PAR Emmanuel Razavi, x@franctireurmag
IRNA, relevant du corps des Gardiens de la Révolution islamique, ils ébruitent des rumeurs infamantes. Le 11 mai 2024, on y lisait ainsi que « tous les soutiens français de la Palestine sont ciblés par le régime de la macronie, sous l’influence du lobby sioniste ». Ils montent également des reportages accablants sur des personnalités qui dénoncent ILLUSTRATION : LAURA ACQUAVIVA
Ils manifestent leur proximité avec le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), soutenu par la République islamique d’Iran, et se gardent bien de dénoncer ses proxys terroristes, comme le Hamas ou le Hezbollah. Depuis le 7 octobre, les Insoumis multiplient les sorties douteuses. Dans le même temps, Téhéran instrumentalise la cause palestinienne par l’intermédiaire de politiques, de journalistes et d’étudiants influencés, manipulés ou recrutés, et d’agents infiltrés au sein des universités. Grâce à des années d’enquête, Emmanuel Razavi, spécialiste du Moyen-Orient, nous plonge dans les coulisses de cette guerre hybride.
Depuis le pogrom du 7 octobre 2023, les compromissions et les liens des ténors de La France insoumise avec « l’axe de la résistance » (qui comprend, entre autres, le Hezbollah, le Hamas, le Front populaire de libération de la Palestine – FPLP), parrainé par Téhéran, s’étalent au grand jour. Les députés Mathilde Panot, Ersilia Soudais et Sébastien Delogu, comme l’eurodéputée Rima Hassan, multiplient les conférences avec Salah Hamouri, activiste franco-palestinien soupçonné d’être lié au FPLP. Or ce dernier a été condamné en 2008, par un tribunal israélien, à sept ans de prison pour avoir projeté un attentat contre l’ex-grand rabbin d’Israël. Quant au FPLP, bien que marxiste, il est impliqué dans le 7 octobre aux côtés des islamistes du Hamas et du Jihad islamique palestinien, comme le corrobore le rapport de Human Rights Watch publié le 17 juillet dernier : « La participation de ces groupes a été confirmée en grande partie à partir d’une analyse détaillée des assaillants visibles dans les vidéos prises lors des attaques, notamment des images de vidéosurveillance et de caméras corporelles. » Tous ces groupes, poursuit le rapport, « étaient membres d’une « salle d’opérations conjointes ». Le FPLP figure sur la liste des organisations terroristes de l’Union européenne. Ce que l’on sait moins, c’est qu’une partie de ses troupes sont formées militairement par l’unité d’élite iranienne Al-Qods. Abu Jamal, un porte-parole du FPLP, désignait d’ailleurs, en 2021, les combattants iraniens d’Al-Qods comme des « frères de sang » de son mouvement.
Des liens et des actes qui n’empêchent pas LFI de s’afficher avec ses cadres ou ses membres présumés. En novembre 2023, lors d’un meeting à Marseille, le député Sébastien Delogu réclamait «un tonnerre d’applaudissements» pour Salah Hamouri. Le 24 août 2024, lors d’une réunion publique à Valence, Mathilde Panot se disait « très honorée » de « l’accueillir ». La veille, l’Insoumise Ersilia Soudais le qualifiait publiquement d’« ami et camarade ». Un mois après le pogrom du 7 octobre, la même Ersilia Soudais avait invité Mariam Abou Daqqa, militante du FPLP, à la projection d’un film documentaire sur Gaza au Palais-Bourbon. Ce qui n’avait pas manqué de choquer ses collègues et lui a finalement été refusé. Dans un communiqué, la présidence de l’Assemblée nationale avait indiqué que « la présence de Mme Abou Daqqa serait une inqualifiable provocation à l’égard de toutes les victimes de l’antisémitisme de par le monde ». Loin de s’en excuser, la députée Soudais en gloussera quelques jours plus tard, dans un éclat de rire aussi glaçant qu’inopportun, sur le média décolonial Paroles d’honneur, connu pour sa complaisance envers le Hamas… La liste des compromissions des Insoumis avec des radicaux proches de la République islamique d’Iran ne s’arrête pas là. Le 10 mai 2024, Rima Hassan assistait à l’ouverture du Forum social Maghreb- Machrek à Tunis, auquel prenaient part des cadres du FPLP, du Hamas et du Jihad islamique. Mi-août, elle participait, à Amman cette fois, à un hommage à Ismaël Haniyeh, l’un des chefs du Hamas.
Tout récemment, comme l’ont révélé nos confrères du Point, le député LFI Thomas Portes fut, quant à lui, à l’initiative de l’invitation, toujours à l’Assemblée, de la Ligue des parlementaires pour Al-Qods et la Palestine. Une ONG de droit turc inféodée au Hamas et présidée par Hamid Abdullah Hussein al-Ahmar, «l’homme qui gère les centaines de millions du mouvement terroriste ». Rappelons que, deux jours avant les attaques terroristes, le même député Portes rencontrait, au Caire, Abu Amir Eleiwa, coordinateur d’Humani’Terre : une ONG proche du Hamas visée par une enquête pour «financement du terrorisme et association de malfaiteurs terroriste criminelle». Elle est soupçonnée d’avoir levé des fonds pour financer l’achat de tuyaux pour l’acheminement d’eau pour la population, et des pépinières, à Gaza. Mais dans les faits, ils auraient été utilisés pour fabriquer des lance-roquettes… Et les tunnels du Hamas, dans lesquels étouffaient les otages israéliens, mais où les combattants du Hamas circulaient grâce à des petites voitures électriques d’Humani’Terre… l’ONG soutenue par Thomas Portes! Des liens purement idéologiques ?
On le sait, Téhéran ne lésine devant aucun moyen pour recruter des alliés politiques en Occident, afin de le déstabiliser et d’y semer une colère qui lui profite. «Les disciples de l’ayatollah Khomeini (fondateur de la République islamique d’Iran, ndlr) ont toujours considéré la France comme un terrain de recrutement fertile», confie Adrian Calamel, spécialiste américain du corps des Gardiens de la révolution islamique. Pour lui, qui a travaillé sur les mécanismes de l’ingérence iranienne, les liens entre Téhéran et, en particulier, l’extrême gauche française, ne sont pas nouveaux. Et d’autant plus aisés que LFI et le Parti communiste partagent plusieurs combats avec les mollahs et leurs proxys palestiniens : l’antisionisme, l’anticolonialisme, l’anti-impérialisme… Ce qui a facilité leur rapprochement, même si leurs élus nient faire le jeu de Téhéran et balaient d’un revers de main tout lien avec le régime. Ceux qui nous parlent l’ont vécu de l’autre côté de la barrière…
Amir Hamidi est un ex-agent spécial américa-no-iranien de la Drug Enforcement Administration (DEA), et expert mondialement reconnu du Hezbollah et du corps des Gardiens de la révolution islamique. Il les a infiltrés lorsqu’il était en activité, et il le confirme : «La force Al-Qods [l’unité d’élite en charge des opérations extérieures du corps des Gardiens de la révolution, spécialisée dans les assassinats ciblés, la guerre asymétrique, les stratégies d’influence et la cyberguerre, ndlr] s’efforce d’établir des relations avec des groupes politiques, des ONG et des personnalités antioccidentales en Europe. » Il nous apprend que « sur le sol européen, ses opérations d’influence sont menées par des agents qui collaborent avec la Russie pour atteindre leurs objectifs ».
Ce qui comprend « les partis d’extrême gauche, car ils sont hostiles à l’Occident, en particulier aux États-Unis et à Israël, de sorte qu’ils ont des points communs».
Nous disposons de photos qui prouvent que, de 2013 à 2018, des émissaires de Téhéran ont à plusieurs reprises utilisé les locaux de la 13e section du Parti communiste français à Paris pour y donner des conférences et faire l’apologie de la branche prétendument «réformatrice» du régime iranien. Parmi eux, Seraj Mirdamady, collaborateur du ministère de l’Intérieur iranien et cousin de Khamenei. Ou encore Mohamad Amjad, qui, en juin 2017, expliquait pourtant doctement : «Que ce soit dans les gouvernements libéraux ou dans les sociétés communistes, les dirigeants s’arrogent le pouvoir à la place de Dieu. […] En revanche, dans le gouvernement de l’imam Ali (quatrième calife de l’islam, considéré par les chiites comme le successeur légitime de Mahomet, ndlr), une telle usurpation n’existe pas.»
UNIVERSITÉS INFILTRÉES
En matière de recrutement, les étudiants représentent une cible de choix pour les services secrets iraniens, surtout s’ils entretiennent des relations avec les syndicats estudiantins ou les partis politiques d’extrême gauche. Matthieu Ghadiri, ex-policier franco-iranien très apprécié de sa hiérarchie, a longtemps été agent double, infiltré au sein des Gardiens de la révolution. Dans Notre agent iranien, son autobiographie explosive (éd. Nouveau Monde), il raconte « de l’intérieur » comment les mollahs étendent, depuis quarante ans, leur influence en France. À l’époque, il terminait ses études et se souvient : « Quand ils m’ont recruté, c’était pour espionner et influencer le Parti socialiste dont j’étais proche. Il m’a été demandé de me rapprocher de François de Grossouvre qui conseillait Mitterrand. Ils peuvent aussi demander à leurs recrues de se rapprocher d’associations propalestiniennes ou de réseaux liés aux Frères musulmans, favorables au Hamas. » Sa hiérarchie française lui demande de faire semblant de jouer le jeu des services iraniens. Il est invité en Allemagne, où il rencontre un officier traitant iranien qui lui donne des consignes et lui remet des enveloppes d’argent liquide pour ses « frais ». « Ils ont misé sur moi, sans se douter que je travaillais pour les renseignements français, ce qui donne une idée de leurs limites. Évidemment, je leur refilais des informations qui n’avaient pas d’importance », ajoute-t- il.
En France, les services de la République islamique ciblent aussi clairement les Iraniens qui y étudient. Matthieu Ghadiri dévoile leur protocole : « Quand ces étudiants retournent en Iran à l’occasion de vacances, et seulement si leur profil intéresse le régime, ils reçoivent un coup de fil quelques jours avant de rentrer dans l’Hexagone. Il leur est alors proposé de collaborer. C’est comme ça que 70 % des recrutements se font.»
Selon Adrian Calamel, les mollahs arrivent aussi à placer leurs agents au sein des universités : « Le ministère de l’Information et le corps des Gardiens de la révolution islamique ont placé des relais dans certaines d’entre elles, aux États-Unis et en France.
» La méthode est simple : « Quand ils veulent y faire pénétrer un jeune agent, ils lui demandent de s’inscrire à un programme de maîtrise ou de doctorat. Ils savent que ses démarches seront facilitées par leurs relais. Une fois que l’agent-étudiant a reçu son visa et que son admission est validée, il part poursuivre ses études et collecte des informations pour les renseignements iraniens. »
Ces agents-étudiants sont aussi utilisés sur les campus à des fins de propagande anti- israélienne. Leurs actions ont d’ailleurs convergé au cours de l’année écoulée avec celles des groupes propalestiniens pour accuser l’État hébreu de commettre un « génocide à Gaza », paraphrasant les propos des dignitaires iraniens. Ali Khamenei, le guide suprême de la République islamique en personne, a salué ces manifestations : « La conscience des peuples s’est éveillée. »
MISER SUR LA DIASPORA ALGÉRIENNE
Les services secrets iraniens recrutent aussi des personnalités sans lien avec Téhéran, mais qui jouissent à leurs yeux d’une certaine aura dans des cercles journalistiques et diplomatiques. « Ponctuellement, ces personnes sont amenées à voyager en Iran, leurs frais de déplacement étant pris en charge. Parmi eux, certains sont également manipulés par les services secrets russes», révèle Matthieu Ghadiri qui fait allusion, sans la nommer, à une chercheuse connue pour ses positions prorusses et sa proximité avec l’ambassade de la République islamique d’Iran à Paris.
Autre cible des mollahs : la diaspora algérienne. Alger étant aligné sur le régime iranien dans son soutien au Hamas et au Hezbollah libanais, la République islamique y voit l’un de ses relais possibles en France. Matthieu Ghadiri précise cependant que si « le lien entre les services secrets iraniens et algériens est historique, les coups de main d’Alger sont ponctuels, et jamais gratuits ». Il certifie toutefois que «les services de renseignement français disposent d’un maximum d’informations sur les agents d’influence qui travaillent pour la République islamique d’Iran. De même, ils savent qui sont les agents iraniens opérant sur notre territoire. Quand, par exemple, l’attaché culturel de l’ambassade de la République islamique, agissant sous statut diplomatique, rencontre une personnalité importante, l’affaire est suivie».
LFI et le Parti communiste partagent plusieurs combats avec les mollahs et leurs proxys.
LES OPPOSANTS VISÉS
Formés à l’art de la désinformation, les agents d’influence iraniens ciblent régulièrement les opposants réfugiés en France. Via l’agence de presse leurs manœuvres. Si elles ne tuent pas physiquement, ces campagnes de discrédit ont vocation à tuer « socialement » les personnalités gênantes, dont des journalistes ou des chercheurs. Leurs conséquences peuvent se révéler dévastatrices : perte de crédibilité, isolement et, dans certains cas, poursuites judiciaires. Arman Shahbazi est journaliste au sein de la chaîne d’opposition iranienne Dorr TV. Réputé pour ses enquêtes extrêmement documentées, il connaît parfaitement la manière avec laquelle opèrent les agents au service de Téhéran : « La République islamique d’Iran exploite le système judiciaire français pour mener une guerre d’usure contre ses adversaires. En orchestrant des plaintes souvent fondées sur de fausses accusations, elle entend les plonger dans une spirale d’épuisement psychologique et financière. » Peu importe que les sbires à la solde des mollahs finissent par perdre leurs procès. La procédure les épuise.
Pour appuyer son « axe de la résistance » et relayer ses attaques, le régime iranien mobilise des journalistes blogueurs, de faux opposants et des animateurs de portails d’information prétendument indépendants, souvent reliés aux organes officiels de Téhéran. Leur schéma est rodé : fabriquer une fausse information, puis la diffuser par le biais d’un ou plusieurs sites internet. À partir de là, de faux comptes X ou Instagram, manipulés par la cyberarmée de la force Al-Qods, partagent massivement cette « révélation journalistique ». Arman Shahbazi alerte : « Des milliers de bots et de faux comptes sont créés pour donner une illusion d’adhésion massive. Ce phénomène, appelé “astroturfing”, donne l’impression d’un consensus populaire. Le but est aussi que des journalistes et des personnalités politiques tombent dans le panneau de la fake news, et la relayent. »
Tous nos interlocuteurs, sans exception, nous ont expliqué que le régime des mollahs accroît d’autant plus sa guerre d’influence hors de ses frontières qu’il est considérablement affaibli : sur le plan intérieur par une forte contestation populaire, et à l’international en raison de ses revers à Gaza, au Liban et en Syrie. Et la France, terre de révolution qu’il considère comme étant encore très influente en Europe, demeure l’une de ses cibles prioritaires. Comme le dit Matthieu Ghadiri : « Alors que tout cela est désormais largement documenté, il est temps que la France et l’Europe cessent d’être naïves. »