En Iran, un nouveau pragmatisme face à Trump

Share on facebook
Share on twitter
Share on linkedin
Share on print
Share on email

Plusieurs dirigeants de la République islamique se sont récemment prononcés en faveur denégociations avec les Etats-Unis pour obtenir une levée des sanctions.

 

Pendant des années, un drapeau américain était peint sur le sol à l’entrée du palais présidentiel de

Téhéran, obligeant les visiteurs à le piétiner en signe d’humiliation symbolique du grand ennemi de la République islamique. Mi-janvier, à quelques jours de l’investiture du nouveau président américain Donald Trump, plusieurs médias iraniens ont rapporté, photo à l’appui, que ce drapeau avait été retiré, sans qu’aucune explication officielle ne soit donnée. Cette décision, survenant alors que de plus en plus de responsables iraniens appellent à des négociations directes avec les États-Unis pour obtenir une levée des sanctions, marque un possible tournant dans la diplomatie de Téhéran.

Mi-janvier, le président Massoud Pezeshkian a confirmé dans une interview à la chaîne américaine NBC que Téhéran était « en principe » disposé à engager des discussions avec Washington. Au même moment, Mohammad Javad Zarif, vice-président chargé des affaires stratégiques, a tenté de dédramatiser l’idée de négociations directes avec Donald Trump, l’architecte de la politique de   « pression maximale » contre l’Iran et l’homme qui avait ordonné l’assassinat, en Irak, du général iranien Ghassem Soleimani, chef de la force Al-Qods, les forces spéciales des gardiens de la révolution, en 2020. « Nous avons déjà négocié avec Saddam Hussein dans le passé [pour mettre fin à la guerre Iran-Irak]. Aujourd’hui, Donald Trump est devenu suffisamment sage pour abandonner sa politique de pression maximale », a déclaré Mohammad Javad Zarif lors d’un entretien avec un site iranien. Le 14 janvier, Ali Abdolalizadeh, représentant présidentiel pour l’économie maritime, a affirmé que Téhéran « en est arrivé à la conclusion qu’il faut parler directement avec les responsables américains, sans intermédiaires ni messages indirects ».

Malgré les objections des plus conservateurs (certains titres de presse et des hommes politiques), la plus grande autorité du pays, Ali Khamenei, semble désormais ne pas s’opposer à des négociations avec les Etats-Unis. S’adressant à un rassemblement de représentants de l’Etat et d’ambassadeurs de pays musulmans à Téhéran, le 28 janvier, il a déclaré que « derrière les sourires diplomatiques, il y a des animosités et des rancunes cachées ». Dans ce qui a été largement interprété comme une approbation implicite des négociations avec Donald Trump, Ali Khamenei a ajouté : « Quand on connaît son interlocuteur, on peut conclure un accord en toute connaissance de cause. Nous devons comprendre et connaître l’autre partie. »

Tout en réitérant sa méfiance envers les Occidentaux, le Guide suprême avait déjà accepté en 2015 la conclusion de l’accord sur le nucléaire, qualifiant cette décision de « flexibilité héroïque ». Le « deal » est devenu caduc après le retrait unilatéral de Washington sous le premier mandat de Donald Trump, en 2018, entraînant le retour des sanctions qui étranglent depuis l’économie iranienne, déjà bien affectée par des années de mauvaise gestion et par une corruption endémique.

Une des pires crises du pays

« La disparition du drapeau américain à l’entrée du palais présidentiel et les déclarations en faveur des négociations sont significatives, explique une source proche du pouvoir à Téhéran qui préfère rester anonyme. Dans l’entourage du Guide et au sein des gardiens de la révolution [l’armée idéologique du pays], des pragmatiques se mobilisent pour faire comprendre qu’il faut désormais négocier, sous peine d’aller droit dans le mur. »

La République islamique traverse l’une des pires crises de son histoire depuis la guerre Iran-Irak

(1980-1988). Ses échecs stratégiques se multiplient : l’affaiblissement de ses soutiens au sein de « l’axe de la résistance » depuis le 7 octobre 2023, la perte d’influence du Hamas palestinien et du Hezbollah libanais, la chute de Bachar Al-Assad en décembre 2024, ainsi que deux frappes israéliennes en Iran en 2024 ayant gravement endommagé ses capacités militaires. « En plus de cette reconfiguration régionale défavorable, les caisses sont vides, poursuit la même source. La Chine, principal acheteur de pétrole iranien, achetait encore 2 millions de barils par jour avant la réélection de Donald Trump ; elle n’en achète plus que 1,5 million aujourd’hui, et cette baisse va continuer. »

Dans la vie quotidienne des Iraniens, le sentiment d’abandon domine. L’été dernier, le pays a subi de longues et fréquentes coupures d’électricité. Depuis l’automne, la pénurie de gaz paralyse à la fois les foyers et l’industrie. La monnaie nationale, le rial, s’effondre inexorablement – elle a perdu 45 % de sa valeur au cours de la dernière année. « La vraie question est désormais de savoir si ces voix pragmatiques réussiront à se faire entendre et à ramener le régime à la raison, alors qu’il a très peu de cartes entre les mains », conclut la même source.