FIGAROVOX/TRIBUNE – En 1924, le chérif Hussein, roi du Hijaz, fut plébiscité calife par les Jordaniens et les Irakiens. C’est le drapeau de ce même califat qui est devenu en 1947 celui de la Palestine, expliquent l’historienne Lina Murr Nehmé et l’analyste géopolitique Michel Fayad.
Par Lina Murr Nehmé et Michel Fayad
« En France, ce même drapeau est utilisé pour attaquer les policiers, et il commence même à être imposé aux maires. »
Abdul Saboor / REUTERS
Palestine
Lina Murr Nehmé est historienne et islamologue. Elle a notamment publié L’islamisme et les femmes – meurtre de Sarah Halimi, princesses saoudiennes séquestrées et autres scandales passés sous silence (Salvator, 2017) et Quand les Anglais livraient le Levant à l’État islamique : or, corruption et politique étrangère britannique (Salvator, 2016).
Michel Fayad est analyste politique et géopolitique.
L’idée d’un calife arabe descendant de Mahomet avait été lancée depuis 1883 par des islamistes que révulsaient les réformes d’Istanbul. Pour eux, il était inacceptable d’abolir le statut inférieur des dhimmis (chrétiens, juifs et zoroastriens) obligés de payer une amende religieuse appelée jizya. Ils appelaient à remplacer ce Turc qui avait humanisé la loi, par un calife arabe descendant de Mahomet et qui rétablirait la charia pure et dure.
Le prétendant le plus évident était le gouverneur de La Mecque. Il descendait de Mahomet, et il régissait la capitale religieuse de l’islam. C’est lui qui, durant le pèlerinage, prononçait le long sermon que les pèlerins avaient le devoir d’écouter.
En 1914, les Anglais lui proposèrent de se retourner contre ses maîtres turcs. Ils lui offrirent plus d’or qu’eux, et proposèrent de reconnaître un califat arabe. Mais un califat qui ne régit ni terres ni populations n’est qu’un titre. Hussein exigea le Levant, l’Irak, une partie de la Turquie actuelle et l’essentiel de la Péninsule Arabique. Les Anglais négocièrent ces territoires en déversant l’or et les armes sur le chérif Hussein.
Les événements qu’acheta cet or ont été trop lourds de conséquences pour que nous puissions les résumer dans un article. Nous renvoyons le lecteur au livre qu’y a consacré Lina Murr Nehmé : Quand les Anglais livraient le Levant à l’État islamique : or, corruption et politique étrangère britannique.
Le chérif Hussein déclencha la révolte arabe dans un esprit raciste et suprémaciste. Dans l’appel au djihad qu’il lança en 1916, il accusa les Turcs d’avoir commis des actes de tyrannie « sans distinguer leurs musulmans de leurs dhimmis [les chrétiens, juifs et zoroastriens] ». En d’autres termes, la tyrannie était tolérable si elle frappait les non-musulmans, à condition qu’elle épargne les musulmans.
Quand, en 1924, le chérif Hussein fut plébiscité calife, son drapeau devint celui du califat.
La Grande-Bretagne ne pouvait soutenir un candidat suprémaciste à la place du calife qui avait aboli le suprématisme. Ces mots fatidiques furent donc censurés dans la traduction anglaise.
Les Anglais encadrèrent la révolte arabe et dessinèrent même son drapeau. L’officier britannique Sykes suggéra à ses chefs de la doter d’un drapeau distinct de celui du chérif Hussein, avec des couleurs « représentant les dynasties arabes : noir, couleur des Abbassides ; blanc, couleur des Omeyyades ; vert, couleur des Alides ; et rouge, couleur du chérif [Hussein] et de la plupart des chefs de la trêve. » Il dessina quatre modèles de drapeaux, et le quatrième fut adopté, presque tel quel, par le chérif Hussein.
En 1920, ce dernier décida de donner au Hijaz un drapeau presque identique, en intervertissant simplement les couleurs. Quand, en 1924, il fut plébiscité calife, son drapeau devint celui du califat. Personne ne lui succéda, car les Anglais entretenaient une bonne relation avec les Saoudiens et ne voulaient pas leur susciter de rival. Ils s’étaient beaucoup plaints des fils du chérif Hussein, rois de Jordanie et d’Irak, et ils savaient que ces deux avaient pour projet de réaliser le grand royaume promis à leur père.
Un troisième caressait le même projet : le mufti de Jérusalem Hajj Amine Husseini. Et il avait bien plus de chances de le réaliser, car il était le musulman le plus influent du monde. Quand éclata la Deuxième Guerre mondiale, les Italiens et les Allemands lui demandèrent de les aider en appelant les musulmans au djihad contre les Alliés.
En 1941, le mufti consentit à collaborer, à condition que les Allemands et les Italiens lui donnent des sommes astronomiques, et qu’ils reconnaissent « un État arabe unifié comprenant les pays suivants : Irak, Syrie, Liban, Palestine, Transjordanie ». En d’autres termes, ils devaient reconnaître les conquêtes militaires qu’il pourrait faire de ces pays.
Ses conditions furent acceptées, et il devint officier supérieur dans l’armée nazie, fondant un contingent musulman SS et lançant sur Radio-Berlin des appels incendiaires au djihad vers les musulmans d’Égypte et d’Afrique du Nord.
L’OLP imposa aux Palestiniens le drapeau du chérif Hussein
Sous ce drapeau, ses chefs firent régner la terreur dans les camps palestiniens.
Si l’Axe avait gagné la guerre, cette collaboration se serait probablement poursuivie, et Hajj Amine aurait régné sur un royaume allant des frontières de l’Iran jusqu’à la mer Rouge. Il se serait fait plébisciter calife, et grâce à son verbe qui galvanisait les foules, il aurait su agrandir son domaine après avoir semé la zizanie chez ses adversaires.
Mais Hitler perdit, et Hajj Amine se retrouva en prison. Il fut le plus important criminel nazi à échapper au tribunal de Nuremberg, et revint appeler à la guerre contre les juifs.
En 1947, il poussa les Arabes à attaquer Israël. Cinq pays participèrent à cette guerre parce qu’ils avaient des frontières limitrophes. Parmi eux, le Liban. Majoritairement chrétien, il refusait l’idée de djihad islamique, mais les Arabes lui imposèrent cette guerre de facto en utilisant ses terres, car ses montagnes étaient des forteresses naturelles qui dominaient les plaines de Galilée.
Ils voulaient que l’armée libanaise envahisse le nord de la Palestine jusqu’à Acre et Haïfa. Mais le président de la République libanaise et le commandant en chef de l’armée déclarèrent que l’armée libanaise était défensive et non offensive.
En outre, cette guerre se faisait spécifiquement contre « les juifs » et non contre « les Israéliens ». Et le Liban n’avait aucune intolérance envers les juifs qui, chez lui, pouvaient accéder aux mêmes positions que les autres minorités.
Le Parlement libanais, députés chrétiens et musulmans confondus, entérina donc la décision du Président et du chef de l’armée, et le Liban ne se battit pas contre Israël. Pour ne pas être lui-même attaqué militairement par les Arabes qui le traitaient de traîtres, il s’empara de la position de Malikiya, village inhabité, et se livra à un barrage d’artillerie qui fut surtout un baroud d’honneur. Plus tard, il signa un armistice avec Israël.
Dans cette guerre déclenchée contre une communauté religieuse et non contre un État, il n’y avait aucune place pour le nationalisme palestinien. Le seul nationalisme admis était panislamique. L’armée était appelée « Armée du Saint Djihad (Jaych al-Jihad al-Mouqaddas) », et elle comprenait beaucoup de djihadistes venus d’ailleurs pour se joindre aux djihadistes palestiniens que suscitaient depuis des décennies les prédications d’Hajj Amine et de ses partisans.
On retrouve cet idéal panislamique dans la charte du Hamas :
« La Palestine est une terre islamique, bien religieux inaliénable pour toutes les générations de musulmans jusqu’au jour de la Résurrection… Tel est son statut selon la charia islamique, statut identique à celui de toute terre conquise par les musulmans de vive force. »
Puisque la Palestine était une terre simplement islamique et arabe, elle n’appartenait pas aux Palestiniens plus qu’à n’importe qui d’autre. En 1948, l’Égypte occupa donc la bande de Gaza, et la Jordanie annexa carrément la Cisjordanie et Jérusalem Est.
Le mufti de Jérusalem avait perdu son aura en perdant la guerre, et dorénavant, les chefs les plus puissants des États arabes furent ceux qui décidèrent du sort des Palestiniens. Ils les privèrent du droit de choisir leurs représentants, et mirent à leur tête une Organisation de Libération de la Palestine (OLP) désignée et contrôlée par le président égyptien Nasser.
Le drapeau du califat chérifien continuait à flotter sur les camps palestiniens au Liban, en Syrie, en Jordanie, en Cisjordanie et à Jérusalem Est, accompagné des mêmes cris de djihad qui jaillissaient de la même misère.
L’OLP imposa aux Palestiniens le drapeau du chérif Hussein, celui du califat. Sous ce drapeau, ses chefs firent régner la terreur dans les camps palestiniens, tout en se bourrant les poches de l’assistance humanitaire destinée aux réfugiés. En 1973, les Arabes interdirent aux Palestiniens de chercher à se libérer autrement que de la manière voulue par l’OLP.
Pendant tout ce temps, le drapeau du califat chérifien continuait à flotter sur les camps palestiniens au Liban, en Syrie, en Jordanie, en Cisjordanie et à Jérusalem Est, accompagné des mêmes cris de djihad qui jaillissaient de la même misère, et couvraient les mêmes crimes commis au nom de la douleur et de la révolte.
Parfois, les Palestiniens étaient victimes comme les Libanais ou les Jordaniens. Mais les médias étaient financés pour taire les crimes des chefs, et les victimes souffraient seules, surtout si elles étaient palestiniennes.
Ainsi, l’essentiel de la presse a tu les tortures commises par le Hamas dans l’enceinte de l’hôpital al-Shifa à Gaza. Certains Palestiniens ainsi torturés étaient morts sur place, et d’autres avaient été exécutés dans la rue pour donner une leçon aux habitants. Il a fallu un rapport d’Amnesty International pour crever le mur du silence.
Pour ces victimes, le drapeau de l’OLP et du Hamas était le pire symbole de tyrannie.
Et pourtant, en France, ce même drapeau est utilisé pour attaquer les policiers, et il commence même à être imposé aux maires. Durant les manifestations, on ne voit plus le drapeau français.
Le 10 septembre dernier, un retraité ayant remarqué cela dans des manifestations sociales théoriquement françaises, il descendit manifester avec son drapeau tricolore. Aussitôt, quelqu’un lui arracha, et sur les écrans de télévision, on ne vit plus, dans les rues françaises, que des drapeaux palestiniens.