DÉCRYPTAGE – Donald Trump a laissé planer le doute sur une intervention américaine ce mercredi. En attendant, les options sont sur la table.
Par Nicolas Barotte
D’abord, intimider. Pour faire pression sur l’Iran, les États-Unis alertaient depuis longtemps sur leurs capacités militaires. Au printemps, le déploiement de B2 sur la base britannique de Diego Garcia, dans l’océan Indien, avait envoyé un premier signal : ces bombardiers sont les seuls à pouvoir emporter la bombe GBU-57, la seule assez puissante pour atteindre les infrastructures du programme nucléaire enfouies dans le granit sur le site de Fordo. Le message était censé convaincre Téhéran de négocier. Après avoir médiatisé leur présence, les avions sont repartis. Mais la menace n’a pas disparu. « Les B2 peuvent décoller de n’importe où. Ils ont déjà fait des missions de deux jours de vol », raconte un expert de la puissance aérospatiale.
Tout semblait prêt mercredi pour une opération américaine contre l’Iran, si le président Donald Trump la décidait. Le milliardaire a réclamé la « capitulation » de Téhéran. L’ambassadeur d’Israël aux États-Unis a annoncé des « surprises » dans la nuit de jeudi à vendredi. « C’est du teasing », soupire, dans un mélange de gêne et d’inquiétude, une source militaire française. Les États-Unis « pratiquent la bascule de forces », ajoute-t-on en décrivant une nouvelle approche, moins statique, des moyens militaires américains. Un engagement contre l’Iran n’avait cependant rien de sûr mercredi : l’Administration américaine est divisée.
Les conséquences pourraient échapper à tout contrôle. Même affaiblis, les Iraniens pourraient être tentés de s’en prendre aux emprises américaines dans la région et déclencher ainsi une escalade. « Pour l’instant, il y a une énorme partie de bluff, explique Maïlys Mangin, spécialiste du nucléaire iranien à l’ENS. Une opération militaire aurait des conséquences préjudiciables sur tout processus diplomatique. »
Mouvements de tankers
En attendant, les options sont sur la table. « Les mouvements des tankers américains et des escadrons de chasse suggèrent que l’armée de l’air prépositionne des moyens pour rendre possible des frappes », confirme l’expert des questions militaires Justin Bronk, chercheur au think-tank RUSI. Pour effectuer leur raid, les avions pourront ainsi être ravitaillés en vol. Il s’agit de la seule capacité réellement essentielle.
Les vols de plusieurs tankers ont été suivis de près ces derniers jours. Ils peuvent rejoindre les bases américaines en Europe ou au Proche-Orient. Compte tenu de la supériorité aérienne acquise par Israël dans le ciel iranien « les bombardiers B2 n’auraient probablement pas besoin d’une escorte importante », ajoute-t-il. Quelques chasseurs seulement suffiraient. Les Américains ont déployé assez de moyens dans la zone pour soutenir ces opérations.
Une opération militaire aurait des conséquences préjudiciables sur tout processus diplomatique
Maïlys Mangin, spécialiste du nucléaire iranien à l’ENS
Moins d’une dizaine de bombes GBU-57 pourraient être nécessaires pour détruire Fordo. Un raid ou plusieurs raids de deux ou quatre B2 suffirait. Il s’agit d’un premier scénario. « Une autre option maximaliste pour les États-Unis serait de chercher un changement de régime en Iran », poursuit le spécialiste de l’aérospatial français. Plusieurs dizaines d’avions au minimum, voire plus d’une centaine, seraient alors nécessaires pour organiser « une campagne massive » et frapper des cibles militaires dans tout le pays. « Mais toutes les analyses militaires montrent qu’on n’obtient pas de changement de régime seulement par des bombardements aériens », prévient l’expert. Une telle intervention militaire serait par définition inadaptée à l’objectif.
Un point de bascule
Parmi les Occidentaux, les avis divergent aussi sur la pertinence d’une offensive. La réflexion n’est pas sans impact sur les scénarios opérationnels américains. « Pour décoller d’une base, les avions américains ont besoin d’une autorisation du pays hôte », poursuit le spécialiste. Les opérateurs américains n’ont pas à donner tous les détails de leur feuille de route. Mais un blocage politique est toujours possible. C’est pourquoi l’armée de l’air disperse ses moyens entre les bases européennes, celles au Moyen-Orient, au Qatar et au Koweït, et celle de Diego Garcia, administrée par le Royaume-Uni. Les pays arabes pourraient se montrer réticents à soutenir, même de loin, une opération israélienne. « Londres donne toujours son accord par défaut… Mais Diego Garcia est aussi loin de l’Iran que l’est l’Europe », ajoute-t-on en relativisant l’intérêt opérationnel de cette localisation.
Les États-Unis se trouvaient mercredi à un point de bascule. S’ils décidaient d’engager des moyens aériens, ils exposeraient publiquement un soutien militaire que beaucoup supposent déjà. « L’armée de l’air israélienne n’a pas assez de ravitailleurs en vol pour soutenir l’opération Rising Lion telle qu’elle se déroule actuellement », estime l’expert de l’aérospatial. Elle n’en détient qu’une dizaine en tout. Les États-Unis fournissent aussi probablement du renseignement à Israël lui permettant « un ciblage dynamique et volumineux », ajoute-t-on.
Les moyens cyber et satellitaires américains sont aussi discrets que performants.
Pour apporter son soutien à l’État hébreu, les États-Unis peuvent aussi tout simplement poursuivre leurs approvisionnements en munitions, en premier lieu d’intercepteurs pour la défense aérienne israélienne contre les missiles balistiques. Tant que l’Iran ne sera pas en mesure de menacer Israël, Tsahal n’aura pas de raison d’interrompre son opération militaire.