« Guerre Israël-Iran : un nouveau coup dur pour l’économie iranienne, déjà fragilisée par les sanctions internationales »

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DÉCRYPTAGE – Si un fragile cessez-le-feu est entré en vigueur mardi, les frappes israéliennes durant les douze jours de conflit ont menacé de couper Téhéran de son indispensable manne pétrolière, alors que l’économie du pays est déjà dans la tourmente.

Par Enguerrand Armanet

Jusqu’où peut aller la résilience de l’économie iranienne ? Difficile à dire, alors que les cendres commencent tout juste à refroidir à Téhéran, après qu’un fragile cessez-le-feu est entré en vigueur mardi. Pendant les douze jours de ce conflit ouvert entre Israël et l’Iran, plusieurs sites de production pétrolière, des pipelines, des raffineries et des terminaux d’exportation ont été durement frappés, mettant en danger la principale ressource financière de la République islamique. « Ces actifs représentent des décennies d’investissement, ils sont les fondements de la survie économique du pays », souligne Sara Bazoobandi, chercheuse à l’Institut de sécurité de Kiel (Allemagne) et associée au German Institute for Global and Area Studies (GIGA).

L’économie iranienne, déjà mal en point, n’avait pas besoin de cela. Les prévisions de croissance du PIB pour cette année se sont effondrées à 0,3%, bien loin des 3,5% enregistrés l’an passé, selon le FMI. En particulier, le PIB nominal exprimé en dollars plonge. Il passera de 401 milliards de dollars en 2024 à 341 milliards en 2025, en raison de la chute vertigineuse du rial (-30% en dix ans). De quoi amplifier la crise du pouvoir d’achat dans un pays où les importations représentent plus de 10% du PIB, d’après la société d’assurance crédit Coface. « Mais les données officielles fournies par les autorités sont à prendre avec précaution », rappelle Michel Makinsky, directeur général de la société Ageromys international, une société de conseil sur l’Iran et le Moyen-Orient.

Si les chiffres du ministère iranien de l’Économie sont optimistes, « on estime en réalité qu’environ 40% de la population vit sous le seuil de pauvreté », assure Michel Makinsky. De même, le chômage officiel stagne autour de 7%, « mais les estimations indépendantes le situent plutôt entre 10 et 12%, avec une pointe à 40% pour les jeunes », poursuit l’expert.

Érosion du pouvoir d’achat

Du côté des prix, l’inflation iranienne explose depuis plusieurs années, et atteindra 43,3% en 2025. L’érosion continue du pouvoir d’achat est ainsi à la base de nombreux mouvements sociaux. « Le prix des denrées alimentaires de base, comme le lait, le poulet ou les fruits et légumes, augmente de façon notable. Outre certains mouvements spécifiques comme “Femme, Vie, Liberté”, les Iraniens parlent davantage de la hausse des prix de la nourriture que d’autre chose », observe Kevan Gafaïti, enseignant à Sciences Po et président de l’Institut des relations internationales et de géopolitique (IRIG). « Ces hausses peuvent atteindre 50% et même 100% sur les produits de première nécessité », appuie Michel Makinsky.

Pourtant, les ménages et les entreprises iraniennes croulent sous les subventions pour les produits de première nécessité, comme l’énergie. À tel point que toute mesure d’économie semble rapidement tuée dans l’œuf. « Toute réduction des subventions aux carburants contient la promesse d’un soulèvement de la population », estimait par exemple début 2024 l’expert iranien Bijan Khajehpour dans les pages du média Amwaj. Et ce, malgré un déficit budgétaire croissant, égal à 5,5% du PIB en 2025.

L’économie iranienne dans la tourmente

Source: Fonds Monétaire International
[Graphiques non reproduits ici]

  • Croissance du PIB réel (variation annuelle en pourcentage)

  • PIB, prix courants (milliards de dollars américains)

  • Taux d’inflation (variation annuelle en pourcentage)

  • Déficit des administrations publiques (pourcentage du PIB)

Un état des choses que les frappes israéliennes n’ont pas arrangé. « Il y a eu un net ralentissement de l’économie juste après les premières frappes mi-juin », observe Kevan Gafaïti. « Mais l’activité a tout de même repris assez vite », nuance-t-il. Plus inquiétant, les perturbations des transports et les interruptions potentielles des chaînes d’approvisionnement font craindre des risques de pénuries dans les jours ou semaines à venir, suggère de son côté Sara Bazoobandi. « La plupart des stations-service sont complètement fermées, ou bien rationnent sévèrement les approvisionnements, à seulement 10 ou 15 litres par client », décrit-elle.

Une pression supplémentaire qui s’ajoute à celle des sanctions internationales, venant des États-Unis et d’Europe, que subit le pays depuis plusieurs années. « La part de l’Iran dans les échanges mondiaux continue de se contracter, passant de 0,76% en 2008 à 0,32% en 2022 », notait la Direction générale du Trésor (DGT) en mai dernier. Les partenaires commerciaux de Téhéran se font en effet de plus en plus rares. « En 2004-2005, 80% des exportations étaient réparties entre 21 pays, contre seulement 7 pays en 2023-2024 », peut-on ainsi lire dans la note de la DGT. Face aux faiblesses structurelles de son commerce extérieur, l’Iran s’est donc accroché à ses exportations de pétrole vers la Chine, une manne qui représente quelque 10% de son PIB, créant une dépendance dangereuse envers un acheteur unique.

Contournement des sanctions

D’autant que cette importante source de revenus pourrait se tarir. Les États-Unis ont sanctionné en mai 2025 une troisième raffinerie chinoise, Hebei Xinhai Chemical Group, pour avoir acheté et facilité la livraison de centaines de millions de dollars de pétrole iranien. Depuis février, c’est la troisième fois que l’une de ces « teapot refinery » (« raffineries théières » en français, de petites raffineries indépendantes chinoises) est sanctionnée par Washington. Or ces raffineries jouent un rôle clé dans l’acheminement du pétrole iranien vers la Chine, via des réseaux complexes d’évitement des sanctions.

En frappant directement ces raffineries, on aurait pu penser que Washington cherchait à couper l’une des principales voies d’exportation pétrolière de l’Iran. C’était sans compter sur les revirements habituels du président américain. Mardi, peu après l’annonce par le président américain d’un cessez-le-feu entre Israël et l’Iran, celui-ci a finalement déclaré sur son réseau Truth Social que « la Chine [pouvait] désormais continuer à acheter du pétrole à l’Iran ».

Téhéran possède une véritable expérience de la gestion d’une économie sous pression et sous sanctions
Kevan Gafaïti, enseignant à Sciences Po et président de l’Institut des relations internationales et de géopolitique (IRIG)

Les risques pesant sur le pétrole iranien seraient-ils la goutte d’eau pour l’économie du pays ? « Cela fait des années qu’on annonce l’asphyxie imminente de l’économie iranienne, nuance Kevan Gafaïti. Téhéran possède une véritable expérience de la gestion d’une économie sous pression et sous sanctions. Il convient donc d’inviter à la prudence avant de prédire un effondrement du pays. » Cette expertise reconnue du… La rédaction vous conseille

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Le contournement d’embargo avait même valu aux fiscalistes de Téhéran d’être invités à Moscou, aux débuts du conflit en Ukraine, pour partager leurs « bons tuyaux » avec leurs homologues russes.

Autant de savoir-faire qui ne suffisent toutefois pas à expliquer l’apparente résilience de l’économie iranienne. « En réalité, la vie économique du pays répond à des mécanismes qui sont très loin de nos standards occidentaux, et que nous avons du mal à saisir », explique Michel Makinsky. Par exemple, comment évaluer le poids réel des « bonyads », ces fondations « caritatives » opaques, devenues le symbole de la collusion entre le secteur public et le privé ? Difficile d’y voir clair, car ces « fondations pieuses » ne publient pas leurs comptes, perpétuant ainsi une opacité structurelle qui caractérise de larges pans de l’économie iranienne.