L’ÉDITO DE LUC DE BAROCHEZ. La théocratie qui entend rayer Israël de la carte du monde est fragilisée et sa stratégie est dans une impasse.
Par Luc de Barochez
Israël a décapité le Hamas, après le Hezbollah. Et pourtant la guerre au Proche-Orient, qui vient d’entrer dans sa deuxième année, ne semble pas près de s’arrêter. La tentation est forte pour l’État hébreu de pousser son avantage afin d’affaiblir la République islamique d’Iran, en laquelle il voit, avec raison, une menace mortelle. L’affrontement peut-il conduire à la fin de la théocratie qui a identifié Israël comme l’État à rayer de la carte du monde ?
Le régime de Téhéran a enduré cette année les pires revers depuis que son fondateur, l’imam Khomeyni, avait dû accepter un armistice avec l’Irak de Saddam Hussein en 1988 – après huit ans de guerre, il avait eu l’impression de « boire une coupe de poison ». Son successeur, Khamenei, vient quant à lui d’en avaler plusieurs. Les plus amères pour lui furent la mort de Nasrallah, le chef du Hezbollah libanais, tué par Israël le 27 septembre, et celle de Sinouar, l’âme damnée du Hamas, abattu le 16 octobre dans la bande de Gaza.
Développée depuis plusieurs décennies, la stratégie de Téhéran consiste à assiéger Israël par procuration, en finançant et en armant un réseau de milices anti-israéliennes à travers la région. L’onde de choc du méga-pogrom islamiste du 7 octobre 2023 a fait dérailler ce plan. L’acte barbare, conçu par Sinouar comme l’étincelle d’une apocalypse censée engloutir l’État juif, a tourné un an plus tard à la déroute du Hamas, à la dégradation du Hezbollah et à l’affaiblissement de l’Iran. La conflagration est bien là, mais pas dans les termes que le « boucher de Khan Younès » imaginait.
Nouveau dilemme en vue
Les revers subis par ses affidés ont poussé l’Iran à descendre lui-même dans l’arène. À deux occasions, il a frappé directement Israël, les 13 avril et 1er octobre. Les salves de missiles furent puissantes et pourtant, chaque fois, les dégâts causés furent négligeables, grâce à l’efficacité de la défense antimissiles de Tsahal, renforcée par l’appui américain.
En s’exposant ainsi, la République islamique n’a fait qu’afficher sa faiblesse militaire, et donc sa vulnérabilité. La riposte annoncée par Israël, le jour où elle adviendra, va de nouveau la plonger dans un dilemme. Encaisser sans broncher serait humiliant ; tenter de répliquer pourrait manifester derechef son impuissance. Dans les deux cas, le parrain du prétendu « axe de résistance » anti-israélien verrait sa crédibilité entamée. Le régime lui-même est fragilisé, au moment où l’âge avancé de Khamenei (85 ans) laisse entrevoir une prochaine succession au sommet, un exercice périlleux dans une dictature.
L’affrontement, désormais direct, entre Israël et la République islamique devrait dessiller les yeux de ceux qui voient la question palestinienne comme la clé unique d’une solution de paix au Proche-Orient. Depuis un an, ce sont l’Iran et son hydre terroriste qui attisent les hostilités. Or, Téhéran se moque de l’avenir des Palestiniens ; il ne fait qu’instrumentaliser leur malheur pour se poser en leader du monde musulman. Le Hezbollah, de même, n’est en rien partisan d’une solution à deux États ; son objectif est l’éradication d’Israël. Idem pour le Hamas, qui n’a de cesse d’utiliser la population de Gaza comme bouclier humain.
L’approche du seuil nucléaire
Le cours des événements valide au moins sur un point la stratégie de Benyamin Netanyahou : le Premier ministre israélien s’alarme depuis des années de la dangerosité de l’Iran pour Israël, encore aggravée par son programme nucléaire militaire. Aidée par la Corée du Nord et sans doute aussi par la Russie (à laquelle elle livre des missiles et des drones pour frapper l’Ukraine), la République islamique est proche du seuil nucléaire. Certains dirigeants israéliens, grisés par les succès tactiques, souhaitent profiter de l’occasion pour frapper les installations nucléaires, pendant qu’il en est encore temps. Les plus ambitieux espèrent contribuer ainsi à faire chuter le régime.
Netanyahou lui-même, dans un message vidéo adressé directement au peuple iranien, vient d’exposer sa vision à demi-mot. « Lorsque l’Iran sera libre, et ce moment adviendra bien plus vite qu’on ne le pense, tout sera différent, a-t-il dit. Nos deux anciens peuples, juif et perse, seront finalement en paix. » La face du monde en serait assurément changée. Cependant, l’histoire récente du Proche-Orient – qu’on se souvienne de l’Irak et de la Libye – invite à la circonspection quant aux effets d’un changement de régime imposé de l’extérieur. Ce n’est que si le peuple iranien parvient à secouer lui-même le joug qu’il retrouvera vraiment la liberté.