Le président a beau affirmer que la France pourrait reconnaître l’État de Palestine dès le mois de juin, les préalables à la création d’un tel État sont loin d’être réunis.
Par Luc de Barochez
Le général de Gaulle volait vers le Proche-Orient avec des idées simples ; Emmanuel Macron, lui, en revient avec des idées hasardeuses. Dans l’avion qui le ramenait d’Égypte mercredi, le président de la République a, pour la première fois, énoncé une échéance possible pour la reconnaissance par la France de l’État de Palestine. Il l’envisage au mois de juin, a-t-il dit à France 5.
Le président s’avance, car cette date reste très hypothétique. Reconnaître un État qui n’existe qu’à l’état embryonnaire, pourquoi pas ? Près de 150 pays ont déjà franchi le pas, sans attendre la France. Les derniers en date, il y a moins d’un an, furent l’Espagne, la Norvège, l’Irlande et la Slovénie. Mais pour que la démarche soit utile, encore faudrait-il qu’elle serve à pacifier la région. C’est là que le bât blesse.
Gaza dans le giron du Hamas, l’Autorité palestinienne discréditée
Sur le terrain, le Hamas reste la puissance dominante à Gaza, malgré 18 mois d’assauts israéliens, tandis que l’Autorité palestinienne, qui gouverne l’autre partie du potentiel État, la Cisjordanie, est discréditée et impotente. Un État palestinien, s’il voyait le jour aujourd’hui, risquerait donc fort d’être un foyer de terrorisme et de déstabilisation, dans une région qui n’a pas besoin de ça. Les Israéliens, encore traumatisés par les massacres épouvantables perpétrés sur leur territoire, le 7 octobre 2023, par le Hamas, le savent mieux que quiconque.
Pourtant, Emmanuel Macron a raison de penser que pour mettre fin au statu quo et aux violences incessantes, la séparation étatique entre Palestiniens et Israéliens est la moins mauvaise des solutions. Toutes les alternatives connues sont inacceptables : nettoyage ethnique et expulsion des Palestiniens (ambition de l’extrême droite israélienne, encouragée aujourd’hui par une partie de l’administration de Donald Trump) ; destruction de l’État d’Israël (solution prônée par l’Iran et les mouvements islamistes) ; création d’un seul État démocratique israélo-palestinien (idée avancée par de doux rêveurs), etc.
Pour que le projet d’État palestinien puisse servir la cause de la paix, cependant, il y a certains préalables indispensables qui ne sont pas réunis aujourd’hui. Il faudrait d’abord que le Hamas accepte de renoncer non seulement au pouvoir, mais aussi à son armement, et que les Palestiniens se dotent d’une direction politique à la fois crédible et acceptable par Israël. C’est un casse-tête.
En outre, il serait essentiel de convaincre une majorité des deux populations concernées, les Israéliens et les Palestiniens, du bien-fondé de la solution. On en est très loin. Un sondage réalisé conjointement l’an dernier par le Centre palestinien d’études politiques (PCR) de Ramallah et l’université de Tel-Aviv indique que les partisans d’une solution à deux États sont toujours minoritaires côté palestinien (40 %, même si la proportion est en hausse de 7 points par rapport à 2022) et qu’ils sont encore plus minoritaires parmi les Israéliens juifs (20 %, en chute de 13 points après les pogroms du 7 Octobre).
Sans « dynamique collective », la France pourrait s’abstenir
Le président de la République est conscient des difficultés, et c’est pour cela qu’il a assorti sa déclaration de conditions qui la relativisent, même si elles restent floues. Il a souhaité qu’une reconnaissance française de l’État de Palestine s’inscrive dans une « dynamique collective » au Proche-Orient et « un mouvement de reconnaissance réciproque par plusieurs ». Une manière de dire que sans cette « dynamique collective », la France pourrait s’abstenir.
Macron compte implicitement sur le projet de l’Arabie saoudite de reconnaître l’État d’Israël, projet que Riyad fait dépendre de conditions impératives : un cessez-le-feu à Gaza bien sûr, mais aussi, et surtout, un engagement des autorités de Jérusalem d’accepter la création d’un État palestinien. On peine à imaginer que le gouvernement de Benyamin Netanyahou puisse accepter de prendre un tel engagement de manière crédible dans les mois qui viennent.
Si Emmanuel Macron a évoqué l’échéance du mois de juin, c’est parce que l’Arabie saoudite et la France essayent de mettre sur pied à cette date une grande conférence internationale qui se tiendrait à New York, avec la bénédiction de l’ONU, pour relancer l’idée d’une solution à deux États. D’ici là, Donald Trump se rendra dans la région – il est attendu au mois de mai en Arabie saoudite. Les dirigeants égyptiens et jordaniens, que le président de la République a rencontrés au Caire, sont très inquiets des ambitions trumpiennes d’expulsion des Palestiniens de Gaza, car un mouvement massif de population pourrait contribuer à déstabiliser leurs régimes.
L’ambition d’Emmanuel Macron est de faire reconnaître non seulement la légitimité de l’aspiration des Palestiniens à un État, mais aussi la légitimité des besoins de sécurité d’Israël et de favoriser l’intégration de l’État juif dans la région. La tâche est noble mais elle s’apparente aujourd’hui, plus que jamais, à la quadrature du cercle.