En Syrie, la ruée diplomatique occidentale

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En Syrie, la ruée diplomatique occidentale

DÉCRYPTAGE Les capitales occidentales renouent avec la Syrie, espérant accompagner le nouveau pouvoir sur la voie d’une délicate transition. Elles aimeraient notamment que les autorités rompent avec l’Iran et la Russie.

Par Isabelle Lasserre

La ruée vers Damas a commencé. Après une phase de sidération consécutive à la chute brutale du dictateur Bachar el-Assad, les diplomaties occidentales se pressent dans la capitale syrienne pour nouer un premier contact avec le nouveau pouvoir islamiste. Les États-Unis, l’Union européenne qui avait rompu ses relations diplomatiques avec le régime en 2011, le Royaume-Uni ont renoué avec Damas ou envoyé une délégation sur place. Parmi eux, quatre diplomates français. Un émissaire de l’ONU a aussi pris le chemin de la Syrie pour se réjouir du « plein accès humanitaire » permis par le régime aux passages frontaliers. Dans la région, le Qatar et la Turquie ont aussi rouvert des ambassades.

L’objectif est d’aider la nouvelle Syrie, débarrassée de son bourreau, à mener sa transition. D’encourager les autorités à mettre en place un gouvernement inclusif, c’est-à-dire représentatif des différentes forces politiques et religieuses, qui assure la protection des minorités. Et de veiller à ce que le pays, ravagé par les guerres et la dictature, ne sombre pas à nouveau dans le chaos.

Les craintes sont multiples. Même si son chef al-Joulani s’efforce de projeter une image modérée, le mouvement Hayat Tahrir al-Cham (HTC) est toujours inscrit sur la liste des groupes terroristes de l’UE et des États-Unis. En Europe, si on se félicite de la chute de Bachar el-Assad, on s’inquiète d’une éventuelle recrudescence de l’État islamique. Les chancelleries occidentales veulent s’assurer que le nouveau pouvoir s’engage à lutter contre les groupes terroristes.

Elles aimeraient aussi que les autorités rompent avec l’Iran et la Russie, les deux parrains de l’ancien dictateur syrien et principaux perturbateurs de l’ordre international. Les guerres en Libye et en Afghanistan avaient créé un vide que les Occidentaux n’avaient pas su combler. Aujourd’hui ils agissent vite dans l’espoir de faciliter la stabilisation du pays. Mais ils n’ont pas encore levé les sanctions, imposées en 2011 en réponse à la violente répression des manifestations par le régime.

Retour de la France

C’est sans doute pour la France que le retour de la Syrie sur la scène internationale a la plus grande valeur symbolique en Europe. Si Damas accueillait régulièrement des élus du Rassemblement national ou de La France insoumise, notamment Thierry Mariani, grand habitué des salons de Bachar el-Assad, aucune mission diplomatique ne s’était rendue dans la capitale syrienne depuis douze ans. De tous les pays européens, la France, ancienne puissance mandataire, avait la position la plus dure envers l’ancien régime. Laurent Fabius avait exclu toute relation avec le pouvoir syrien tant qu’el- Assad serait au pouvoir. « Bachar ne peut être le futur de la Syrie », disait-il.

Même débarrassée de Bachar el-Assad, la Syrie, tant de puissances autocrates et révisionnistes sont engagées, reste un baril de poudre

L’ancien ministre des Affaires étrangères n’a jamais digéré le lâchage de Barack Obama, qui avait fait capoter une intervention militaire montée par Paris, Londres et Washington contre le régime syrien après un massacre chimique près de Damas. Les dirigeants français de l’époque restent persuadés que le mépris de cette ligne rouge a encouragé Vladimir Poutine à annexer la Crimée et à attaquer l’Ukraine.

Mais les paris ne sont pas encore gagnés. Même débarrassée de Bachar el-Assad, la Syrie, où tant de puissances autocrates et révisionnistes sont engagées, reste un baril de poudre. La chute de Bachar el-Assad est aussi une opportunité pour les acteurs régionaux, qui seront tentés de pousser leurs pions et leurs intérêts. La Turquie pourrait vouloir instaurer une zone de sécurité pour repousser les forces kurdes dans le Nord-Est.

«L’Europe n’a guère de leviers»

Israël bombarde les installations militaires syriennes pour éviter qu’elles ne tombent entre des mains djihadistes. La Russie n’a pas dit son dernier mot et tente de négocier le maintien de ses bases militaires en Syrie. « L’histoire n’est peut-être pas finie. Personne n’a d’espoir sur le nouveau régime syrien, issu d’al-Qaida. Le 7 Octobre nous a appris une chose : ne jamais prendre pour comptant les leçons de la paix apparente », commente un diplomate israélien, à l’occasion du dialogue stratégique entre Israël et l’Europe organisé par l’ONG Elnet.

L’Europe n’a guère de leviers aujourd’hui en Syrie. Elle peut avoir un rôle humanitaire et un rôle économique. Mais ce n’est pas elle qui peut mener la danse parmi les chacals et les loups. Quant à l’impulsion diplomatique, elle vient désormais, dans la région, plutôt des pays du Golfe.

Autre limite pour les capitales européennes qui voudraient projeter leur influence dans la Syrie nouvelle, qui reste une zone d’interconnexion de plusieurs conflits : la région et l’époque donnent toujours l’avantage aux rapports de force et à la projection de puissance, au détriment de la diplomatie et du soft power. « L’Europe n’a guère de leviers aujourd’hui en Syrie. Elle peut avoir un rôle humanitaire et un rôle économique. Mais ce n’est pas elle qui peut mener la danse parmi les chacals et les loups. Quant à l’impulsion diplomatique, elle vient désormais, dans la région, plutôt des pays du Golfe », analyse, en marge du dialogue stratégique d’Elnet, un diplomate britannique.