Alors qu’Israël, sous pression internationale, débloque progressivement l’aide humanitaire dans la bande de Gaza, Tamir Hayman, ancien général israélien, spécialiste du renseignement militaire, livre, sans tabou, ses impressions sur la guerre au Moyen-Orient.
Par Ronan Tésorière et Ariane Riou
Tamir Hayman a troqué son uniforme de général de division de Tsahal pour un costume anthracite élégant : celui du directeur exécutif de l’Institut d’études de sécurité nationale (INSS). L’Israélien vient de prendre son poste à la tête de ce think tank prestigieux affilié à l’université de Tel-Aviv. Ce groupe de réflexion mène des recherches et des analyses sur les questions de sécurité nationale israélienne et les affaires militaires et stratégiques. « Nous sommes indépendants et nous y tenons », martèle Tamir Hayman. Avant de nuancer : « Nous ne sommes pas politiques. Mais comme en Israël, tout est politique, nous sommes décrits par ceux qui nous critiquent comme de gauche. »
Lundi dernier, le directeur exécutif a livré pendant 1h30 ses analyses devant un parterre de journalistes français, dans les locaux de la fondation Jean-Jaurès, à Paris. L’ancien chef de la direction du renseignement militaire israélien (Aman) s’est épanché sur les réalités et les conséquences de la guerre menée par le gouvernement de Benyamin Netanyahou au Moyen-Orient. Et a décrypté, sans langue de bois, les nouveaux enjeux d’Israël dans une région en pleine recomposition stratégique.
À Gaza, les morts civils « gênent tout le monde en Israël »
Sur la guerre menée à Gaza par Israël depuis les attentats du 7 octobre 2023, l’officier de réserve se montre hostile à la politique de fuite en avant du gouvernement de Benyamin Netanyahou dans l’enclave. Plus de 52 000 Gazaouis, selon les chiffres du Hamas, auraient péri depuis le début de la guerre. Les bombardements se poursuivent. Sous pression internationale, l’armée israélienne reprend timidement l’aide humanitaire, bloquée depuis le 2 mars.
Interrogé sur les milliers de morts civils, Tamir Hayman s’émeut : « C’est une tragédie, c’est douloureux. Cela nous gêne tous en Israël. »
« Cette guerre n’est pas une guerre contre les Palestiniens, ou contre l’Autorité palestinienne. Nous luttons contre le Hamas, notre ennemi principal, contre l’Iran et l’axe chiite. » L’expert assure qu’il ne s’agit pas d’une « politique concertée ». « Elle fera l’objet d’enquête. » Il nuance : « Dans cette guerre, il n’y a rien de blanc ou de noir. Aujourd’hui, le Hamas se fond dans la population. Il se cache dans les hôpitaux, dans les tentes. Il ne revêt pas l’uniforme. »
Tamir Hayman a dirigé l’armée israélienne sur le front nord du pays, à la frontière libanaise. Bien informé, le chef de la direction du renseignement de Tsahal entre 2018 à 2021 évoque les objectifs différents de l’armée et ceux de la coalition de Netanyahou : « L’armée israélienne a toujours voulu libérer les otages en premier, éliminer la capacité militaire et de gouvernement du Hamas en deuxième ». Selon lui, le gouvernement israélien cherche à faire l’inverse.
Le Hamas compterait entre 16 et 19 000 pertes sur le terrain. Tous les commandants dont Mohammed Sinouar, le chef présumé du Hamas à Gaza, qui avait remplacé son frère Yahya Sinouar, tué lui en octobre 2024. « Sur le plan militaire, c’est presque fini. Mais le gouvernement veut une soumission et l’exil de ceux qui restent, c’est impossible. C’est un scénario de guerre interminable, critique ce fin connaisseur du conflit. Éliminer le Hamas, c’est démagogique de dire cela ! »
En Iran, la possibilité d’une attaque israélienne « forte »
Pour l’institut d’études stratégiques que Tamir Hayman dirige, l’Iran est la principale menace de la région. Le directeur exécutif estime le régime des mollahs affaibli par les défaites de ses alliés au Liban et en Syrie. « Le seul objectif iranien aujourd’hui, c’est de maintenir le régime. Devenir une puissance nucléaire est moins important pour les mollahs que de rester au pouvoir », explique-t-il. L’ancien chef d’Aman confirme : les services israéliens ont infiltré en profondeur les hautes sphères de Téhéran. Selon lui, la possibilité d’une attaque israélienne est « forte ». Reste la question cruciale du nucléaire. Selon le président américain Donald Trump, un accord est sur le point d’être conclu. « Il faudrait d’abord se demander comment peser sur les dirigeants iraniens » d’ici le 18 octobre, juge Tamir Hayman. Ce jour-là marque la date limite pour le Conseil de sécurité de l’ONU de résilier ou prolonger sa résolution mettant en œuvre les sanctions contre l’Iran.
Le président de transition syrien, un « loup déguisé en brebis »
En Syrie, le gouvernement de Bachar al-Assad est tombé en décembre. Depuis, un gouvernement de transition dirige le pays. À sa tête : Ahmed Al-Chareh, le chef du groupe Hayat Tahrir al-Cham (HTS) à l’origine de la chute du précédent régime. Tamir Hayman s’en méfie : « Il a rasé quelques barbes, mit un costume… Mais les personnes arabes autour de nous le décrivent comme un loup déguisé en brebis. Il est malin, pragmatique mais il redeviendra djihadiste. »
Donald Trump, le président américain, vient de lever les sanctions contre Damas. « Trop vite, trop brouillon », selon l’Israélien. « Nous ne savons pas de quel côté va se tourner ce régime. Depuis le 7 octobre, nous sommes plus méfiants. Il y a des signes positifs pour aller vers la paix, mais lentement. »
Les relations avec les États-Unis se « délient »
Depuis son retour à la Maison-Blanche en janvier, Donald Trump discute régulièrement avec Benyamin Netanyahou. Mais lors d’une tournée dans le Golfe de Donald Trump mi-mai, les États-Unis ont négocié avec le Hamas la libération d’un otage américain et un cessez-le-feu avec les Houthis, sans tenir compte d’Israël. Tamir Hayman s’alarme : « En tant qu’institut, nous estimons que les relations avec les États-Unis sont en grand danger. Les liens profonds entre les deux sociétés se délient. On s’éloigne des valeurs, on ne reste qu’avec des intérêts. »
Pour le directeur de l’INSS, Israël doit renforcer ses liens avec l’Europe, « plus proche que jamais » de l’État hébreu « sur le plan scientifique, culturel, économique, commercial »