mépris cynique du peuple iranien.
Que se passait-il réellement dans les prisons iraniennes ?
Pour en venir à la réalité telle qu’elle fut et non telle qu’on l’a volontairement fantasmée, nous citerons le rapport publié en 1980 par William J. Butler, de la Commission internationale de juristes (CIJ). Il estimait que le nombre de prisonniers politiques sous le Shah d’Iran n’avait jamais dépassé les 3 500 environ.
Selon Amnesty International cette population était essentiellement constituée de groupes de guérilla islamique et marxiste (Moudjahidines, Fedayin) et de mouvements séparatistes locaux (kurdes, baloutches, azerbaïdjanais) sous l’emprise de l’URSS ou des États-Unis, dans le contexte de leurs luttes d’influence durant la Guerre froide. Les prisonniers de conscience ne représentaient qu’une minorité d’une centaine de personnes.
Selon Amnesty International, qui avait commencé à recenser le nombre d’exécutions à partir de 1972, le nombre se situait autour de 300 personnes. Les annuaires officiels de l’ONG ne font état que de deux personnes exécutées après le milieu de 1977, l’une étant le meurtrier d’un employé de l’ambassade américaine et l’autre un général reconnu coupable d’espionnage.
Le journaliste David Frost déclarait quant à lui que ses chercheurs estimaient qu’il y aurait eu entre 1000 et 1500 exécutions entre 1963 et le milieu de 1977.
Au début de 1977, le Shah invita les dirigeants d’Amnesty International, du CICR et de la CIJ à se rendre à Téhéran. Lors d’audiences personnelles, il a informé Martin Ennals d’Amnesty International et Butler de la CIJ qu’il avait ordonné l’arrêt de la torture, et mit Butler au défi de produire un seul exemple depuis le mois de septembre 1976. Il a ouvrit les prisons à la Croix-Rouge Internationale.
Butler affirme que le Shah avait promis des « changements substantiels » au code de procédure militaire pour juger les personnes accusées de crimes politiques. Peu de temps après, des projets de loi à cet effet furent soumis au Parlement iranien et furent adoptés en août 1977.
En octobre 1977, la sous-commission de la Chambre sur les organisations internationales convoqua une audience sur les droits de l’homme en Iran. Étaient présents Butler, Charles Naas, directeur de l’État chargé des affaires iraniennes, et deux professeurs. Le professeur Richard W. Cottam de l’Université de Pittsburgh, spécialiste de l’Iran, a déclaré à la sous-commission que le Shah « avait répondu d’une manière qui n’était pas simplement cosmétique ». Et Butler déclara au sous-comité que la CIJ n’avait recensé aucun cas de torture en Iran au cours des 10 ou 11 mois précédents.
Pour rappel, la République Islamique détient le triste record mondial du nombre d’exécutions capitales allant jusqu’à une moyenne d’une pendaison toutes les 4 heures sous la présidence de M. Pezechkian, le nouveau Président « réformateur ».
Que se passait-il à la même époque dans les prisons françaises ?
L’analyse des faits suppose aussi de les mettre en perspective avec l’Histoire contemporaine, notamment celle de la France. Il s’agit d’observer objectivement un régime politique dans tous ses aspects et de le replacer dans le contexte de l’époque, qui correspond, en France, au troisième gouvernement et à la présidence de Charles de Gaulle.
Les archives françaises sur la guerre d’Algérie (1954-1962), dont certaines ont été déclassifiées fin 2021 sur décision d’Emmanuel Macron, témoignent des pratiques de l’État français à la même période : emprisonnements arbitraires, torture et assassinat au nom de la raison d’État.
Les conditions d’incarcération décrites par Simone Weil dans les prisons françaises étaient-elles dignes ? Dans Une vie la jeune magistrate à la direction de l’Administration pénitentiaire raconte l’horreur qui la saisit lors de ses premières visites de maisons d’arrêt en 1957, et son sentiment, parfois, « de plonger dans le Moyen Âge » tant les conditions » sont scandaleuses »
A la maison de correction de Versailles, une seule salle est chauffée », décrit-elle. Le milieu de la pièce sert de toilettes et les excréments sont évacués par une voiturette tirée par un cheval ». Outre les insuffisances matérielles, la magistrate dénonce « tout ce qui génère humiliation et abaissement de l’autre », s’indignant ainsi des « pratiques particulièrement perverses » de la directrice de la prison pour femmes de Rennes. « Obsédée par l’homosexualité », celle-ci punissait, raconte Simone Veil dans ses Mémoires, jusqu’au moindre geste de générosité qu’elle interprète comme une preuve d’amitié, comme le don par une détenue d’un morceau de sucre à une autre prisonnière.
Selon un ancien prisonnier du FLN en France, Mohand Zeggagh, qui s’exprimait dans le Monde le 8 aout 2017, Simone Veil a « sauvé de nombreuses vies humaines en toute discrétion » « Plus de 1 600 condamnés à la peine capitale attendaient dans les couloirs de la mort [des prisons françaises] Elle participa activement à différer au maximum les exécutions. (…) En accord avec le ministre Edmond Michelet, madame Veil allongeait le temps de transmission des dossiers les plus exposés ou décidait de les différer dans l’attente d’autres éléments introduits par les avocats, afin de surseoir à l’exécution de leurs clients »
Quand la propagande efface une partie de l’Histoire
La propagande contre le régime du Shah d’Iran et le processus d’aveuglement volontaire ont masqué les réformes progressistes que celui-ci a menées pendant ses 38 années de règne.
L’Émancipation des femmes, l’accès à l’éducation, à la culture et aux soins gratuits pour tous, la fin du féodalisme des mollahs et la redistribution des terres aux paysans, la distribution de parts des entreprises et usines aux employés et ouvriers, constituent autant d’avancées majeures pour la société iranienne, arrivée aux portes de la modernité et de la démocratie avant la prise de pouvoir de Khomeini.
Qui, en France, a entendu parler de la « Révolution blanche » du Mohamad Reza Shah Pahlavi ?
Qui sait que le gouvernement de Mohamad Reza Pahlavi a légalisé l’avortement en 1973, 2 ans avant la loi Veil ?
Qui sait que ce régime caricaturé en tyrannie a donné le droit de vote aux femmes en 1963 et qu’il a compté des femmes comme ministres de plein exercice dans son cabinet alors que la France n’en comptait aucune entre 1948 et 1974 ?
Qui sait que ce régime qualifié de despotique a relevé l’âge minimum du mariage à 18 ans pour les femmes en 1975 alors que la France a attendu 2006 pour porter l’âge minimal légal du mariage de 15 à 18 ans pour les jeunes filles ?
Qui connait le programme extrêmement ambitieux de réformes sociales, politiques et économiques qui a été soumis à un plébiscite et ratifiées par le parlement en 1963 ? Ce programme qui a permis de redistribuer les terres injustement exploitées par les mollahs, à quelque 2,5 millions de familles paysannes, de créer des unités d’alphabétisation et de santé au profit des zones rurales iraniennes, de réduire davantage l’autonomie des groupes tribaux et de proposer des réformes sociales et juridiques qui ont favorisé l’émancipation et la libération des femmes.
Qui sait qu’au cours des décennies suivantes, le revenu par habitant des Iraniens est monté en flèche et que les revenus pétroliers ont alimenté une énorme augmentation du financement public des projets de développement industriel mais aussi d’infrastructures du pays dont les Iraniens continuent à bénéficier aujourd’hui ?
Enfin, qui sait que ce sont précisément les nouvelles politiques émancipatrices du Shah qui ont déclenché les foudres du clergé, qui estimait que les lois de libéralisation concernant les femmes étaient contraires à leurs valeurs islamiques mais surtout propres à diminuer leur pouvoir et leurs revenus ? Comment le pays de l’anticléricalisme et de la séparation de l’Église et de l’État a-t-il pu à ce point se fourvoyer ?
Les réformes du Shah avaient en effet érodé les bases traditionnelles du pouvoir clérical. Le développement des tribunaux laïcs avait déjà réduit le pouvoir du clergé sur le droit et la jurisprudence, et l’accent mis par les réformes sur l’éducation laïque affaiblit encore l’ancien monopole des oulémas dans ce domaine.
Près de deux semaines après la proclamation du droit de vote des femmes, des manifestations ont éclaté dans le bazar et dans les quartiers sud de Téhéran à l’instigation des mollahs. En réponse à ces réactions, les femmes ont également protesté et se sont mises en grève. Le 26 janvier 1963, un référendum sur la Révolution blanche eut lieu. Bien que les votes des femmes aient été comptés séparément de ceux des hommes, le référendum approuva le droit de vote des femmes sans difficultés.
Ces avancées majeures ont été ignorées par les intellectuels français et occidentaux qui se sont fait les chantres de la propagande de l’un des régimes les plus sanguinaires des XXème et XXIème siècles. Et tous ces progrès sociaux mis en place avant 1979 ont été anéantis par les mollahs au profit d’une régression systématique, en particulier du droit des minorités et du droit des femmes.
Dès 1980, ce régime barbare, dont la France avait protégé le leader et favorisé l’accession au pouvoir, a fait exécuter la ministre de l’Éducation, Farrokhroo Pārsā, comme un acte inaugural de la barbarie et de l’apartheid sexuel qu’il entendait imposer à l’Iran.
L’effondrement de la vérité : des illusions à la désillusion
Après la chute du Shah, nulle trace des prétendus massacres massifs commis sous son règne ne fut découverte. En revanche, la répression sanglante et les purges systématiques orchestrées par le nouveau régime islamique dépassèrent de loin tout ce qu’on avait pu imaginer.
Dès le 16 février 1979, à peine deux semaines après le retour de Khomeini et 5 jours après la proclamation de la fin de la monarchie en Iran, les exécutions massives débutèrent afin d’éliminer les dirigeants militaires et civils susceptibles de fomenter une contre- révolution. En 1988, en l’espace de seulement 2 mois (entre juillet et août), 20.000 à
30.000 prisonniers politiques furent exécutés. Ces hommes et ces femmes, certains même mineurs, ont été arbitrairement tués pour leur opinion et jetés dans des fosses communes. Ces massacres de 1988 sont qualifiés de crimes contre l’humanité par les ONG internationales.
Même parmi les révolutionnaires, le désenchantement fut rapide. Shahran Tabari, ancienne membre du Parti communiste Tudeh (dont l’oncle était le chef) , qui vit aujourd’hui à Londres remet en question la décision de renverser le Shah : « Nous ne comprenions pas ce qu’était la démocratie », admet-elle. « Certains membres de l’opposition n’étaient pas d’accord avec ce qui se passait, mais ils se sont tus. Tout le monde voulait le départ du Shah à tout prix », dit-elle. « Il est difficile de comprendre comment cela s’est produit. J’ai l’impression que nous avons tous subi un lavage de cerveau et que nous avons été manipulés. »
Homa Nategh, professeure à l’université de Téhéran pendant la Révolution, partage cette culpabilité. Elle a perdu ses illusions quelques mois après la prise du pouvoir des mollahs et s’est réfugiée en France, où elle a réfléchi à son rôle.
« Ma culpabilité est peut-être plus grande que celle des autres car pendant la révolution, j’ai joué un rôle à la fois d’éducatrice et de chercheuse. Malheureusement, j’ai été emportée par la ferveur, je me suis débarrassée de mes réserves et de mes connaissances et j’ai rejoint la foule dans les rues, m’alignant sur l’ignorance des masses ».
« La fin justifiait les moyens », faisait-elle remarquer. « Nous réclamions la liberté à cor et à cri, mais nous n’en comprenions pas vraiment le sens. Ni moi, ni personne d’autre ne discutait de la liberté et n’en comprenait l’essence ; nous l’interprétions en fonction de nos intérêts ».
« Révolution ou Faute ? »
Les Iraniennes et les Iraniens qui se battent aujourd’hui au nom de la devise « Femme, Vie, Liberté » dénoncent ce qu’ils appellent « la Faute de 79 ». Malgré les efforts déployés par le régime pour effacer l’Histoire nationale avant 1979, malgré les programmes de lavage de cerveau, les Iraniens connaissent parfaitement les réformes émancipatrices qui avaient été menées sous le Shah. Ils condamnent l’aveuglement des générations précédentes, qui ont sacrifié leur liberté et leur nation sur l’autel de la propagande et des illusions idéologiques.
Face à la lucidité de cette jeunesse iranienne, pourtant soumise au feu nourri d’une propagande contre laquelle elle est désormais immunisé, on observe que les erreurs de jugement de 1979 continuent à être propagées en France et dans l’ensemble des démocraties, où le coup d’état islamique de Khomeini est encore présenté comme un soulèvement spontané et légitime, tandis que la vision caricaturale du régime du Shah s’est cristallisée en vérité historique.
La France et l’Iran : 45 ans d’aveuglement
L’Histoire ne peut être l’otage de l’idéologie. Il est temps que la France, berceau des Lumières, se réveille et reconnaisse enfin son aveuglement et sa contribution à l’avènement d’un État islamique en Iran. Elle le doit à elle-même et à tous ceux qui continuent de subir les conséquences de cette tragique erreur. Elle le doit non pas par esprit de repentance mais par respect pour les valeurs qui fondent notre démocratie.
Depuis 45 ans, la diplomatie française persiste à entretenir des relations conciliantes avec la République islamique au mépris de la volonté des Iraniens. Sous prétexte de « dialogue », le Quai d’Orsay ferme les yeux sur les violations systématiques des droits de l’Homme et sur les crimes contre l’humanité commis quotidiennement par ce régime, aussi bien sur sa propre population qu’au-delà de ses frontières.
Regarder la vérité en face c’est aussi, pour la France, se donner les moyens de se placer, cette fois-ci, du bon côté de l’Histoire, et de saisir du même coup les opportunités que représenterait, pour notre propre nation, un Iran libre.
L’espoir d’un avenir démocratique et laïc décidé par un peuple jeune, très instruit et farouchement déterminé.
L’Iran se compose d’une population de 88 millions d’habitants à l’intérieur de ses
frontières, et de 8 millions d’Iraniens de la diaspora, dispersés à travers le monde entier. Avec une moyenne d’âge de 32 ans, et un niveau d’éducation équivalent à la France, les Iraniens disposent du libre arbitre nécessaire pour choisir pour eux-mêmes et par eux- mêmes, le meilleur système de gouvernement. Celui qui leur permettra de répondre à leurs aspirations citoyennes et aux enjeux géostratégiques, économiques et climatiques de leur nation, de la région et du monde. Après 45 ans de destruction systématique, ils aspirent légitiment à reconstruire leur Iran. Ils veulent vivre dans une démocratie laïque et dans un Moyen-Orient apaisé.
Imperméables à la manipulation politique et vaccinés contre toutes les idéologies par 45 ans de propagande et de totalitarisme, les Iraniens ne permettront à personne de les instrumentaliser une nouvelle fois. Ils ne toléreront pas qu’on réduise leur aspiration légitime à la chute d’un régime totalitaire à une simple revendication de réformes de chiffon.
Le temps est venu pour cette nation à qui le monde impose depuis 4 décennies son point de vue biaisé pour servir ses propres intérêts, de retrouver sa souveraineté et de décider de son destin. Les ingénieurs invisibles de la propagande pourront toujours créer de nouveaux outils de manipulation mais qu’ils ne s’y trompent pas, l’Iran n’est ni la Lybie ni la Syrie. Que l’Occident le veuille ou non, les Iraniens seront libres et l’Iran des Lumières verra le jour.
A nous de décider si nous souhaitons persister dans notre aveuglement tactique ou si nous choisissons enfin de les accompagner vers la lumière.