La Jordanie et l’Égypte rejettent officiellement toute relocalisation des Palestiniens de Gaza, comme le préconise Donald Trump. Mais face à la pression américaine, leur marge de manœuvre est fragile et le risque de déstabilisation élevé.
Par Léo Aguesse
Ses mains sont crispées et ses yeux agités d’un tic nerveux extrême. Face à Donald Trump, dans le bureau Ovale de la Maison Blanche, le roi de Jordanie Abdallah II ne semble pas à son aise. Les journalistes l’interpellent à plusieurs reprises : le royaume hachémite est-il prêt à accueillir l’essentiel des habitants de la bande de Gaza dévastée ?
Devant les caméras, le souverain esquive les questions, se gardant bien d’aborder frontalement le plan largement décrié de développement immobilier de l’enclave côtière agité par le président américain.
L’entrevue terminée, Abdallah II réaffirme la position officielle des pays arabes, à savoir une « ferme opposition » au déplacement de la population palestinienne de Gaza et de Cisjordanie. Cette ligne directrice, également confirmée mardi par le président égyptien Abdel-Fattah al-Sissi puis saluée par le Hamas mercredi, n’effraie pas Donald Trump, lequel a prédit de « grands progrès » dans les discussions tant avec la Jordanie qu’avec l’Égypte, se disant persuadé « à 99 % » d’arriver à un compromis avec Le Caire pour placer le territoire palestinien « sous contrôle américain », sans expliquer de quelle manière.
« Trump y va franco quitte à violer les usages et les règles internationales, à forcer au transfert de population. C’est une nouvelle manière de gérer le monde, considéré comme une jungle, qui implique ici une vraie menace pour les régimes de la Jordanie et de l’Égypte », note Antoine Basbous, politologue associé chez Forward Global et directeur de l’Observatoire des pays arabes. Lundi, le président américain a menacé de couper les vannes financières, avant d’adopter le lendemain un ton plus conciliant. « Je pense qu’on est au-dessus de cela », s’est-il persuadé, indiquant compter sur le « bon cœur » de ses alliés arabes.
En dépit de leur fermeté affichée, Amman et Le Caire n’en demeurent pas moins conscients de leur vulnérabilité face aux États-Unis, bailleur principal qui leur fournit respectivement chaque année 1,4 et 1,3 milliard de dollars d’aide économique et militaire. « La suspension de ce soutien serait dramatique pour la Jordanie, qui ne dispose d’aucune ressource, ainsi que pour l’Égypte, en crise économique profonde », observe David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l’IRIS et spécialiste du Moyen-Orient.
Menace de déstabilisation
Le péril de ces deux nations n’est pas seulement économique, mais aussi sécuritaire. À la Maison Blanche, Abdallah II a insisté sur son engagement pour la « stabilité » et le « bien-être des Jordaniens », une allusion aux années de tensions voire d’affrontements armés qui, dans le contexte du conflit israélo-palestinien, ont marqué l’histoire du royaume jordanien dont la moitié des 11 millions d’habitants sont d’origine palestinienne depuis les exodes de 1948 et 1967.
« À court terme, une arrivée de Palestiniens aurait bien sûr des conséquences humanitaires, et à plus long terme des conséquences politiques, puisque cela risquerait de renforcer encore plus le déséquilibre démographique qui caractérise la Jordanie », estime Camille Abescat, spécialiste de la Jordanie et chercheuse post- doctorante à l’université Sant’Anna de Pise. Le royaume se souvient douloureusement du « Septembre noir », la guérilla palestinienne violemment réprimée par le pouvoir en 1970, qui avait fait des milliers de morts.
Pour le régime égyptien, les Palestiniens de Gaza représentent aussi une menace de déstabilisation. Le Hamas est issu du mouvement des Frères musulmans, né en Égypte où il demeure enraciné malgré la répression. Le Sinaï, où Trump entend construire de « magnifiques communautés » est un « véritable trou noir sécuritaire ou se déroule une guerre larvée depuis 20 ans », rappelle David Rigoulet-Roze.
Dans ce sens, les arrivants palestiniens seraient perçus comme « une force de déstabilisation, prompte à s’associer avec les Frères musulmans pour attaquer le régime égyptien », analyse Antoine Basbous.
Malgré cela, les gouvernements égyptiens et jordaniens sont-ils seulement en mesure de résister à la contrainte de Washington ? Abdallah II « doit trouver un moyen de dire non à Trump avec élégance et d’une manière qui ne porte pas fondamentalement atteinte à ses relations bilatérales », a expliqué Aaron David Miller, ancien négociateur du département d’État Américain, au Washington Post. Le royaume hachémite dispose de plusieurs leviers, comme la présence d’intérêts militaires américains sur son sol. D’après Jean- Paul Ghoneim, ex-diplomate en Jordanie, Amman pourrait aussi, comme l’Égypte, « compenser un arrêt des aides américaines en faisant appel aux pays du Golfe comme l’Arabie saoudite, les Émirats ou le Qatar ».